Avec ses temples précolombiens et sa jungle, l'île paradisiaque où nous lâche SOS rappelle un peu le décor des Indiana Jones. D'ailleurs, j'y fracasse des poteries antiques armé d'une machette, une forme d'archéologie que ne renierait pas le célèbre aventurier. Comme lui, j'ai une bonne excuse : si je saccage des tombeaux millénaires et que je fais exploser l'entrée de temples miraculeusement préservés, c'est parce que j'espère y trouver un revolver, des médicaments, un kit de crochetage ou des balles de petit calibre. Ça n'a aucun sens, je vous l'accorde, mais la télévision n'est pas réputée pour sa cohérence. Or, SOS se prend pour un jeu télévisé. Ses joueurs sont les candidats d'un « Koh-Lanta » un peu particulier, un battle royale où, à la différence de Playerunknown's Battlegrounds, tout ne réside pas dans le meurtre. L'objectif : voler l'une des statuettes cachées dans l'île et parvenir ensuite à s'échapper grâce à un hélicoptère qui passera à heure fixe. Évidemment, du meurtre, il y en aura à la pelle, ne serait-ce que parce que l'hélico salvateur ne disposera que de trois places pour quatorze participants. Mais il s'agira de ne pas tirer dans tout ce qui bouge comme une brute belliqueuse, non. Sinon, les téléspectateurs qui regarderont chaque partie de SOS risqueront de ne pas trop vous aimer.
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SOS
Anarcho-Lanta
Je l'entendais encore hier dans notre immeuble grouillant de startuppeurs : sans network pour fédérer les players grâce à une digital strategy, un jeu risque de se vautrer. Pour le dire autrement, comme me l'expliquait un ami philosophe, « de nos jours, il faut que la moindre crotte de pigeon sur le trottoir ait une communauté ». La plupart des jeux se contentent de créer un forum et un compte Twitter faussement enjoué, mais certains, comme SOS, essaient de pousser le concept de communauté encore plus loin. Jusqu'à lui donner une influence primordiale sur le déroulement de chaque partie.
Comme « Koh-Lanta », mais avec plus de massues cloutées et moins de lois qui prohibent le meurtre.
:rage: :rage: :rage: Au début, je ne me suis pas trop méfié : à ma première partie sur la bêta fermée de SOS, quand je suis apparu sur une plage et qu'un haut-parleur crachotant m'a invité à explorer vers le centre de l'île, je me suis dit que je devais me faire des alliés. Ça tombe bien : pour diversifier les parties, SOS nous place non loin d'un autre participant, avec qui on peut communiquer par radio pour fixer un point de rendez-vous. En l'occurrence, le type en question n'était pas hostile, et un high five plus tard (la méthode du jeu pour former une équipe et se voir sur la carte), nous caracolions de concert vers l'une des idoles. Devant un temple perdu, nous croisons deux autres candidats, occupés à tabasser à la hache un terrifiant colosse simiesque tout droit sorti d'un bouquin de Lovecraft. Au micro (indispensable pour jouer), on leur demande s'ils veulent se joindre à nous. « Bien sûr », nous susurrent-ils avant de nous faire un high five puis, dans un même mouvement, de nous planter une lame dans la nuque à tous les deux. Des alliances fragiles, de la méfiance, des trahisons : c'est comme « Koh-Lanta », mais avec plus de massues cloutées et moins de lois qui prohibent le meurtre. Et, surtout, avec des émojis. Devenu spectateur de mes bourreaux, j'ai pu réagir à leur partie en envoyant des smileys qui s'affichaient dans le coin de leur écran. Leur crime n'est donc pas resté impuni, puisqu'ils ont passé le quart d'heure suivant à voir un smiley furieux clignoter. Douce vengeance...
Loana vs H.P. Lovecraft. Bien sûr, l'interaction avec le public ne s'arrêtera pas aux émojis. En connectant un compte Twitch au jeu, les spectateurs pourront aussi, par exemple, décider du contenu des caisses larguées sur les participants lorsqu'ils auront eu la chance de trouver une fusée éclairante. Votre candidate favorite demande de l'aide ? Votez pour lui envoyer une bonne arme, car elle n'a trouvé pour l'instant qu'un couteau rouillé. Un participant insupportable et exsangue espère des médicaments ? Filez-lui des munitions de pistolet, ça lui apprendra à avoir une voix suraiguë. Pour ceux qui auraient raté quelques épisodes et qui ne connaîtraient pas les participants, le jeu organise une séance de rattrapage avant chaque partie, où chaque joueur a droit à quelques secondes de gloire : on montre son visage, il a le droit de dire quelques mots dans son micro et quelques adjectifs (solitaire, déloyal, inoffensif, tireur d'élite, etc.) résument automatiquement sa manière de jouer. S'il a déjà rencontré un autre participant, cette interaction est rappelée à grand bruit, du genre « PRÉCÉDEMMENT : UNTEL A TUÉ UNETELLE » avec des gros plans sur leurs visages empreints d'une expression comique. C'est là qu'on se dit que le mélange de deux trucs parfaitement exécrables (la télé-réalité d'un côté, le streaming participatif de l'autre) peut donner quelque chose de rigolo : invités à créer un spectacle divertissant, les joueurs ne hurlent en général pas « puteputepute » dans leur micro mais surjouent leur rôle de beau gosse amical, de ténébreux taciturne ou de brute sans cervelle. Agréable à jouer avec son exploration de grottes sombres peuplées de monstres et ses courses dans la jungle, SOS pourrait bien être également agréable à regarder : observer quelqu'un survivre difficilement, puis coopérer du bout des doigts avec un autre candidat pour finir par le trahir superbement s'annonce comme un divertissement bien supérieur à celui que la télé peut offrir. En plus, à la télé, ils ne s'explosent jamais le crâne à la masse, c'est vous dire le niveau d'ennui.