Pourtant, sur le papier, que ce jeu semble ennuyeux. Parachuté sur une planète vierge par la société Ficsit, le « héros » de Satisfactory doit leur livrer, via un ascenseur spatial, une liste toujours plus longue de choses à produire sur place. Au début, ce ne sont que quelques pauvres plaques de métal. Alors je trouve un gisement, j'y construis un module de minage avec une poignée de ressources récoltées à la main, et je le relie à une fonderie par un petit tapis roulant. En sortent des lingots de fer, qui transitent, toujours par tapis roulant, jusqu'à un module de construction qui me sort 30 plaques/minute. Voilà le principe de base. Rien de bien excitant. Et ne comptez même pas sur la faune locale pour mettre de l'ambiance. Les quelques créatures présentes n'attaquent même pas les installations, tout au plus dois-je en défoncer quelques-unes à la matraque électrique lorsqu'elles tentent mollement de m'agresser.
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Satisfactory
Analyse d'usine
C'est quand même bizarre, le jeu vidéo. Là, sur mon PC, j'ai une demi-douzaine de titres installés, dans lesquels je pourrais être le plus grand héros de l'univers, vivre des odyssées épiques, dérouiller des cyborgs nazis ou des mutants radioactifs, sauver des mondes entiers. Mais ils ne m'intéressent plus. Non, ce que je veux faire, c'est rester l'ingénieur-esclave d'une mystérieuse corporation futuriste, optimiser des circuits logistiques, déployer des tapis roulants, planifier des extensions d'usine et fabriquer toujours plus de vis ou de bobines de cuivre. Satisfactory a fait de mon existence une triste course à la productivité, et j'en suis complètement accro.
Ce jeu est un odieux attentat écologique, alors pensez à trier vos déchets dans la vraie vie pour équilibrer votre karma.
Fabriquez c'est gagné. Une heure de jeu, deux heures de jeu, quatre heures de jeu... Les objectifs assignés par Ficsit deviennent de plus en plus complexes. Désormais, je dois livrer des plaques renforcées, qui nécessitent deux sous-produits à combiner dans un Assembleur. Et voilà qu'il me faut aussi exploiter des gisements de cuivre pour fabriquer des câbles, puis des gisements de charbon pour alimenter des générateurs, car la conso électrique de ma petite usine n'en finit plus de grimper. C'est alors qu'il se passe un truc dans le cerveau. Un appel sacré. Une pulsion irrésistible. On se dit « OK, je vais réorganiser tout ça à la perfection et faire de cette usine un chef-d'œuvre industriel ». Alors je coule des centaines de blocs de béton au sol pour délimiter différentes zones de production. Je réorganise le plat de spaghettis qu'était mon réseau de tapis roulants pour tout mettre à angle droit, raccourcir les distances. Je lance Excel pour rationaliser mes chaînes d'assemblage : « Donc, sachant que je dois produire 120 vis à la minute pour alimenter mon assembleur de plaques, combien de fonderies dois-je allouer au constructeur de barres de fer ? » Cinq heures de jeu, six heures de jeu, dix heures de jeu. C'est le drame. Je ne pense plus qu'à ça. J'ai griffonné quatre pages de schémas d'assemblage sur mon bloc-notes Rhodia, avec des flèches qui partent dans tous les sens.
C'est magnifique et je vais tout saloper. Contrairement à ce qui se fait dans les jeux de ce type, Satisfactory n'a pas cédé à la mode de la génération procédurale. L'énorme carte de 30 km² est faite à l'ancienne, à la main, par de petits artisans-graphistes consciencieux, et ça se sent. Elle comprend trois biomes ayant chacun leur ambiance, leur couleur, leur climat, des reliefs particuliers, des bizarreries géologiques... Du coup, lorsque l'usine doit tourner trente minutes pour produire une grosse quantité d'objets complexes, on peut partir explorer l'environnement, y trouver des animaux marrants, des grottes, des objets abandonnés, ou repérer une jolie plaine qui servira d'écrin aux vingt centrales à charbon qu'il faudra bien finir par construire. Les paysages sont magnifiques et l'Unreal Engine, que les développeurs ont déjà exploité sur leurs trois derniers jeux, est parfaitement exploité. Le frame rate est toujours satisfaisant, même quand une énorme usine bourrée de tapis roulants surchargés s'affiche à l'horizon. Bref, cette version anticipée à 30 euros bénéficie déjà de la finalisation d'un jeu à 50 euros.
Satisfactorio. Cette descente aux enfers dans l'optimisation logistique rappelle forcément celle que nous avons été quelques millions à vivre sur Factorio. Satisfactory sera présenté comme sa version 3D, et c'est tout à fait exact. On va donc les comparer. Factorio est plus compliqué, plus effrayant, plus profond. Satisfactory est plus beau, plus accessible, plus permissif, plus entraînant. Les outils de construction sont merveilleux, avec des tapis roulants et un réseau électrique qui se déploient gracieusement. La logistique peut être gérée très finement grâce à des splitters et des mergers de flux. Bien que la troisième dimension rajoute une certaine complexité au design d'usine, elle est parfaitement gérée grâce une gestion intuitive de la souris accompagnée d'une interface claire. Et il est tellement facile de bâtir, détruire et stocker dans Satisfactory qu'on n'hésite jamais à raser deux hectares d'installation pour tout réarranger proprement. Du coup, on ne s'arrête jamais de jouer. Il n'y a jamais d'excuse pour faire un Alt-F4 de lassitude. Certes, il est une heure du mat', mais je ne vais quand même pas aller me coucher sans réorganiser toute la production de Modular Frame et créer une nouvelle chaîne d'approvisionnement en lingot de catérium...
Si vous sombrez dans les concepts d'organisation avancés comme le Main Bus, Satisfactory a de quoi vous manger la tête pour des semaines entières.
Ne pensez pas à la planète. Même sur cette version anticipée tout juste sortie des fourneaux, il n'est pas facile de trouver un bug qui servirait d'excuse pour quitter le jeu. Avec Izual, qui a tout autant que moi été scotché, nous sommes partis à la chasse aux défauts. Et nous sommes presque revenus broucouille, comme on dit dans le Bouchennois. Tout au plus mon jeune collègue a-t-il remarqué que « ça manque peut-être un peu de finalité, car on ne sait pas encore pourquoi on doit crafter toutes ces choses ». Nous sommes aussi tombés d'accord sur le fait que la confection d'items « à la main » est parfois trop rapide. Des joueurs pressés pourront être tentés de passer quinze minutes à construire une série de produits sur le banc de crafting, plutôt que de prendre une heure pour installer une splendide chaîne d'assemblage automatique. C'est le genre d'équilibrage qui pourra être affiné durant les prochains trimestres. En revanche, ce qui ne changera pas d'ici la version finale, ce sont ces problèmes de conscience qui taraudent les joueurs sensibles. Même sans être un écolo hardcore, vous aurez sûrement un léger inconfort à débarquer sur une planète magnifique pour la bétonner comme un sagouin, consteller ses vallées sauvages et ses plages paradisiaques de lignes à haute-tension. Ce jeu est un odieux attentat écologique, alors pensez à trier vos déchets dans la vraie vie pour équilibrer votre karma.
Laisse béton. C'est donc en présentant mes plus plates excuses à Nicolas Hulot que je vais vivement vous encourager à céder dès maintenant au charme métallique et polluant de Satisfactory. Les Suédois de Coffee Stain Studios ont un grand jeu entre les mains. Comptez une bonne cinquantaine d'heures pour faire le tour de cette version anticipée, amputée pour l'instant de sa dernière partie – seuls six Tiers technologiques sont disponibles sur les huit que comptera le jeu à terme. Et si vous sombrez dans les concepts d'organisation avancés comme le Main Bus (déjà bien connu des vétérans de Factorio), l'extension modulaire d'usine ou l'optimisation de chaque mètre carré d'espace, Satisfactory a de quoi vous manger la tête pour des semaines entières. Les forums du jeu regorgent déjà d'usines hallucinantes, qui ont nécessité des centaines d'heures de jeu à leurs auteurs. Satisfactory est le premier grand simulateur 3D d'usine, et je pressens qu'on y jouera encore dans plusieurs années.