Une réaction, celle du studio Campo Santo (Firewatch) était inédite : pour la première fois, un studio de développement a appelé publiquement ses pairs à cesser d’autoriser Pewdiepie à utiliser leurs jeux, considérant d’abord qu’il représentait un danger pour l’industrie du jeu vidéo et reconnaissant ensuite que profiter commercialement de ses vidéos posait un problème. Et Campo Santo a fait jouer les mécanismes prévus par le Digital Millennium Copyright Act (DMCA, loi américaine qui régule entre autres la protection du copyright sur Internet) pour faire retirer automatiquement un « Let’s Play » ancien de Firewatch de la chaîne Youtube de Pewdiepie. Cela malgré le fait que le site de Campo Santo autorise explicitement les youtubeurs à utiliser le jeu pour leurs vidéos.
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Pewdiepie, star et malédiction de Youtube
Oops, I did it again. Après des « plaisanteries » homophobes ou antisémites, Felix « Pewdiepie » Kjellberg, le youtubeur le plus célèbre de la planète, a créé le scandale en traitant un de ses adversaires de « négro » (nigger) en direct lors d’une partie de PUBG. Je ne tenterai pas ici de mesurer le niveau d’abrutissement de ce garçon, de toute évidence kilimandjaresque, mais d’évaluer les conséquences pour tout l’écosystème du jeu vidéo sur Youtube.
DMCA mon amour. Campo Santo a-t-il le droit de faire retirer une vidéo après l’avoir autorisée ? En droit américain, l’autorisation donnée publiquement aux youtubeurs est une licence d’utilisation. Sauf mention explicite contraire, elle est révocable à tout moment. À partir de cet instant, l’utilisateur est en infraction tant que les vidéos visées restent publiées. Est-ce que c’est juste ? Pas forcément. Est-ce que c’est légal ? Totalement. Notez que cela n’a rien de nouveau dans l’industrie du jeu vidéo : c’est également ce qui se passe pour un jeu sur Steam. Vous n’achetez pas un jeu, mais une licence d’utilisation pour un jeu, qui est également révocable : si vous trichez et que vous êtes banni, par exemple, vous perdez votre jeu sans possibilité de recours.
Pewdiepie pourrait contester la notification DMCA et si Campo Santo porte l’affaire devant les tribunaux, se défendre en arguant qu’il fait œuvre de création. La légalité des « Let’s Play » n’a pas encore été testée devant la justice américaine : la procédure serait très coûteuse (en millions de dollars) et l’issue incertaine. Donc tout le monde a intérêt à laisser la jurisprudence vide pour continuer à fonctionner comme actuellement : le « Let’s Play » est une infraction au copyright généralement tolérée par les détenteurs des droits lorsqu’ils y trouvent leur compte en matière de communication.
« Strike this way » (Run DMCA). Une procédure d’infraction au DMCA auprès de Youtube pour faire retirer une vidéo (ce qu’on appelle un strike) pose néanmoins quelques problèmes moraux. Tant que la jurisprudence n’est pas établie, le strike DMCA peut être utilisé, et il l’est déjà, pour faire taire à coup sûr les critiques ou les propos désagréables sur un jeu. C’est par exemple un combat constant du journaliste et vidéaste Jim Sterling. Cette menace pèse évidemment sur la richesse, le dynamisme et l’intérêt de l’écosystème vidéo sur la télé de Google.
Youtube ne fait pas d’interprétation du droit. Un peu comme en France, la plateforme est protégée en tant qu’intermédiaire à condition de mettre en place un système rapide et efficace de suppression des contenus frauduleux. Youtube a aussi son propre règlement intérieur, destiné à s’assurer que ses vrais clients importants, les annonceurs, soient heureux et continuent à y dépenser leurs sous. Ce règlement prévoit notamment qu’un compte soit automatiquement suspendu s’il cumule trois strikes. Il est parfaitement vain d’attendre de Youtube qu’il s’intéresse à la liberté d’expression. La seule question qui importera sera financière : à partir de quel moment les dérives d’une minorité de vidéastes abrutis (Pewdiepie est sans doute loin d’être le plus radical du lot, juste le plus connu) impacteront suffisamment le comportement des annonceurs pour que Youtube accepte de fragiliser son audience sur le jeu vidéo en durcissant les règles pour tous ? On sait aujourd’hui qu’à ses débuts, Youtube laissait délibérément publier des contenus illégaux qu’il était parfaitement capable d’identifier et de bloquer parce qu’ils contribuaient à construire son audience. Il est assez parlant de constater que malgré tout ce qu’il a déjà dit et fait, le compte de Pewdiepie, l’homme aux 57 millions d’abonnés, n’a pas été jugé en infraction avec le règlement de Youtube.