Loin de moi l’odieuse intention de dénoncer, mais le peuple doit savoir. À l’aimable proposition faite par Capcom, début décembre, de venir jouer quelques heures à la dernière version de Resident Evil 7 dans ses locaux de Saint-Germain-en-Laye, à une quinzaine de kilomètres de Paris, voici les réponses que je reçus de mes camarades sur notre outil de discussion interne (par respect pour leur réputation, leurs noms ont été caviardés) :
xxxx (3:58 PM): « Sans moi, les trucs d'horreur je peux pas. »
xxxxxx (4:01 PM): « J'ai déjà fait deux previews et c'était douloureux, je veux bien faire le test mais dans le confort de mon foyer, l'après-midi, avec des chocolats chauds et mes peluches. »
xxxx (6:29 PM) : « J'ai joué pendant 2 minutes en VR chez Sony l'autre fois, j'ai eu trop peur. »
xxxx (6:34 PM) : « Saint-Germain ? Mais c'est la province, ça ! La fin de la civilisation ! Pas possible, je ne suis pas à jour dans mes vaccins. »(1)
On croirait lire des citations de spectateurs réutilisées pour l’affiche 4x3 de Paranormal Activity 12. Une honte absolue. C’est donc armé de mon professionnalisme, d’une généreuse portion de moules-frites à emporter (je n’avais pas eu le temps de déjeuner) et d’une paire de couches Confiance que je me suis rendu dans l’ouest parisien pour accomplir la sacro-sainte mission de Canard PC et rendre compte de l’état du jeu un peu moins de deux mois avant sa sortie.
1 : Toutes ces phrases sont rigoureusement authentiques et j’ai des captures d’écran qui l’attestent (sauf une, mais c'est parce qu'en vrai Ivan ne fait plus de présentations depuis longtemps, j'ai donc légèrement extrapolé sa réponse).
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Resident Evil 7 : Biohazard
L’étrange moelle de Mr Jack
On sait que vous vous imaginez la rédaction de Canard PC comme un regroupement de journalistes toujours sur la brèche, affamés, prêts à se battre pour décrocher un reportage… Avec tout le respect dû aux personnes dont l'argent nous permet de manger de la langouste trois fois par semaine, permettez-moi de vous dire que vous êtes bien naïfs.
Effroi de canard. Pour ceux qui auraient un train fantôme de retard, la saga amorce un virage notable avec ce septième épisode. Adieu la troisième personne, place à la vue subjective. Et retour aux sources de l’horreur-survie qui caractérisaient la série avant qu’elle n’accouche de jeux de tir, certes parfois grandioses (RE 4, on pense à toi), mais parfois ratés (coucou RE 6). Le temps de m’entendre dire que cette présentation escamote la première demi-heure de jeu, sorte de gros didacticiel, et me voilà, manette de PS4 en main, dans la peau d’Ethan. Situation inconfortable pour le bonhomme, attaché à une chaise et attablé en compagnie de la famille Baker. La réception d’une vidéo sur laquelle figurait sa femme Mia, qu’il pensait morte depuis trois ans, est l’unique raison de sa présence ici, dans cette baraque perdue au milieu de la Louisiane. Marguerite, la mère ? Hystérique devant le refus d’Ethan d’ingurgiter la « nourriture » (notez les guillemets) servie. Le fiston ? Mutilé sous les yeux du captif – et ceux, vides, de la grand-mère catatonique vissée à son fauteuil roulant – par son papounet pour une broutille. Et le chef de famille, Jack ? Lui, c’est le pompon.
You don't own Jack. Ce gros gaillard barbu, patriarche de cette angoissante famille de rednecks psychotiques peu portée sur l’hygiène et le ménage, est un peu le croque-mitaine de la première partie de cette session. Désormais libre de mes mouvements, mais sans arme, je fouille la maison à la recherche d’un moyen de m’en échapper. Indices, clés, herbes de soin… Le tout sur fond de partie de cache-cache avec Jack qui, parfois de façon scriptée, parfois au détour d’une patrouille au trajet aléatoire, tente de me remettre le grappin dessus et me tabasser à mort. Mais de ce pas lourd, pas franchement pressé, qui caractérise ces vilains de film d’horreur sûrs de leur fait et soucieux de la dramaturgie de l’instant. Je ne vous en dirai pas plus... Pas seulement parce que je me suis engagé auprès de Capcom à respecter une liste, longue comme le bras, d’éléments à ne pas dévoiler. Mais aussi parce, très objectivement, le risque de vous divulgâcher certains éléments de surprise serait trop élevé. Tout juste me contenterai-je de vous parler de Jack comme un méchant flippant à souhait, dont la capacité à user du cliché « Ha ha tu me croyais mort / inconscient / brûlé / réponse D ? Eh bien non ! » contribue à donner à ce Resident Evil 7 une patine de vieux slasher des années 1980.
L’horreur est humaine. S’il faudra attendre de jouer à la version complète pour savoir si ce jeu du chat et de la souris ne va pas tourner au gimmick, on peut déjà affirmer que l’ambiance de ce nouvel épisode est parfaitement maîtrisée et tranche effectivement violemment avec ses prédécesseurs. Reste qu’on ne sera pas toujours désarmé et inoffensif. Un combat – mémorable – contre Jack dans un garage, quelques menues énigmes à base de clés ou d’ombres chinoises plus tard, le sous-sol de l’effroyable mansarde s’ouvre à Ethan. À ce moment, il est possible de mettre la main sur une arme de poing et un fusil de chasse. Et alors que le surnaturel s’ancre toujours un plus solidement dans l’histoire, le décor change subtilement. De sale et méphitique, il tourne au putride et au poisseux, générant d’immondes gargouillis qui s’ajoutent à ceux produits par mon estomac (la faute aux moules-frites, de toute évidence). Une substance organique noirâtre recouvre les murs et des créatures infectes émergent, obligeant Ethan à jouer du flingue.
La chocotte minute. La vue à la première personne ne transforme pas d’office RE7 en FPS, mais les combats ont l’air, pour ce qu’il a été possible d’en voir, de fonctionner. Avec son rythme lent, la crainte constante d’une pénurie de munitions, sa gestion contraignante de l’inventaire, ses safe rooms où sauvegarder la partie, il assume son héritage. Enfin, surtout celui des premiers épisodes. Mais en permettant à l’horreur « traditionnelle », avec ses quelques inévitables jump scares, de parfois s’effacer au profit d’une tension liée à la traque par une créature quasi invincible, ou de situations de malaise provoquée par ses environnements cradingues, l’éclairage inquiétant ou des bruits anxiogènes, il s’engage sur une nouvelle voie. Sur laquelle, mus par quelque pulsion masochiste, on a bien envie de le suivre.