Y a pas à dire, les Slaves, ils ont quelque chose en plus au fond de leur âme. Ça doit être les hivers rigoureux, ou l'alcool de patate, ou un siècle de communisme, je ne sais pas. Mais quand on voit le look de Cliff Empire, on devine tout de suite que ça n'a pas été développé par des Californiens en tongs. Tout est rectangulaire, lisse, métallique, stérile, le jeu est presque en noir et blanc et pourtant, cet étrange city-builder ukrainien est absolument splendide. Une véritable leçon de design minimaliste, on a envie de lécher l'écran. Mais attention, la langue risque de coller, car le climat est rugueux. Après un cataclysme ayant plongé la planète dans un hiver nucléaire, quelques humains réfugiés dans des stations orbitales décident de repeupler la Terre. La surface étant encore noyée sous les radiations, ils construisent de grands promontoires artificiels (les cliffs du titre) afin de rebâtir en leur sommet des cités fonctionnelles.
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Cliff Empire
La colline a du jeu
Mes plus plates excuses. Je ne vous ai pas encore parlé de Cliff Empire, alors qu'il est sorti en version anticipée il y a plus d'un an. Ma vie est tellement active (boîtes de nuit, défilés de mode, actions caritatives, orgies avec diverses célébrités...) qu'il m'arrive parfois de passer à côté d'un jeu. On va tout de suite rattraper le coup, car Cliff Empire m'a tapé dans l'œil.
Une leçon de design minimaliste, on a envie de lécher l'écran.
Pic de consommation. Le début de partie ressemble à un city-builder classique. Le jeu génère un terrain procédural avec trois plateformes indépendantes à coloniser, et on commence à bâtir l'essentiel : une aire de stockage pour les ressources, les premiers bâtiments, de l'éolienne ou du panneau solaire pour l'énergie, un champ de blé… Ensuite, il faut satisfaire les besoins primaires des habitants (nourriture, eau) et leur offrir quelques biens de consommation en transformant la Matière extraite du sol en meubles, gadgets ou appareils électro-ménagers. Des petits drones s'occupent de faire transiter les ressources des mines aux usines, des champs aux entrepôts, vous n'aurez même pas à construire des routes. Mais l'espace est limité. Et les plateformes à coloniser n'ont pas les mêmes caractéristiques. L'une n'aura pas d'uranium et manquera d'eau, l'autre aura une fertilité trop faible ou un ensoleillement insuffisant. Il faut donc rapidement développer une deuxième cité, puis une troisième, les spécialiser et les connecter entre elles par des ponts pour qu'elles s'échangent leurs marchandises. Là, ça devient plus compliqué.
Les cités d'or. Lorsqu'il s'agit de gérer les trois villes en simultané, Cliff Empire rappelle un peu Anno 1800. Il faut faire une pause, regarder attentivement les tableaux, les stocks de ressources, et organiser les flux logistiques entre les différentes villes, qui utiliseront des espèces de trains passant sur des ponts (ils sont d'ailleurs magnifiques, c'est un bonheur à construire) ou des navettes volantes. Mais l'idée originale – et la grande difficulté – de Cliff Empire réside dans la gestion des finances. Chaque cité a son propre compte en banque. Du coup, si l'une achète sans cesse de la nourriture à l'autre sans rien lui revendre, elle va se retrouver sur la paille. Il faut donc équilibrer soigneusement les spécialisations de chaque ville, leur production et les montants de marchandises échangées, afin que le pognon se transvase harmonieusement entre chaque promontoire. C'est un peu La Richesse des Nations d'Adam Smith (j'ai récemment pris l'audiobook lu par Jean-Marie Bigard) adapté en jeu vidéo. Bien sûr, il existe quand même un « robinet magique » à pognon – un splendide portail qui permet de vendre les ressources à la Station Orbitale – afin d'augmenter la masse monétaire disponible. Ajoutez à cela la gestion du chômage (il faut payer les habitants qui ne travaillent pas) et vous obtenez une belle petite simulation économique cohérente, au-dessus d'un city-builder beau comme tout.
Dumping ukrainien. Le résultat de cette belle formule, c'est que Cliff Empire est étonnamment addictif. On a autant envie de comprendre et maîtriser les mécanismes du jeu que de réussir, par pure gourmandise esthétique, à bâtir trois belles cités bourrées de gratte-ciel futuristes. Et c'est loin d'être évident. J'ai dû me concentrer sérieusement et lire quelques guides pour progresser vers le mid-game sans mettre mes promontoires en banqueroute. L'interface est un peu violente la première demi-heure, avec de grosses rangées de chiffres et des jauges bizarres, mais on finit par s'en sortir en recroisant les infos. Vous en aurez pour bien plus de dix heures avant de commencer à vous sentir à l'aise dans vos pantoufles de bourgmestre du XXVe siècle. Et je gardais le plus beau pour la fin : vu son contenu, sa beauté, son intelligence, Cliff Empire est vendu à un prix ridicule. Je me suis senti coupable de ne lâcher que sept euros pour un jeu pareil. Peut-être est-ce le reflet des différences de niveau de vie entre l'Ukraine et l'hémisphère ouest. Ou simplement un coup marketing des développeurs, qui ont fait le pari d'un tarif ultra agressif. À vrai dire, on s'en fiche, l'essentiel est que Cliff Empire est déjà un très bon city-builder au rapport qualité/prix à peine croyable.