Fondé en 2010 à Montpellier par des anciens d'Ubisoft, The Game Bakers a commencé par faire la même chose que tous les nouveaux studios il y a quelques années : du jeu mobile, avec des titres comme le RPG tactique Squids et le jeu de baston Combo Crew. L'arrivée massive des jeux free-to-play a cependant poussé le studio à chercher un autre secteur, mais encore fallait-il avoir les moyens de s'y mettre. « On n'avait pas trop les sous après Combo Crew, indique Emeric Thoa. Comme d'habitude chez nous, on n'a pas perdu d'argent, mais on n'en a pas gagné beaucoup, en tout cas pas assez pour faire un jeu PC ou console qui coûte un million d'euros. Un million, ça fait un petit jeu, mais un petit jeu qu'on ne peut pas financer nous-mêmes. On a eu de la chance : Nickelodeon avait vu Combo Crew et nous a contactés pour faire un jeu Tortues Ninja pour le film de Michael BayNote : 1. Ça nous a donné du temps, ça a occupé et payé notre équipe pendant qu'on réalisait une démo de Furi, avec des assets Unity mais pas de vrai gameplay, tout était scénarisé. On avait une arène, un boss... Au préalable, on avait contacté Takashi OkazakiNote : 2, qui par miracle a bien voulu bosser avec nous, et ensuite on est allé voir Carpenter BrutNote : 3 qui nous a fait une minute de musique. »
Note 1 : « On a eu des notes trois fois supérieures au film », glisse Emeric Thoa.
Note 2 : Dessinateur japonais célèbre pour avoir créé Afro Samurai.
Note 3 : Musicien électro dont les morceaux filtrent souvent au travers des écouteurs de Pipomantis et Kahn Lusth à la rédac.
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Furi
Raclette et financements : comment The Game Bakers a développé Furi
En juillet dernier, The Game Bakers sortait Furi, un jeu d'action qui se distinguait autant par sa direction artistique et musicale que par ses partis pris de design et ses mécaniques exigeantes. De passage à Paris pour une conférence, Emeric Thoa, cofondateur du studio, nous a raconté le développement du jeu.
"Sony s'est embarqué à peu près à hauteur de la moitié du budget. Ça nous a permis de travailler en toute liberté créative."
Premiers battements de Duels. Avec sa démo, le studio est allé présenter Furi, alors appelé Duels, à différents éditeurs et constructeurs, jusqu'à rencontrer l'un des pôles d'édition de Sony, qui a été séduit. « Sony s'est embarqué à peu près à hauteur de la moitié du budget, en échange de la gratuité du jeu sur le premier mois pour leurs abonnés sur PlayStation 4, poursuit Thoa. Ça nous a permis de travailler en toute liberté créative, ils ne nous ont rien imposé. J'en tire deux points positifs : il ne fallait pas dépasser le budget initial mais ensuite tous les revenus du jeu étaient pour nous, c'est toujours agréable, et puis le jeu a connu une diffusion massive grâce au PlayStation Plus. C'est évidemment valorisant quand beaucoup de monde peut profiter du jeu. Bon, l'inconvénient, c'est que Furi est téléchargé massivement gratuitement, donc le financement du jeu d'après est compliqué, et en l'occurrence là c'est le cas. » D'autant que les ventes sur PlayStation après ce premier mois sont restées très faibles, et que sur les autres plateformes les ventes, sans être catastrophiques, sont également décevantes (sur Steam, le jeu tourne autour des 60 000 exemplaires).
Débrouille autour du monde. En dehors des questions de financement, le studio a aussi dû gérer une phase de croissance doublement compliquée : d'une part parce qu'en plus d'embaucher, l'équipe changeait de support de travail, passant du jeu sur mobile au jeu sur grand écran, et d'autre part parce que les membres de The Game Bakers sont répartis un peu partout dans le monde. La boîte a des locaux avec une demi-douzaine de personnes à Montpellier, mais aussi des employés un peu partout en France, au Canada, en Suède, en Pologne... Et pour Furi, un character designer au Japon, Takashi Okazaki. « Avant, on se retrouvait de temps en temps pour deux semaines dans une maison dans la pampa, raconte Thoa. On pouvait bosser chacun avec son ordinateur portable dans le sac, mais maintenant qu'on a des grosses tours PC et des kits de développement pour les consoles, c'est plus compliqué. » Et puis il faut parfois bricoler pour contourner les restrictions imposées par les constructeurs de consoles : « Sony et Nintendo inscrivent à la main les adresses IP qui peuvent se connecter chez eux, continue le développeur. On s'est retrouvé à faire des bidouilles, à garder un PC allumé tout le temps au studio, et à y accéder à distance pour lire la documentation Sony depuis une IP autorisée. C'est de la débrouille mais ça marche. »
« J'ai adoré lui faire de la raclette et lui verser du vin rouge tous les soirs. »
Plus on est de fous, plus on Furi. Plus de monde, ça demande aussi une meilleure organisation. « Quinze personnes en permanence, ça me fait beaucoup de management par Skype, poursuit Thoa, et de plus en plus de petits malentendus. Quand le jeu est hyper clair comme Furi, ça va encore, tout le monde a une idée du travail à faire, mais c'est pas toujours le cas quand on part d'un concept qui n'existe pas. Dans ce cas, il faut s'accrocher, car en face on a juste des avatars Skype, on ne peut pas prendre une bière et discuter pendant deux heures. Donc on sort les rames et on explique. » En dehors de ces petits aléas, Emeric Thoa garde surtout de très bons souvenirs du jeu, qui correspond exactement à ce que le studio avait proposé dans sa première démo, et est très fier de son équipe et de sa collaboration avec Takashi Okazaki.
Du vin et des jeux. « On avait fait une liste de gens avec qui on voulait travailler, raconte-t-il, tous de très bons character designers japonais, la plupart nous ont répondu non, mais Takashi était intéressé. Après quelques échanges, quand on s'est entendu sur la façon de bosser ensemble, on l'a fait venir en France avec sa femme. Ils sont restés chez moi, on a bouffé du fromage et bossé la journée, le soir on se baladait, on a fait du tourisme, c'était super sympa. J'ai adoré lui faire de la raclette et lui verser du vin rouge tous les soirs. À la fin, ça fait un an et demi de collaboration très chouette. Je suis retourné le voir deux fois au Japon, une fois pour le boulot et une fois en vacances... c'était une super expérience, et je le referais bien, mais je ne veux pas que ce soit quelque chose de régulier dans nos jeux. Il ne faut pas que ce soit à chaque fois une star du character design et une star de la musique, je veux que ça corresponde au jeu. » Le prochain titre (prévu aussi pour PC et consoles) sera lui très différent, moins hardcore, plus accessible, même si The Game Bakers le promet toujours un peu japonisant et bizarre. Et pas pour tout de suite.