Avant toute chose, posons un peu le contexte. C’est important : ça me permet de vous signaler que, personnellement, je ne suis pas tombé raide dingue amoureux du premier Pillars of Eternity. Je lui reconnais un tas de qualités et comprend l’engouement qu’il a pu susciter auprès de nombreux rôlistes virtuels sevrés de RPG old school pendant tant d’années. Tous les ingrédients du genre étaient bien là, mais de toute évidence pas assemblés comme il le fallait pour mes goûts égoïstes. Comme si, en salivant devant la promesse d’un bon gros burger, je m’étais retrouvé devant un pavé de fromage saupoudré de miettes de steak et de pain, le tout placé entre deux grosses tranches de cornichon. Pas davantage, probablement, que cette ignominie gastronomique, je n'ai été capable d'en venir à bout.
Transformé en archive gratuite
- Cet article, initialement réservé aux abonnés, est devenu gratuit avec le temps.
Pillars of Eternity 2 : Deadfire
L'ancre de tes jeux
Les pirates sont à la mode ces temps-ci… On a l’impression d’en voir partout, de Sea of Thieves à Abandon Ship – dont on parlera dans le prochain numéro – en passant par le Skull and Bones d’Ubisoft à venir cette année. Même Pillars of Eternity 2 se… Ah, attendez. Izual me hurle dans l’oreille que lors d’un entretien l’an dernier, les développeurs avaient insisté, Deadfire ne sera pas un jeu de pirates. On y trouve des bateaux, des abordages, des îles tropicales, de… la… piraterie. Mais ce ne sera pas un jeu de pirates. Peut-être qu’ils estiment qu’il n'a pas assez de perroquets et de cache-œil pour prétendre à ce nom.
Les adeptes de l'optimisation vont pouvoir sortir leurs tableaux Excel.
Voyage, voyage... Le mois dernier, Obsidian a mis à disposition des backers (et des gentils journalistes) la bêta jouable de Pillars of Eternity 2. Deux îles à visiter et une poignée de quêtes seulement, certes, mais c'est suffisant pour se faire une idée des retouches opérées sur le système de jeu et sa narration. Pour ceux qu’ils l’ignoreraient, Deadfire est la suite directe du titre précédent. Notre personnage, qui possède la capacité de lire les âmes des gens, a vu sa forteresse réduite en tas de cailloux fumant par un dieu ayant repris vie dans sa cave – je résume, hein. Dieu qu’il se met en tête de poursuivre jusque dans l’archipel de Deadfire, sans doute afin de lui faire signer des papiers pour l’assurance. La démo débute sur le port d’une petite île évoquant l’Amérique centrale, dont la population fraîchement installée (une race qui évoque elle clairement les Amérindiens) connaît quelques soucis. Bien entendu, il sera possible de les aider à régler ces tracas, petits et grands, et de plusieurs façons différentes : diplomatique, bourrine, conciliante ou pas. Pas de doute, la patte Obsidian est bien là.
La ruée vers le lore Parmi les éléments qui m’ont chagriné dans le premier Pillars, le lore se trouve dans le trio de tête. Le lore, c’est cet ensemble d’informations plus ou moins importantes sur l’univers, son histoire politique et militaire, les races qui le peuplent, leurs coutumes... À la fois trop générique et trop abondant, il constituait davantage un frein qu’une motivation. Pillars 2 ne sera visiblement pas moins « généreux » en informations diverses. Mais au moins a-t-il eu la bonne idée d’adopter le système d’info-bulle expérimenté dans Tyranny. Imaginez qu’en jeu, la phrase « on entend voler les mouches » apparaisse dans un dialogue avec le mot « mouche » en gras et dans une couleur différente (c’est un exemple inventé, je vous rassure). Au passage du curseur, une explication surgit : « Insecte de la famille des diptères, que les rôlistes aiment à sodomiser quand ils prônent la supériorité des combats au tour par tour sur ceux en temps réel pausable, ou inversement. » D’un côté, on salue l’initiative, qui permet de ne pas être paumé dès que le nom d’un notable, d’un dieu, ou une expression en patois local surgit dans les conversations. De l’autre, on craint que les développeurs en profitent pour s’accorder un blanc-seing et qu’ils se lâchent plus que de raison, sans chercher à affiner, peaufiner une narration un peu pataude et longuette qui plombait le premier Pillars.
Terra incognita rolista. Premier constat : l’environnement change et ça fait du bien. Si l’univers, très générique, du premier Pillars s'inspirait de l’Europe médiévale, l’archipel de Deadfire est quant à lui proche de l’image que l’on se fait du Nouveau Monde : palmiers, plages de sable fin, jungles, voire déserts. Deuxième constat : cette suite a l’air moins verbeuse que son aîné, même si le lore n’est pas moins abondant (voir encadré). Troisième constat : si, environnements exceptés, le style Pillars est toujours palpable avec notre petit groupe de personnages en 3D se déplaçant dans des décors en 2D, on note pas mal de changements sous le capot. À tel point que je ne saurais par où commencer. Allez, disons par les combats, parce que l’on va de toute évidence en bouffer un paquet. Ces modifications vont des petites améliorations à la marge, comme le retarget permettant de modifier le point d'impact d'un sort pendant tout le temps de son incantation, jusqu'à un changement de philosophie générale.
Marave party. Oh, on reste toujours dans du temps réel avec pause active, évidemment. Mais cela mis à part, nos habitudes sont bouleversées, puisque l'utilisation des compétences de combat est soumise à de nouvelles lois. Chacune d'entre elles vient puiser, avec plus ou moins de gourmandise, dans une jauge que l'on pourrait assimiler à de l'endurance, et qui se remplit à nouveau – tout comme les points de santé – une fois l'affrontement terminé. Selon les classes, elle se nomme différemment : discipline pour les guerriers, ruse pour les voleurs… Même les mages avec leurs sorts y sont soumis à leur manière : ils peuvent, tout au long du combat, en lancer un certain nombre de niveau 1, 2, 3, etc. Fini, les sorts que l'on ne pouvait utiliser qu'une fois par jour dans Pillars, héritage des règles d'AD&D, et qui provoquait des hésitations à lancer ce sort unique, parce-qu'on-ne-sait-jamais-ce-qu'il-peut-y-avoir-derrière, quitte à le conserver ad vitam dans son emballage. En ce qui me concerne, c'est une bonne raison de sortir le champagne, mais nul doute que ce choix sera considéré par certains comme une hérésie et qu'ils préparent en ce moment même leurs allume-feux. Si la nouvelle unité de temps référence est le combat lui-même, le repos au coin de l'âtre ne perd pas son intérêt pour autant. Il reste l'unique solution pour à la fois soigner les blessures permanentes (et leurs malus associés), qui interviennent à chaque fois qu'un personnage est mis KO dans un combat, et restaurer leurs réserves d'« empower », sortes de jokers permettant de démultiplier l'effet d'une compétence ou regagner une partie de cette endurance maximale.
Les stats providence. Ceux qui pensent, au regard des nouveaux combats, que Pillars 2 est devenu plus simple se trompent. Les adeptes de l'optimisation vont pouvoir sortir leurs tableaux Excel : le nombre de statistiques dans les feuilles de personnages est affolant. Rien que pour l'évitement ou la mitigation des dégâts physiques, le jeu sort des formules tenant compte autant des caractéristiques de la cible (constitution, agilité…) que des différentes valeurs de protection de son armure (contondant, tranchant, pénétration…). Et les possibilités de multi-classage des personnages, autre grande nouveauté de Deadfire, ne devraient pas aller dans le sens de la simplicité. Si l'on ne peut que rester prudent, faute de contenu plus abondant, sur l'intérêt de l'histoire, et sa capacité future à saisir le joueur par le bras pour ne plus le lâcher, on ne peut nier qu'Obsidian a tenté de bien faire. Quelques exemples en vrac : l'immense variété des options de dialogues liées aux compétences passives (« Tiens, il y avait une alternative cachée, là, mais visiblement, je ne suis pas assez calé en histoire et en religion... »), la mutualisation de ces compétences au sein du groupe lors des tests, la gestion des voyages et du temps, avec salaires quotidiens à verser, stocks d'eau, de nourriture, de plantes médicinales, moral, réserves de boulets de canon… Ah oui, ça me rappelle qu'il a également le bateau, la base flottante du joueur.
Coques en stock. Loin d'être un artifice narratif doté d'un coffre (ah, la voiture de Fallout 2...), le navire occupera une place centrale dans Pillars of Eternity 2. Enfin, on suppose. Dans le cas contraire, on ne voit pas bien pourquoi l'embarcation disposerait de sa propre fiche de perso, avec des emplacements d'équipement pour les voiles, la coque, le pavillon, les différents modèles de canon... Jusqu'aux membres d'équipage, du barreur aux canonniers en passant par le cuistot, qui possèdent tous leur portrait, leurs statistiques. Je ne m'avancerai pas au point d'affirmer que les combats navals sont épatants. Mélange de questionnaire à choix multiple, à la manière des livres dont vous êtes le héros, de stratégie au tour par tour et de bugs étranges qui ont permis à un navire ennemi de me distancer malgré une intégrité des voiles à 0 % – on dira que c'est la faute à la bêta, ne soyons pas vaches –, l'exercice est au moins original. Et surtout, à l'instar des quelques autres ajouts, il devrait contribuer à intégrer de la variété et des changements de rythme au RPG d'Obsidian et lui permettre, espérons, de le rendre moins austère que son aîné.