

Créateurs : Julien Chaput, Maël Brunet
Illustrateurs : Villő Farkas, Qistina Khalidah
Éditeur : Super Meeple (VO : Mindclash)
Date de sortie : mars 2025
Nombre de joueurs : 1 ou 2 (en solo, on joue Rôdeur contre un bot)
Nombre de joueurs optimal : 2 (même si le solo fait le taf)
Durée : 1 heure
Complexité : modérée
Surface de jeu recommandée : table de salon
Prix : 45 €
| Modifié le le 30 avril 2025
Le genre du duel à coups de cartes semble saturé. Entre Unmatched, Mindbug, Le Match du siècle et autres TCG, on voit mal comment s'y ménager une place. Et si la solution consistait à pousser l'asymétrie à l'extrême, jusque dans le matériel ?
En défense, les chevaliers érigent des forges lentement mais sûrement. Ils tentent d'accumuler des cristaux en escortant leur foreuse géante, écrin de leur trésor, telle une diligence de western. Enfin, des différences s'illustrent dans le mode de déplacement : si les protecteurs se meuvent en meute, leurs rivaux avancent un par un. Autant de dichotomies qu'il faudra intégrer pour l'emporter avec son peuple, ce qui rend les deux côtés hautement rejouables (même si les Rôdeurs se révèlent plus instinctifs).
Ent no sunshine
Avec son un rythme viscéral, Ironwood se vit comme un ping-pong dont on aurait troqué la balle pour la masse d’un fléau d’armes. À chaque manche, mon adversaire et moi jouons trois fois chacun une carte, en alternance, pour résoudre ses effets, de manière à ce que l'un puisse toujours répliquer au traquenard de l'autre. Une première saveur émane du bluff lié à la belligérance : les Rôdeurs tentent de vider des zones précises, représentées sur des cartes objectif face cachée, pour y découvrir leur totem puis ramener la coupe à la maison.S'agglutinent-ils autour de cet espace à dessein, ou s'agit-il d'une fourbe diversion ? Faut-il les laisser marquer ce point (la victoire en demande trois) ou tenter de les stopper à corps perdu ? Les fronts se multiplient et il sera impossible d'assurer toutes les batailles mais, à force de tenir, les assauts finiront peut-être par s'estomper. Pour peu que chacun comprenne ses enjeux-clés, le jeu déploie un équilibre ciselé et la majorité de mes parties (une petite dizaine) ont maintenu leur tension jusqu'au bout, avec des retournements de situation épiques.
Ironwood se vit comme un bon western où l'on ne sait plus qui, du shérif corrompu ou du renégat revanchard, incarne une brutalité légitime.
Bosquet embusqué
Car Ironwood brille incontestablement par son système de combat, qui reprend les bases d'Unmatched pour les sublimer. Ici aussi, chacun sélectionne une carte face cachée dès qu'une joute s'engage. Celle-ci n'affiche pas une seule valeur, mais trois : dégâts, défense et tactique. La première est soustraite de la deuxième : je te fais deux dégâts, tu as une défense, tu perds une troupe. Si aucun des deux camps n'a été annihilé par la passe d'armes qui précède, la tactique intervient et s'additionne au nombre d'unités restantes. On peut ainsi perdre un combat en abîmant sévèrement les effectifs adverses, ou le gagner à la Pyrrhus en risquant de s'essouffler. La richesse des dilemmes vient des deux types de cartes : celles de base, aux valeurs de combat faibles mais qui reviennent à chaque manche, et les avancées, très variées et plus puissantes mais à usage unique. Sprint ou marathon : à chacun de sentir le tempo d'un duel pour s’écharper sans écharde.Quels sont leurs réseaux ?
Le sublime plateau d’Ironwood se compose de montagnes bordées de forêts, chaque peuple ne foulant que son territoire natal. Les connexions qu’il affiche confèrent un étonnant sentiment de construction de réseau. Chaque unité ne pouvant se déplacer que d’une seule case par tour, il vous incombe d’anticiper les manœuvres adverses et de disséminer ingénieusement vos troufions. À la manière d’une équipe de rugby, les Rôdeurs peuvent se passer un totem de main en main jusqu’à le ramener à leur planque. Tandis que les Cuirassés ont intérêt à trianguler le tracé de leur foreuse avec des escouades pour éviter les larcins interlopes. On a parfois presque l’impression de pratiquer un jeu de train, la baston en prime.
Chêne Connery
Ironwood transpire l'ambivalence d'un bon western où l'on ne sait plus qui, du shérif corrompu ou du renégat revanchard, incarne une brutalité légitime. On ressent un frisson au moment de sélectionner sa carte digne des règlements de comptes les plus intenses. Intuitif, ce titre longuement développé par son duo d'auteurs recèle des subtilités qui transcendent l'expérience : les bonus de dégâts liés aux forges et aux golems, la possibilité de piller la capitale, l'explosivité des cartes spéciales. Elles s’apprennent au gré des parties et suscitent une envie constante d’y revenir, quelle que soit l’armée que l’on campe.Si le côté « fonce dans le tas » des Rôdeurs permet de découvrir les mécaniques dans l’allégresse, on en vient avec le temps à préférer l’âpreté de leurs tortionnaires métalliques. Avec les Cuirassés, chaque cristal compte. On se renforce à petit feu, mais il faut d’abord tenir face aux incessantes vagues ennemies en évitant d’être pris en tenaille. La sagacité aidant, on apprend à mouvoir sa précieuse foreuse avec précaution, à bâtir des fondations à chaque tour pour avancer inexorablement vers la sérénité. Car là où les êtres sylvestres tentent des percées qui les feront repartir de zéro si elles échouent, ceux des montagnes jouissent définitivement de chaque forge achevée. L’asymétrie dans laquelle baigne Ironwood va bien au-delà du matériel et des effets de cartes. Elle imbibe les sensations de jeu jusqu’à l’os. Osons le dire : c’est l’Unmatched du siècle.
Images © Mindclash / Super Meeple