Et là, c'est le drame. Une maintenance imprévue du PlayStation Network et voilà toute l'installation paralysée. Les soldats d'Ubi, paniqués, cherchent un plan B. Trois heures plus tard, après avoir contacté une cohorte de taxis et rassemblé en catastrophe des PC dans une salle de réunion, les sessions de jeu pouvaient enfin démarrer dans les locaux de l'éditeur à Montreuil. Sans même s'en rendre compte, les employés d'Ubisoft ont réalisé une métaphore parfaite, et grandeur nature, de Ghost Recon Wildlands. Un plan sans accroc, un imprévu, et la mission qui devait durer cinq minutes (le temps de rentrer, éliminer le garde au silencieux, piquer des documents et repartir sans être vu) vire au chaos, avec alarmes hurlantes, tirs de mortiers, arrivée d'hélicoptères de combat, et prend des plombes. Pur génie.
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Ghost Recon Wildlands
Poudre noire contre poudre blanche
Le plan d'Ubisoft était parfait. Les journalistes venus de toute l'Europe, frigorifiés par les températures arctiques de ce petit matin de janvier, seraient accueillis par les troupes d'élite de l'éditeur breto-canadien dans un café parisien, qui leur offriraient boissons chaudes et baumes contre les gerçures. Là, dans les meilleures dispositions du monde, ils s'installeraient devant une PlayStation 4 et mettraient les mains, pour la première fois, sur Ghost Recon Wildlands. Par-fait.
Plus belle la Bolivie. Présenté à l'E3 2015, Ghost Recon Wildlands doit proposer, à en croire Ubisoft, le monde ouvert le plus vaste jamais offert (c'est une expression, hein, y a qu'à voir le prix des éditions collector pour le comprendre) par l'éditeur à ce jour. Ce grand terrain de jeu, c'est la Bolivie, devenue un « narco-État » entièrement contrôlé par le cartel Santa Blanca, lui-même soutenu par les forces Unidad, sorte de police militaire totalement dévouée aux trafiquants. Les États-Unis, vraisemblablement sous l'impulsion de l'apôtre du non-interventionnisme à l'étranger Donald Trump, décident que ça suffit, zut à la fin, et envoient leurs forces d'élite, les Ghosts, pour régler le problème. Leur mission : décapiter Santa Blanca en neutralisant son chef El Sueño, dont le plus grand crime est, juste après son goût immonde en matière de tatouages, d'arroser la planète entière de cocaïne. Afin de le dénicher, les Ghosts devront remonter la chaîne de commande de Santa Blanca qui compte 26 boss, officiant dans les quatre branches de cette vaste entreprise criminelle que sont la production, la sécurité, le trafic et l'influence, et disséminés dans les 21 régions de ce monde ouvert.
Chérie, ça va cooper À la lecture de cet article, vous aurez compris que le volet coopératif ne sera probablement pas une option (contrairement au mode solo) pour profiter de ce que Ghost Recon Wildlands a à offrir. Comment cela se passera-t-il dans les faits ? De manière assez habile. Dès l'arrivée d'un second joueur humain dans la partie, les compagnons IA disparaîtront, ce qui constitue une sérieuse motivation. Pas de serveur dédié : un joueur servira d'hôte, mais seulement d'un point de vue technique puisque sa progression personnelle ne sera pas imposée aux autres. Les missions de chaque membre étant en quelque sorte mutualisées, chacun pourra refaire, pour aider ses partenaires, celles qu'il aura déjà menées – la récompense sera cependant sensiblement moins intéressante. Quant au niveau de difficulté (qui détermine les dégâts que l'on peut encaisser avant d'être à terre), il sera réglé côté client, sans impact sur les autres. Le pro-gamer pourra donc côtoyer le noob sans crainte, ni honte.
Latinos roussis. Ce monde ouvert, Ubisoft semble en être très fier. Outre sa taille et sa beauté (deux éléments qui seront difficilement contestables, de ce que l'on a pu juger), l'éditeur se targue de le rendre intégralement accessible dès le début de la partie, laissant au joueur, qu'il n'a pas l'intention « de prendre par la main », le choix des opérations à mener et dans quel ordre, insistant sur le fait qu'il ne sera pas nécessaire de toutes les accomplir pour attraper El Sueño et qu'aucune phase du jeu n'est scriptée. En gros, voilà un gros bac à sable, et démerdez-vous. Ma foi, ça me va. Dans les faits, voici comment tout cela se présente : les Ghosts recueillent des renseignements ici et là, qui conduisent à des opérations, voire à des emplacements de boss. De temps en temps, ils dénichent de l'approvisionnement pour les rebelles locaux – qui permet de débloquer des compétences de renforts –, étoffent leur arsenal en mettant la main sur de nouvelles armes planquées dans des coffres et prennent la direction d'une nouvelle place forte à nettoyer. Des rebelles, des camps à vider avec des alarmes à désactiver pour prévenir l'arrivée de gros renforts ennemis, des flingues à débloquer… Ça ne vous rappelle pas un truc ? Gagné : il y a du Far Cry dans cette recette. Un peu de Just Cause, aussi, dans le côté « plaçons du C4 sur cet avion, faisons le plonger vers ce camp fortifié avant de sauter en parachute ». Du Ghost Recon canal historique ? Moui, quelques traces par-ci, par-là : dans la gestion de la balistique (un petit peu exigeante) et les gadgets type NVG ou drones de reconnaissance, mais alors vraiment le minimum syndical.
Véhicules de base-fosse. La promesse est alléchante. Mais je préfère vous avouer être sorti des locaux d'Ubisoft avec un sentiment mitigé. Car dans la version qui a été présentée à la presse – qui n'est pas loin d'être finale, rappelons que seulement sept semaines nous séparaient alors de la sortie commerciale – figuraient quelques éléments inquiétants. La fluidité, d'abord : à bord de véhicules roulant à fond sur les chemins boueux de la Bolivie profonde, le frame rate commençait à toussoter. Et puisque l'on parle des véhicules, GRW semble souffrir du syndrome « pilotage à la Ubi ». La conduite des voitures fut… hum, comment dire… pas exceptionnellement plaisante. En moto, cela virait au sketch : l'engin s'arrêtait net au freinage, pouvait rouler sans sourciller sur des pentes à 70°, encaisser tous les chocs de chute, et même si parfois un rocher farceur décidait de soudainement se transformer en bumper, il était possible de faire tout et n'importe quoi en tout-terrain. À ce niveau, ce n'est plus de l'arcade, c'est de la magie vaudou. Du côté des appareils aériens, l'expérience fut encore pire : piloter un hélicoptère tenait de l'expérience éthylique extrême. L'engin (privé de vol latéral de surcroît) semblait obéir à des lois physiques venues d'une dimension parallèle. Ce qui est ballot, vu que l'immensité du monde de GRW pousse à utiliser ce genre d'engin comme taxi plutôt qu'une bicyclette… Doublement ballot, même, puisque l'utilisation des armes de bord en devenait complètement hasardeuse (surtout en l'absence de mire, allez comprendre). Mauvaise nouvelle quand on sait qu'il faut veiller à épargner les nombreux innocents présents. « Au bout de trois civils morts, c'est game over », me glissait d'ailleurs à l'oreille, quelques minutes auparavant, un employé d'Ubisoft tandis que je testais, en grand professionnel, la modélisation des collisions entre un tracteur et des paysans.
Metal Gear flasque. Oui, le sentiment était mitigé. Car en dépit de ces éléments inquiétants, le jeu d'Ubisoft a pu se révéler étonnamment plaisant. Les armes ont de la patate, l'étendue de l'arsenal (avec une personnalisation des flingues qui vire à l'obscène) a de quoi provoquer des bouffées de chaleur aux amateurs de gun-porn et les missions ne semblaient pas dénuées d'une petite variété intéressante. Ici, il faut voler une voiture du cartel, située au milieu d'un camp. Ou un hélicoptère, à bord duquel les trafiquants se carapateront s'ils se sentent menacés. Là, il faut capturer vivant un membre de Santa Blanca, qui, selon les cas, s'enfuira en cas de danger ou se défendra. Autant de situations pour lesquelles l'approche traditionnelle « on rentre tous dans le camp à bord d'un pick-up en flinguant à tout-va » ne mènera pas loin. À l'inverse, l'aspect infiltration n'a pas non plus l'air extrêmement développé. Pas de petit jet de caillou pour attirer ou détourner une patrouille : on n'est pas dans Splinter Cell et la discrétion ne servira généralement qu'à rejoindre des positions stratégiques avant que les choses, fortuitement ou délibérément, ne dégénèrent.
Narco polio. Pour autant, entre joueurs humains, la mayonnaise peut prendre. Coordination, couverture mutuelle, avec le sniper qui se place sur ce promontoire et un autre qui prend possession d'un nid de mitrailleuses pour appuyer celui qui va s'infiltrer dans un bâtiment pour enlever un type, détournement d'un blindé, parce que merde, la subtilité, ça va cinq minutes, évacuation en hélico… « On se croirait dans L'Agence tous risques ! », lance un journaliste non identifié dans le feu de l'action. Et c'est vrai, il y a de cela. À la condition, toutefois, d'y jouer entre humains. Plus précisément, j'y mets ma main à couper (bon, disons, la gauche, minimisons les risques), avec des potes, sans quoi rien de tout cela ne va probablement fonctionner. Parce qu'en solo, GRW risque d'avoir une saveur bien différente, limite amère. S'il est techniquement possible de leur donner des ordres – et encore, pas individuellement – les trois compagnons IA du joueur se sont en effet montrés, au mieux, limités. Incapables de contrôler un véhicule, ils vous laissent faire le boulot alors que ce qui vous bottait, vous, c'était d'arroser ce laboratoire au lance-grenades depuis la rampe latérale de l'hélicoptère. Dans les pires cas, leur QI de poule sans tête en fait même des boulets, vaguement inutiles au combat et souvent prompts à se faire repérer lors d'une tentative d'approche discrète. Ce qui laisse penser que la meilleure utilisation possible de ces frères d'armes, outre une capacité de tirs synchronisés sur des cibles prédéfinies, certes pratique de temps en temps, se résumera à les utiliser comme aimants à balles ou comme saint-bernards quand le joueur est à terre. Bref, si les promesses de GRW vous séduisent un tant soit peu, attendez notre test pour savoir si les problèmes évoqués plus haut ont été réglés et assurez-vous d'avoir des gens de qualité avec qui y jouer.