Pillars of Eternity 2 : Deadfire
Le bateau livre
Avec le premier Pillars of Eternity, le plan d'Obsidian était simple : reprendre tous les codes des vieux jeux de rôle afin d'émouvoir les joueurs nostalgiques et de ramasser leur oseille sans coup férir. Près d'un million de ventes plus tard, on peut considérer ce pari comme réussi. Le projet de Pillars of Eternity 2 : Deadfire s'annonce bien plus délicat : il ne s'agit plus de se borner à copier les RPG du début des années 2000. Créer une suite à un jeu vidéo, c'est devoir innover en restant fidèle, améliorer sans trahir, faire preuve d'originalité mais aussi de retenue : tout doit changer et tout doit rester pareil. C'est un numéro d'équilibriste. Pour Obsidian, qui récemment a perdu avec Armored Warfare son plus gros contrat, c'est aussi un numéro sans filet sur lequel le studio joue très gros.
Par Izual | le 15 juillet 2017
« Voile à l'horizon ! Hissez le grand-foc ! Préparez les canons ! » Ah, ça, le changement est radical. Alors que Pillars of Eternity nous laissait explorer un continent franchement banal, Pillars of Eternity 2 nous emmène au cœur de l'archipel du Deadfire, cette terra incognita faite d'îles au trésor, de naufrageurs et de villages de pirates qui bordent un océan turquoise. On y incarnera le même personnage que dans le premier Pillars, cet aventurier qui peut lire les âmes des gens et qui avait retapé une petite forteresse pour en faire son QG. La vie y était douce, du moins jusqu'à ce qu'un dieu s'incarne dans la statue géante sous le domaine et sorte de terre en ravageant tout sur son passage. Passablement sonné (et sans doute délesté de tous ses niveaux au passage), notre héros est ensuite parti à la poursuite du dieu planqué quelque part dans les îles du Deadfire.
Depuis Pillars of Eternity et son écriture verbeuse, Obsidian dit avoir beaucoup appris.
Barbie et kraken. Osons le dire : après des heures et des heures de randonnée dans le Dyrwood de Pillars of Eternity, qui cochait scrupuleusement toutes les cases de l'heroic fantasy – la cité médiévale menacée par la magie noire, la forêt écumée par des bandits, le village terrorisé par des trolls, et ainsi de suite –, ce vent d'originalité est une bénédiction. D'autant qu'Obsidian a l'air de prendre le changement de région au sérieux et de suivre plusieurs des codes du jeu de pirates, à commencer par l'existence d'un bateau. Exit le QG statique du premier opus : la nouvelle forteresse du joueur sera mobile et prendra la forme d'un navire capable de se déplacer librement sur la carte du monde. En mer, certains événements seront gérés par les phases de Livre dont vous êtes le héros chères à Obsidian, mais il sera aussi possible de courir sur le pont et dans la cabine du capitaine, notamment lors d'abordages en temps réel. De quoi mettre à profit la tonne d'améliorations durement acquises pour le vaisseau, qui sera personnalisable de la proue à la poupe en passant par l'équipage.
La multiclasse américaine À chaque gain de niveau, les personnages de Pillars of Eternity 2 pourront choisir de monter une classe parmi deux au choix. Par exemple, un ranger pourra à tout moment choisir de prendre un niveau de moine au lieu d'un niveau de ranger, ce qui lui donnera accès à de nouvelles compétences. Bon, là ça donnerait un hybride un peu bizarre, mais imaginez un voleur qui prendrait des niveaux de barbare : il pourrait s'approcher discrétos des ennemis ET leur mettre des coups de massue dans la nuque. Ou les charger en beuglant et les larder de petits coups de dague.
Grand corsaire malade. Entre ces promesses d'abordage sabre au clair et d'exploration libre dans l'archipel du Deadfire, construit plutôt comme une myriade de points d'intérêt qu'une succession de hubs, je me suis d'abord emballé. Je m'imaginais qu'Obsidian allait faire son Sid Meier's Pirates !, qu'il allait emmener le jeu de rôle vers de nouveaux horizons, qu'il allait préférer les flibustiers aux dragons. J'ai donc posé quelques questions enthousiastes à Carrie Patel, chargée de l'écriture du jeu… et de la douche froide. « Pillars of Eternity 2 se déroule bien dans une région en proie à la piraterie, mais je ne dirais pas qu'il s'agit de la thématique principale du jeu. C'est surtout que l'archipel du Deadfire nous a semblé un décor intéressant, qui laisse une large place à l'exploration et aux conflits. » En résumé, le Deadfire est avant tout une belle arène pour se battre et tant pis pour Kahn Lusth, qui cherche désespérément un bon jeu de pirates depuis près de vingt ans. « Les combats seront moins fréquents que dans le premier opus, m'a pourtant promis Josh Sawyer, le grand manitou du projet. On a plutôt opté pour des rencontres scénarisées. Il y aura bien quelques trash mobsNote : 1 pour des questions de rythme, mais ils seront beaucoup, beaucoup plus rares que dans Pillars 1. » À d'autres, Josh. À d'autres. Pillars of Eternity, comme les Baldur's Gate avant lui, est une adaptation de Donjons et Dragons en jeu vidéo dans laquelle on s'investit surtout pour envoyer des boules de feu et trancher des gorges.
Note 1 : Ces monstres, très courants dans tous les jeux de rôle, qui ne posent pas un grand danger au joueur et servent surtout à le ralentir.
Les combats de Deadfire s'annoncent bien plus agréables et gratifiants.
Travailleurs du texte. Bien sûr, les dialogues resteront l'un des principaux piliers. D'ailleurs, depuis Pillars et son écriture verbeuse – et ses personnages qui dégueulent des montagnes de lore à la moindre occasion –, le studio dit avoir beaucoup appris. Le processus de relecture pour Deadfire est plus sévère, les textes y sont plus courts, les auteurs plus nombreux et mieux encadrés. Selon Carrie Patel, l'utilisation des infobulles de Tyranny (où cliquer sur un mot spécifique à l'univers du jeu ouvre une petite fenêtre explicative) aidera à s'y retrouver dans ce monde démesurément complexe. Le mieux serait encore de ne pas importuner le lecteur avec des détails triviaux, mais ça n'a pas l'air négociable : « Une grande partie du lore de la série tourne autour de la métaphysique des âmes et les conflits entre différentes nations. (…) Ces éléments restent importants pour notre monde et notre histoire. » Ce n'est pas très grave : les quelques dialogues montrés par les développeurs sont déjà de bien meilleure facture que les murs de textes du premier Pillars.
La poudre parlera trois fois. Tout ça ne doit pas nous faire oublier la place immense que prendront les affrontements dans Deadfire. Peu désireux de retomber dans le cauchemar des combats en temps réel pausable (une abomination que je vomis par tous les orifices), je me suis raccroché au souvenir d'une vidéo révélée par Obsidian au mois de juin. On y voyait une scène du jeu où le héros devait obtenir une clé et pouvait pour cela discuter, combattre ou s'infiltrer, dans la droite ligne de Fallout. Josh Sawyer m'a cependant indiqué que de tels choix ne seraient pas proposés à chaque situation et qu'il faudrait donc souvent se résoudre à livrer bataille. Des batailles qu'Obsidian a améliorées considérablement et qui donnent en fin de compte assez envie – oui, même en tenant compte de l'ignominie du temps réel pausable. Jugez plutôt : on pourra combiner deux classes (voir encadré), la montée de niveau gagnera un surcroît d'intérêt en rendant chaque compétence plus puissante, les sorts n'auront en général plus de limite du genre « ne se lance qu'une fois par jour » et l'engagement au corps-à-corps, qui empêche de fuir un duel, reposera sur l'utilisation judicieuse de compétences au lieu d'être automatique. Le rythme global du jeu devrait lui aussi s'améliorer grâce à la raréfaction des trash mobs et la suppression des feux de camp, remplacés par un système plus fin de stock de nourriture. Quelques changements ont de quoi faire râler, comme la diminution du nombre maximum de compagnons à quatre au lieu de cinq et la refonte du système de santé en un gloubi-boulga toujours aussi peu clair, mais dans l'ensemble Obsidian a eu d'excellentes idées pour rendre ses combats plus agréables et gratifiants.
Là où on va, on n'a pas besoin de route. D'aussi bon augure que soient ces promesses d'améliorations, il faut quand même noter qu'elles se bornent à perfectionner des mécaniques qui existaient déjà dans Pillars of Eternity. Le refus d'exploiter le thème des pirates – et la revendication de son simple statut d'écrin à une aventure Donjons et Dragons – laisse penser qu'on aura grosso modo droit au même jeu en légèrement mieux. Certes, il s'agit en soi d'une chouette perspective, d'autant que l'extension The White March a prouvé qu'Obsidian savait comment améliorer les mécaniques de Pillars et qu'on pouvait avoir confiance en ses idées pour Deadfire. N'empêche qu'à la vague de nouveaux jeux de rôle passés par Kickstarter succèdent désormais des RPG de plus en plus convenus et timidesNote : 2. On comprend le calcul d'Obsidian, qui compte sur le million d'acheteurs du premier Pillars et ne veut pas prendre le risque de l'effrayer en changeant la recette. Alors que les ventes de Tyranny ont largement déçu et que le dernier Torment s'est vautré, il y a pourtant de quoi douter de cette décision de persévérer dans une formule de jeu de rôle résolument à l'ancienne. Le mélange de bateaux pirates et de magie suffira-t-il à embraser à nouveau l'enthousiasme des joueurs ? Pourra-t-on métamorphoser le kraken en lapin ? Obsidian parviendra-t-il à rendre passionnante la métaphysique des âmes ? Réponses début 2018.
Note 2 : Dont le plus récent exemple est le projet du tiède Pathfinder : Kingmaker.