Nous avons quasiment tout simulé sur PC depuis vingt ans. Des Mig-29, des camions de transport, des tanks allemands, des Formule 1, des Airbus, des Ferrari, des tractopelles, des motos de compét'... Mais avant Sailaway, personne n'avait encore jamais pensé à simuler sérieusement un voilier. Enfin si, il y a eu les Virtual Skipper, dont le dernier épisode remonte quand même à 2003. On montait à bord de catamarans haut de gamme pour des régates sportives. Mais cela se faisait « de loin », nous n'étions pas physiquement sur le bateau. Avec Sailaway, c'est différent : en vue à la première personne, le joueur tient vraiment la barre, il sent les embruns sur le visage, il a le goût du sel dans la bouche, il tire sur les cordages, il voit l'horizon tanguer et ressent le gîte de sa coque de noix. En fait, dès les premières minutes de Sailaway, je me suis demandé pourquoi personne n'avait pensé plus tôt à faire un tel jeu.
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Sailaway
La fête des mers
Drissez les écoutes du génois ! Ramenez la grand-voile au 140° en ajustant les cabans à tribord ! Souquez le hale-bas du spinnaker en vent arrière ! Attention, on vire de bord à l'empennage ! Criqueboutez le schmilblick sur le mât d'emboutoir ! Ha ha, non bien sûr, je ne pige pas un mot de ce que j'écris, et je suis à peu près sûr que les phrases précédentes ne veulent rien dire. Mais depuis que je joue à Sailaway, j'ai attrapé le virus : je pense voile, je vis voile, je respire voile, et je hurle des ordres incompréhensibles au milieu de la rédaction en faisant de grands moulinets avec les bras. Je suis à deux doigts de demander la nationalité bretonne.
Vous le saviez, vous, qu'il faut « souquer le pataras pour cintrer le mât » ?
À voile et en sueur. Ayant gâché ma belle jeunesse sur des simulateurs de vol épouvantablement complexes, j'ai embarqué sur le voilier de base de Sailaway (un Cruiser 38 pieds ; deux autres modèles sont disponibles) avec sérénité. Le premier didacticiel est pépère, il suffit de barrer le bateau. En pratique, cela veut dire utiliser les touches Q et D pour aller à gauche ou à droite, tout en faisant attention à avoir un bon angle au vent. Si vous avez joué à Virtual Skipper, vous y retrouverez les mêmes habitudes, consistant par exemple, quand le vent vient de face, à zigzaguer d'un bord à l'autre. Tranquille, n'importe qui pourrait le faire (du moins sur un simulateur). Puis ça se complique. Oh que oui.
En ôtant une à une les aides automatisées proposées par le jeu, il faut commencer à gérer les voiles. Et là... J'ai bien senti que le fait d'avoir grandi en région parisienne plutôt qu'à Saint-Malo ou La Rochelle allait me pénaliser. Je me disais des trucs du genre « bon, suffit de hisser la voile machin-truc, le vent la gonfle et zou ça file ». Funeste erreur. Un voilier de base, c'est aussi complexe à manœuvrer qu'un chasseur-bombardier soviétique des années 1970, sauf que les boutons sont remplacés par des penons, des drisses, des cordages de toutes les couleurs, des machins à tourner, des bidules à tendre. Vous le saviez, vous, qu'il faut « souquer le pataras pour cintrer le mât », « déferler le génois pour modifier la voilure d'avant » et « étarquer le hale-bas par vent fort » ? Là je n'invente rien, c'est directement tiré des tooltips du jeu lorsque vous laissez le curseur de la souris sur une des douze-mille cordes qui traînent devant la barre. Et je ne vous parle même pas des différents ris ou de la bosse d'empointure...
World of Sailcraft Sailaway est un vrai petit MMO de la voile, puisqu'on navigue en ligne, sur une planète Terre entièrement modélisée (du moins, ses océans), avec tous les autres joueurs présents. En quelques clics, vous pouvez tracer un trajet sur la carte du monde et vous téléporter à son point de départ, ou bien participer aux courses multijoueurs lancées toutes les heures en différents points du globe. Le plus beau, c'est que même lorsque vous quittez le jeu, le bateau continue de naviguer dans cet univers persistant, comme si vous étiez simplement en train de pioncer dans la cabine, avec un pilote automatique réglable. Du coup, il est possible d'organiser des courses s'étalant sur plusieurs jours, façon Vendée Globe ou Route du Rhum.
Prêt pour le stage UCPA. J'ai donc pris mon bâton de pèlerin, ouvert Wikipédia, quelques sites spécialisés et enchaîné les tutoriaux intégrés au jeu pour m'imprégner de ce jargon mystérieux. Et c'est exactement ce que je demande à un jeu vidéo : qu'il m'encourage à apprendre des choses nouvelles. Grâce à Kerbal Space Program, je peux suivre un lancement de fusée Ariane en pigeant tout ce qui se passe. Grâce à Farming Simulator, je peux parler épandage et machinerie agricole avec un paysan de la Beauce. Et grâce à Sailaway, j'ai l'impression que je comprendrai enfin les instructions que mon moniteur aboiera la prochaine fois que je ferai un stage « initiation à la voile, niveau débutant » au centre UCPA de Bénodet. Alors pour l'instant, après six heures de navigation, j'en suis encore à apprendre les rudiments, et je n'ai pas encore maîtrisé les aspects les plus techniques – notamment les finesses de la manipulation du chariot et du hale-bas pour optimiser à mort le gonflement des voiles. Mais je sens que je m'aguerris. Je m'organise des petits trajets dans les Caraïbes pour oublier la grisaille parisienne, je vais checker les tempêtes du cap Horn, et j'espère être bientôt prêt (d'ici 10-12 heures...) pour tenter une de ces courses multijoueurs avec l'ensemble des aides désactivées. En plus, cette version anticipée est aussi propre qu'un pont tout juste briqué (on note juste quelques bugs mineurs et des menus en travaux). Je n'ai aucune excuse pour ne pas devenir le Tabarly de la rédaction dans les prochaines semaines.
