Quand le premier épisode de Hitman est sorti, en mars 2016, on l'attendait de pied ferme. Jusqu'ici, les jeux de la série étaient constitués d'une suite de petits niveaux assez courts dans lesquels le joueur guidait l'assassin chauve 47 jusqu'à sa cible, afin qu'il l'élimine sans se faire prendre par les gardes. Du coup, la perspective de n'avoir cette fois-ci qu'une seule courte mission à se mettre sous la dent tous les deux mois n'était pas très réjouissante. Heureusement, IO Interactive avait une bonne idée pour nous faire avaler la pilule : transformer Hitman en bac à sable. Alors je vous vois venir, vous pensez que sous prétexte que vous avez déjà volé les habits d'un cuisinier pour verser du poison dans le dîner de votre cible, vous avez touché du doigt la liberté. OK, OK, faites le blasé. Mais je vous préviens, les immenses niveaux et les myriades de possibilités de ce Hitman risquent de vous donner le vertige.
Transformé en archive gratuite
- Cet article, initialement réservé aux abonnés, est devenu gratuit avec le temps.
Hitman
L'honneur est chauve
J'ai un peu honte. D'accord, tout le monde consomme des séries, mais j'ai peut-être un peu dépassé les bornes. Quand mes collègues parlent de séquences de binge watching de plus de trois heures sur Game of Thrones, j'arbore un sourire un peu crispé et j'ai bien peur que mon « woah ! » ne soit pas très convaincant. C'est que ma série de l'année m'a déjà pris une centaine d'heures en une seule saison et que je me suis fait chacun de ses épisodes au moins dix fois. Quand ce n'est pas vingt. À ma décharge, Hitman a été conçu de A à Z pour être un vortex à temps libre.
47 sur son 31. Prenez le dernier épisode de la saison, Situs Inversus. Il vous fait démarrer en tant que patient d'un hôpital de luxe au sommet d'une montagne couverte de neiges éternelles sur l'île d'Hokkaïdo, au Japon. L'Agent 47 peut s'y balader dans le restaurant réservé aux patients (tous richissimes), dans le jardin zen et même dans le coin du spa et du sauna. Ce sera d'ailleurs l'occasion d'admirer la finesse du décor du jeu, qui propose une vue imprenable sur la campagne japonaise et simule jusqu'aux gouttelettes de condensation sur les miroirs du sauna. Mais revenons à nos moutons : comme tous les autres niveaux, celui de l'hôpital est divisé en plusieurs zones à l'accès restreint et pour atteindre sa cible (le patient en train de subir une chirurgie), vous devrez trouver un costume de vigile, de garde du corps, de médecin, d'infirmier, de technicien ou de masseur, et j'en passe une bonne dizaine, dont celui de ninja et de pilote d'hélicoptère. Ou alors, vous voudrez peut-être faire tout à la dure, en vous faufilant de couvert en couvert et en jetant des objets pour distraire les gardes pendant que vous passez dans leur dos, pour au final saboter les machines du chirurgien en douce au lieu de simplement larder votre cible de coups de couteau. Les possibilités sont innombrables – et IO Interactive a veillé à vous récompenser pour chacune de vos expérimentations.
Demandez-en pour votre agent Puisqu'il est possible d'acheter chaque épisode séparément, inutile de dépenser votre oseille dans les niveaux les moins réussis de cette première saison : prenez-vous directement le meilleur du meilleur. Il n'y a d'ailleurs pas à hésiter longtemps, les deux premières missions de ce Hitman sont aussi les plus intéressantes. L'immense hôtel particulier de Paris (épisode 1) où l'Agent 47 doit infiltrer un défilé de mode en passant par des jardins à la française, des caves et des étages où se déroulent des tractations louches reste une excellente démonstration des possibilités du jeu, tandis que le centre-ville italien minutieusement conçu de Sapienza (épisode 2), avec ses appartements nombreux, ses cafés, son port, sa plage, son cimetière ensoleillé et sa villa imprenable est une claque visuelle qui fourmille de possibilités. Grands classiques de la saga, les niveaux de l'hôtel (de Bangkok, épisode 4) et de l'hôpital (d'Hokkaïdo, épisode 6) valent aussi le coup d’œil. En revanche, vous pouvez faire l'impasse sans trop le regretter sur Marrakech (épisode 3) et le Colorado (épisode 5) : pas aussi denses que les autres niveaux, trop plats ou inutilement alambiqués, ils restent plaisants mais clairement en dessous des autres épisodes.
L'assassin à la peau lisse. Au fil de vos parties et pour peu que vous essayiez plusieurs approches, vous débloquerez de plus en plus d'objets et de bonus : commencer la mission directement déguisé en serveur avec un fusil de précision planqué dans les toilettes du personnel, démarrer avec un petit pistolet à un coup qui passe les fouilles au corps ou un explosif télécommandé... De quoi permettre encore plus d'approches ou de tactiques et se motiver à finir un niveau une énième fois pour réussir le défi « tuer la cible en lui donnant un cours de yoga au bord d'un ravin ». Alors oui, au début, l'immensité des niveaux déroute un peu. Mais s'approprier les lieux et les connaître sur le bout des doigts fait partie des grands plaisirs du jeu, surtout quand vous finissez par tirer parti des petites stupidités de l'IA (qui manque un peu de ressource et n'est pas exempte de bugs). Commencer une mission à l'arrache, se laisser surprendre en train de péter une porte au pied-de-biche, rattraper le coup en lançant un couteau dans la tête d'un garde, se faire tirer dessus par ses potes, s'enfuir et revenir déguisé en prêtre : le genre de partie jouissive qui épouse totalement le cahier des charges de la série, mais qui n'est pas la seule expérience promise par Hitman. Le jeu vous permettra aussi par exemple de vous couler parmi les ombres, de surprendre une conversation entre deux DJ mécontents de la tendance du micro de votre cible à avoir des court-circuits, d'escalader une gouttière jusqu'aux coulisses et de s'assurer qu'un accident ait lieu.
Un chauve qui peut. Concevoir des niveaux gigantesques et vivants avec énormément d'approches différentes pose un problème : celui de l'équilibrage. Comme dans tout bon bac à sable, il est possible de finir une mission plusieurs fois de suite sans jamais passer par les mêmes endroits, sans embusquer les mêmes gardes ou assassiner la cible de la même manière. Mais pour que tous ces angles d'attaque restent possibles, IO Interactive a dû rendre son jeu un peu plus accessible. 47 croule sous les marqueurs d'objectifs (même si certains sont désactivables) et les possibilités d'accidents, il dispose d'une vision aux rayons X bien pratique et esquive des ennemis pas très futés, qui peuvent d'ailleurs être tous tués au fusil d'assaut sans que ça pose de problèmes majeurs. Le jeu n'en est souvent que plus plaisant, je vous l'accorde – parce qu'il autorise tous les scénarios – mais les vétérans de l'infiltration pure et dure resteront parfois un peu sur leur faim. C'est cette certaine indulgence du jeu, couplée à quelques niveaux inégaux, qui éloigne Hitman de la note maximale.