Il était une fois une web-série française mettant en scène les aventures d'une guilde nullissime dans un MMORPG imaginaire. Une web-série dont les épisodes donnent l'impression d'un machin amateur, bricolé entre potes et réalisé avec les moyens du bord. C'est pourtant bien elle qui, en novembre dernier, a explosé les records de la plateforme de crowdfunding Ulule en récupérant 1,2 million d'euros auprès de ses fans. Cette série, c'est Noob.
Il y a quelques jours, en lisant la revue Futurologie & Bullshit, je suis tombé sur un passionnant article écrit par le dealer d'Idriss Aberkane. Il y expliquait que d'ici cinq ans plus personne n'aurait de travail, qu'on aurait tous été remplacés par des robots, que les programmes informatiques s'écriraient tout seuls et que seules les professions créatives pouvaient encore espérer échapper à l'automatisation générale. Eh bien, après avoir joué à Deep Sky Derelicts, je peux vous l'affirmer : tout ça, c'est du pipeau. On aura toujours besoin de techniciens et d'ingénieurs pour produire du code. Mais les concepteurs de jeux, par contre, pourraient parfaitement être remplacés par des algorithmes.
C'est quand même fou. Pendant une décennie, que les historiens appelleront dans un siècle « l'âge de Call of », le FPS solo hardcore a disparu des radars. On ne trouvait plus que des jeux courts, lents, dans lesquels il fallait régulièrement se planquer derrière une caisse avant de recommencer à tirer sur des ennemis statiques avec un flingue mou, ou bien des Bioshock et des Deus Ex scénarisés à mort, dans lesquels on causait au lieu de flinguer. Et puis, en 2016, est arrivé Doom, qui a réinventé le genre, et aurait dû ouvrir la voie à une nouvelle ère de fast-FPS originaux. Au lieu de ça, les indés, toujours à la pointe du progrès, nous pondent des jeux qui auraient pu sortir en 1998.
Comme le disent toutes les Zabou Breitman du cinéma français dans d'innombrables films où elles fument des cigarettes en regardant tomber la pluie depuis leur loft parisien de 150 m², « la vie, c'est compliqué ». Difficile de leur donner tort. Pour se convaincre qu'en effet, la vie, c'est pas simple, il suffit d'ailleurs de jeter un œil à un bouquin de biologie cellulaire. Ou bien de s'essayer aux jeux Maxis des années 1990, comme SimLife ou SimAnt, qui ont dégoûté des sciences naturelles toute une génération d'enfants avec leurs interfaces imbitables. Mais tout ça c'est du passé. Car désormais, il y a Empires of the Undergrowth.
Longtemps j'ai voulu être prophète. Il faut dire que ça a l'air chouette comme métier quand on est enfant. On se promène dans le désert avec son crew, on dispose d'une ligne directe avec Dieu, on peut écrire des livres pleins de cochonneries (Ézéchiel 23:20) sans que personne ne vous dise rien, et on porte un nom trop cool qui ressemble à ceux des bonbons Haribo®, comme « Agabus » ou « Zacharie ». Franchement, si la conseillère d'orientation de mon collège ne m'en avait pas dissuadé en évoquant les risques de finir décapité ou farci de flèches, j'aurais probablement envisagé un BTS prophétie. Et, comme me l'a appris Nowhere Prophet, j'aurais eu tort.
Quoi qu'en pensent ces pisse-froid de profs, qui passent leurs week-ends à traquer les plagiats de Wikipédia dans des piles de copies pour un salaire horaire dont même un employé de Foxconn ne voudrait pas, il y a une certaine beauté dans le copier-coller. Dupliquer sans limite des bâtiments et des modèles 3D jusqu'à l'absurde ou à l'infini, n'est-ce pas magnifique ? C'est la question que nous posait déjà Dragon Age 2 en 2011, à laquelle Guy Moquette avait répondu : « Non mais arrêtez de vous chercher des excuses les mecs, si tous les donjons de votre jeu sont similaires c'est juste parce que vous êtes des gros feignants. » Le cas d'Echo est un peu plus intéressant.
Adorno se demandait comment écrire après Auschwitz. Perso, je me demande comment on faisait pour écrire avant. Depuis soixante-dix ans, tout, absolument tout, des œuvres les plus savantes à la pop-culture, est fourré au nazi. Qu'on cherche un roman d'aventure, une nouvelle mise en scène d'Euripide ou un comic book, presque impossible d'en trouver un où ne figurent pas les bricolos du Reich. Signe d'un manque d'imagination ? Peut-être. Étant d'un naturel optimiste, je préfère me réjouir qu'Adolf Hitler, peintre qui toute sa vie est resté méjugé par ses contemporains, soit finalement devenu la muse de trois générations d'artistes. C'est toujours chouette quand une histoire finit bien.