Commençons par une de ces envolées d'optimisme qui caractérisent, paraît-il, la presse vidéoludique : « The Reunion », la première mission de Wolfenstein II : The New Colossus, est un chef-d’œuvre. Au terme de cinq mois de comaNote : 1, B.J. Blazkowicz se réveille dans les coursives d'un U-Boot (Unterseeboot, sous-marin en allemand) où s'affrontent nazis et membres de la résistance. Complètement paumé, le pauvre B.J. découvre en plus qu'il a perdu l'usage de ses jambes. C'est donc en fauteuil roulant qu'il va devoir mettre la pâtée aux hordes fascistes, car c'est comme ça qu'on dit ; plusieurs poissons forment un banc, plusieurs crabes un panier, plusieurs étourneaux un murmure et plusieurs fascistes une horde. Je ne sais pas si vous avez déjà essayé de vous déplacer en fauteuil roulant dans un sous-marinNote : 2 mais ce n'est pas une mince affaire. L'occasion pour les level designers de Machine Games de nous proposer un merveilleux (bien que beaucoup trop bref) niveau aux faux airs de jeu d'énigmes, dans lequel les escaliers peuvent être descendus mais pas remontés et où certaines coursives, juste assez larges pour que les ennemis y circulent, nous restent interdites. Et puis avouons-le, difficile de ne pas frétiller de plaisir en voyant un estropié tailler en pièces des dizaines de soldats nazis, qu'on choisisse d'y voir une allégorie antifasciste ou, tout simplement, un beau moment de consonance ludonarrative.
Note 1 : Dans lequel il a été plongé suite aux événements du premier épisode, sur lesquels nous ne reviendrons pas par crainte du divulgâchage.
Note 2 : Si c'est le cas, merci de contacter la rédaction, on a quelques questions à vous poser.
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Wolfenstein II : The New Colossus
Colosse aux pieds agiles
Voici en gros comment seront présentés les événements dans les livres d'histoire, que personne ne prendra au sérieux : « À l'été 2014, une bande de jeunes hommes sexuellement frustrés lança une campagne de harcèlement visant des développeuses et journalistes de jeu vidéo. Cette campagne a été l'un des principaux canaux de recrutement de l'alt-right, mouvement protofasciste qui, fin 2016, a contribué à l'élection d'un gâteux dont le principal conseiller était le cofondateur d'un site d'extrême droite. Six mois plus tard, des nazis défilaient dans les rues de Virginie. Mais l'industrie du jeu vidéo, chez qui tout avait commencé, ne resta pas sans réagir : au tournant de l'année 2018, de Far Cry 5 à Wolfenstein II, sortirent plusieurs titres qui mettaient en scène la droite radicale américaine. » D'avance, souhaitons bon courage aux profs du XXIIe siècle.
Garanti sans adjonction de pulp. Il y aurait beaucoup à dire sur la qualité d'écriture des nouveaux Wolfenstein, sur leur côté pulp capable du meilleur comme du pire, sur leur représentation des corps vulnérables ou anormaux des résistants (The New Colossus s'ouvre d'ailleurs sur les mots « Les vieux et les faibles sont condamnés ») face à ceux, secs et robotisés, des nazis. On attendra le test pour se prononcer de façon définitive, mais l'écriture de The New Colossus semble dans la droite ligne de l'épisode précédent. Sachez toutefois qu'on assiste souvent à de petites scènes joyeusement ironiques, et plus subtiles qu'il n'y paraît : un soldat SS qui confesse son admiration de la culture américaine à des membres du Klan, deux nazis qui se plaignent de la violence des résistants et se demandent à quoi ressemblera le monde si n'importe qui peut assassiner les gens qui ne pensent pas comme lui… Le moins que l'on puisse dire, vu le contexte politique actuel, c'est que les auteurs ont eu le nez creux. Mais revenons à notre héros. Passées les dix minutes nécessaires pour venir à bout de « The Reunion », Blazkowicz retrouve l'usage de ses jambes et The New Colossus un gameplay beaucoup plus classique. La deuxième mission proposée lors de ce hands-on se déroulait dans, ou plutôt sous la ville de Roswell, au Nouveau-Mexique. Là, dans un gigantesque complexe souterrain, est installé l'Oberkommando, quartier général de l'occupant nazi. La résistance, avec le sens de la mesure qui la caractérise, décide d'y faire sauter une bombe nucléaire tactique afin de frapper un grand coup, et de signifier au peuple que le combat pour la liberté continue. Bien évidemment, c'est B.J. qui est chargé d'aller planquer la bombe au milieu du bunker, et il retrouve vite ses marques.
Eichmann vs machine. La mission se déroule selon la formule étrennée dans The New Order. À chaque arrivée dans une nouvelle zone, le joueur a deux possibilités : tenter de la jouer fine, repérer les deux ou trois commandants susceptibles de donner l'alerte, se faufiler derrière eux et les neutraliser silencieusement (notez au passage que Blazkowicz a troqué son couteau de combat contre une hachette, histoire de rendre les exécutions plus savoureuses), ou bien foncer Sturmgewehr au poing et tirer dans le tas jusqu'à ce que plus rien ne bouge. En pratique, on est comme souvent contraint de mêler les deux approches : repéré au milieu d'une avancée discrète, on se retrouve obligé de finir le boulot à la sulfateuse. Tant mieux quelque part, puisque les combats de The New Colossus, encore plus que ceux de The New Order, sont excellents. Les armes ont un punch considérable, les nouveaux ennemis sont mobiles et dangereux. Mention spéciale aux espèces de terminators capables de sauter de mur en mur et de se téléporter latéralement pour esquiver les tirs. C'est nerveux, rapide, on sent que Doom est passé par là, et les grosses guitares de Mick Gordon, compositeur de la musique du jeu, nous le rappellent encore davantage. Cela dit, n'espérez pas cavaler en tous sens et à découvert tout en cassant des bouches comme le ferait le Doomguy. The New Colossus est dur. Très dur. La mission à Roswell se situait au tiers du jeu, m'a-t-on appris, mais sa difficulté était digne des derniers niveaux de The New Order. « Le jeu est difficile, oui, mais tout n'est pas encore équilibré », me précise-t-on. Pas assez en tout cas pour que les combats me semblent injustes. Il fallait simplement se montrer prudent, courir de couvert en couvert, économiser les munitions (les bougresses sont rares). Quand je suis mort, et je suis mort un bon paquet de fois, c'était toujours de ma faute.
Kapo bas ! Wolfenstein II : The New Colossus, à première vue, fait partie de ces suites dont on se demande ce qu'elles peuvent apporter. Après tout, The New Order avait déjà réussi l'essentiel : sortir la série de son image de parent pauvre des licences Id Software, faire oublier l'échec de l'épisode de 2009, donner enfin à Wolfenstein un gameplay moderne et une identité visuelle immédiatement reconnaissable. Après l'extension stand-alone The Old Blood, qui proposait un remake moderne de Wolfenstein 3D, on se disait que Machine Games avait fait le tour du sujet, qu'il n'y avait aucune raison d'y revenir une fois de plus. Il n'a fallu qu'une heure et demie à The New Colossus pour me convaincre du contraire. Entre les combats, plus rapides et exigeants, et le goût assumé pour le mélange des genres et le tragicomique (dans combien de pulp une criminelle de guerre nazie prendrait-elle le temps, entre deux exécutions de prisonniers, de sermonner sa fille obèse parce qu'elle mange des bonbons en cachette ?), il m'a donné l'impression que les développeurs avaient eu le temps, cette fois, d'approfondir leur sujet jusqu'à le maîtriser totalement. Après avoir donné une identité à Wolfenstein, ils ont réalisé tout son potentiel. Si les architectures à la Albert Speer et les camps de la mort de The New Order étaient impressionnants, aucun ne m'a paru aussi inquiétant que ces cinq minutes passées à traverser la ville de Roswell, mélange bioshockesque d'imagerie nazie, de folklore américain et d’humour grinçant. Mais peut-être est-ce l'air du temps...