Dans un bel élan de cruauté gratuite, des joueurs prennent un malin plaisir à semer chaos et souffance dans les mondes virtuels. Certains adeptes de GTA-like s'amusent à tirer dans les parties intimes de PNJ sans défense. D'autres génies du mal réunissent des Sims affamés dans une salle dépourvue de porte et les contraignent à se faire livrer une pizza qu'ils devront regarder moisir jusqu'à ce que vienne la délivrance de la mort. Des joueurs de Super Mario 64 rendent un bébé pingouin à sa mère éplorée avant de les jeter tous deux du haut d'une falaise. C'est cette cruauté, dont il m'arrive aussi de faire preuve, simplement parce que j'en ai le pouvoir, que j'aimerais aujourd'hui essayer de comprendre.
Lorsque les auteurs Sean Vanaman et Jake Rodkin ont conçu le personnage de Clémentine, l'héroïne de la franchise de jeux Walking Dead, ils ont dû faire face à un défi considérable : imaginer un enfant capable de susciter assez d''empathie pour que le joueur moyen n'ait pas envie de l'abandonner lâchement à la première occasion venue. Après de longues tergiversations, l'un des personnages de jeux vidéo les plus attachants de ces dernières années venait gracier nos écrans, tout ça pour être relégué au rang de personnage secondaire dans la troisième saison. Les fans de la franchise ne se sont pas contentés de ressentir de l'empathie pour Clémentine, comme l'avaient espéré les développeurs – ils ont bruyamment demandé son retour au premier plan, et leurs suppliques ont fini par payer.
Dans une salle de spectacle où règne un silence religieux, une petite dizaine de personnes s’affrontent à tour de rôle sur Fifa 18. Entre chaque match, des observateurs se fendent d’un petit commentaire sur les tactiques des participants, d’un conseil avisé (« Prends l’Allemagne, c’est eux qui vont gagner la Coupe cette année »), d’une plaisanterie teintée de régionalisme breton (« Choisis plutôt Guingamp, allez ») ou d’un pronostic. Parfois, un cri de joie vient troubler la profonde quiétude de l’événement, qui ressemblerait finalement à n’importe quel tournoi Fifa s’il ne se déroulait pas dans le quartier socio-culturel d’une prison.
Derrière l’exaltation des missions spatiales se cache une réalité peu reluisante : celle d’astronautes contraints de vivre dans une constante promiscuité et un espace confiné. Heureusement, il leur reste toujours des activités telles que la lecture ou l’apprentissage d’une langue morte pour s’évader – et bien que cela reste encore très anecdotique, certains choisissent d’assembler des briques en pixels ou de marquer des paniers virtuels pour oublier l’étroitesse de leur vaisseau.
À la fin des années 1990, mue par un besoin irrépressible de prolonger mon incursion dans l’univers de Tekken, j’ai écrit une fanfiction intitulée Les Six Combattants de l’ogre. Dans cet affligeant récit où figurent des répliques directement plagiées du film Mortal Kombat 2 et assez d’aberrations scénaristiques pour faire frémir le plus ouvert d’esprit des lecteurs, mes personnages préférés alliaient leurs forces pour vaincre le boss de fin de Tekken 3, sur fond de rivalités et de romances futiles. À l’heure où j’écris ces lignes, quelque 3 700 histoires peuplent la section « Tekken » du site de référence fanfiction.net. Les jeux vidéo inspirent de nombreux écrits – certains plus embarrassants que d’autres –, ce fait n’est plus à prouver.