Pour estimer la qualité et la cohérence d'un univers de jeu vidéo, une frange particulièrement extrême de rôlistes se pose la question suivante : « Qu'est-ce que les gens mangent ? » Si le joueur trouve une réponse satisfaisante lors de son exploration, par exemple des champs cultivés, du bétail ou des silos à grain, alors la logique du monde est sauve. L'astuce se décline en tout un tas de variantes inoffensives : « Où est-ce que les gens dorment ? », « où puisent-ils leur eau ? » et « où travaillent-ils ? ». Hélas, de dangereux déviants ont perverti cette méthode avec des obsessions douteuses et un absurde souci du détail. Moi, par exemple, la question que je n'arrive pas à me sortir de la tête, c'est : « Qui a décidé qu'il devait y avoir des pics, là ? »
Des années que j'en suis persuadé : dans un jeu de guerre, le voyage compte bien plus que la destination. Hélas, pas sûr que mes récits de randonnées dans la garrigue d'Arma 3 (une heure de marche en colonne avec dix compagnons pour finir tous fauchés par la même rafale) aient convaincu grand monde. Il y a pourtant un vrai plaisir à retirer d'une patrouille de deux heures dans la campagne déserte. De même, annuler une mission au moment crucial à cause d'une pénurie de munitions crée des souvenirs impérissables. N'allez pas croire que j'avance tout ça sans aucune preuve. J'en ai une. Elle s'appelle Foxhole.
En ces temps incertains, il reste heureusement une vérité immuable, une seule : on n'a pas assez parlé de Life is Strange. Le simple fait que les tourments d'une adolescente à peine pubère parviennent à captiver des millions de joueurs, et à les arracher pour plusieurs heures à Metal Gear Solid 5 ou Rocket League, constitue en soi un événement. Est-ce qu'on mesure pleinement la perfection de ce jeu, de son alchimie délicate entre allégresse et langueur, entre quiétude et tumulte ? C'était un vrai petit miracle. Mais les miracles ont un gros défaut : ils sont difficiles à reproduire.
Aujourd'hui, je suis soucieux. Déjà, une gamine a aperçu dans une ruelle l'ombre d'un énorme oiseau. Impossible de savoir si c'est un bon ou un mauvais présage. Dans le doute, il a fallu annuler le raid que nous avions prévu contre les hommes-canards. En plus, la récolte s'annonce désastreuse – les mages n'ont pas réussi leurs rituels, et nos ventres seront vides lorsque viendra la saison du feu. Enfin, les éclaireurs envoyés au Nord ne sont pas rentrés.
Nous aurions dû sacrifier un taureau à Vinga.
Il est tentant d'imaginer que les véhicules pourris de Mad Max ont été assemblés à la va-vite. Que les tôles bringuebalantes, les carrosseries rouillées et les habitacles défoncés sont l’œuvre d'habitants du wasteland particulièrement négligents – des mécaniciens qui bricolent des bagnoles en bougonnant, motivés par l'envie d'en terminer le plus vite possible avec cette corvée. Seulement voilà, rien ne serait plus éloigné de la réalité. Après avoir joué à Crossout, je sais que leur labeur est au contraire dicté... par l'amour.
Depuis quelques jours, des discussions hautement stratégiques se tiennent à mon bureau. Guy Moquette plisse les yeux et conseille de « construire un récolteur de caca ». J'approuve : « Oui, comme ça je vais pouvoir récolter tout le caca d'un coup. » Quand nos illustres collègues entendent des questions du genre « As-tu trouvé les cacas les plus précieux ? », ils ne se formalisent pas. Ils savent qu'une partie de Slime Rancher est en cours.
La sortie de Grimoire est l'un des plus grands événements que connaîtra le monde du jeu de rôle cette année. Rendez-vous compte : vingt-quatre ans qu'on l'attendait, ce jeu d'exploration de donjons en case par case. Enfin, comme tout le monde, on attendait plutôt la suite des fanfaronnades et des laïus zinzins de son créateur, obnubilé par son désir de surpasser la série des Wizardry de Sir-Tech et de se venger par la même occasion du studio qui l'avait lourdé dans les années 1990Note : 1. Mais voilà, depuis le 4 août, pour la première fois depuis des années il y a autre chose à se mettre sous la dent que des paragraphes délirants : il y a un jeu complet, fort de « cinquante compétences », « plus de mille objets » et « deux cent quarante-quatre décors » qui amènent à un total de « six cents heures de jeu ». Tout simplement « le meilleur jeu de rôle de tous les temps », comme le résume son créateur.
Note 1 : Lire dans Canard PC n° 364.
Un article sur Deus Ex répond à un cahier des charges bien précis : il faut utiliser trois fois le mot « incroyable », employer onze synonymes de « intelligent » et caser « huitième merveille du monde » avant le troisième paragraphe. Après avoir écrit un papier sur Planescape : Torment il y a quelques mois, je commence à piger le principe. Hélas, Deus Ex a vieilli depuis l'an 2000 et le relancer ne provoque plus autant de couinements de plaisir qu'auparavant. Réinstallez-le, pour voir : c'est une bouillie de pixels à l'interface abominable, un esquinteur d'yeux, un nid d'intelligences artificielles cruches, un fossile déséquilibré et sclérosé de bugs. Jusqu'à ce qu'on installe GMDX.