On était nombreux à l’attendre, World of Horror, dont la conception pourrait presque faire l’objet d’un fait divers : « Un dentiste polonais crée un jeu d’horreur cosmique sur MS Paint, qui mêle les univers de Junji Itō et de HP Lovecraft. » Comme dans Spirale, l’une des meilleures œuvres d’Itō, son histoire commence dans une petite ville côtière japonaise. Nous sommes à Shiokawa dans les années 1980, des gens encapuchonnés se rassemblent à la nuit tombée et la fin du monde semble imminente, alors que des dieux anciens semblent tout juste se réveiller d’une grosse sieste. L’esthétique générale, qui évoque les heures les plus sombres de MS-DOS, est particulièrement réussie. Avec des amas de pixels disséminés çà et là et différentes palettes de couleur, le développeur panstasz instaure une vraie ambiance, que ce soit lorsqu’il représente des salles de classe abandonnées, un hôpital désert ou une bibliothèque regorgeant de livres poussiéreux. Et c’est aussi des contraintes de Paint que découle l’une des forces de World of Horror : alors qu’on ne dispose que de quelques vignettes et lignes de texte pour visualiser certaines scènes, le jeu est aussi très efficace dans ce qu’il ne montre pas, laissant notre imagination faire le reste.
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World of Horror
Dent pour dent
Mon dentiste est un être très bienveillant, et seuls ses goûts décoratifs discutables achèvent de me mettre mal à l’aise quand je lui rends visite. Mais à force de passer du temps sur sa chaise, je me demande à quoi il pense quand il observe la dentition de ses patients. Est-ce qu’il juge leur hygiène ? Est-ce qu’il a hâte de finir sa journée et de retrouver sa famille ? Est-ce qu'il réfléchit à la prochaine sélection de magazines people de sa salle d'attente ? Est-ce qu’il pense à une ville frappée par une malédiction, à des mannequins sans tête et à des lycéens japonais qui s’improvisent enquêteurs ? C'est en tout cas à ces choses que pense le développeur de World of Horror, qui s’avère être dentiste à temps partiel.
Parfois, votre personnage préférera lire des articles qui parlent de chiens mignons plutôt que de chercher des éléments utiles pour avancer sur son enquête.
Y a pas le feu Yozlazth. S’il marque d'abord par son aspect horrifique, World of Horror comprend aussi des éléments de RPG textuel et de roguelite. En début de partie, il faut choisir son personnage et le Dieu ancien dont la colère s’abattra sur la ville – par exemple Ath-Yolazsth, un gigantesque œil flottant dont le corps se rapproche inéluctablement de la Terre, ou Itothu, créature faite de flammes qu’on imagine être la cause de la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie. Côté personnages jouables, il y a Haru, fumeur invétéré qui commence avec un handicap lié à son addiction à la nicotine ; Aiko, capitaine d’une équipe de natation prédisposée au combat ; ou encore Couji, photographe rusé et perspicace. Chacun dispose de différentes statistiques – dextérité, force ou encore charisme – et de trois jauges à étroitement surveiller : l’endurance, la raison (qui détermine la santé mentale du personnage) et ce que le jeu dénomme la barre de DOOM, qui déclenche pour de bon la colère d’un Dieu ancien et se solde par un game over dès qu’elle atteint les 100 %. Cette barre peut progresser rapidement. Pour ça, il suffit que votre personnage choisisse arbitrairement de lire des articles qui parlent de chiens mignons et de légumes géants sur son ordinateur plutôt que de chercher des éléments utiles pour avancer sur son enquête. Beaucoup d’événements aléatoires peuvent vous pourrir une partie, comme ils peuvent permettre d'améliorer vos statistiques.
Phare est. À chaque aventure, il y a cinq mystères (sélectionnés au hasard sur les douze disponibles) sur lesquels enquêter. Dès qu’un mystère est résolu, on obtient une clé qui permet d’accéder au sommet d’un phare. Il y a par exemple cette affaire qui porte sur trois étudiants disparus, alors qu’ils réalisaient un documentaire sur les légendes d’une forêt. Il y a aussi ce restaurant de ramens surgi de nulle part, et qui attire chaque soir des foules entières qui ne s’arrêtent plus de manger. Ou encore cette rumeur, qui prétend qu’un marin est devenu fou après avoir longuement vogué sur l’océan. Bref, il y a de quoi faire, d’autant plus qu’il existe entre deux et cinq dénouements pour chaque enquête. Pour chacune d’entre elles, il faut se rendre à divers endroits, bien indiqués sur l’écran, où plusieurs événements peuvent survenir. Parfois, ce sera juste un innocent dialogue avec un personnage rencontré sur le chemin – ou un choix anodin, comme prendre le métro ou marcher. Parfois, ce sera le moment de combattre des créatures immondes qui surgissent à l’écran en un battement de cils.
Arme d'infortune. Le système de combat se fait au tour par tour. Il faut remplir une barre de 200 unités – on peut notamment sélectionner des attaques (que ce soit à l’aide d’armes ou à mains nues), demander à un allié de distraire son ennemi, ou encore récupérer une arme de fortune (ce qui vous contraindra parfois à devoir vaincre une femme menaçante au visage scarifié à l’aide d’un pauvre bout de bois, mais qui peut aussi s’avérer utile). Entre deux enquêtes, le personnage peut rentrer chez lui et prendre une douche (à supposer que l’eau ne soit pas déjà contaminée par l’ire d’un Dieu ancien), s’habiller, ou encore traînasser dans un magasin pour y acheter des armes et des cigarettes. Alors certes, la proposition peut paraître assez aride de prime abord, avec une interface utilisateur à laquelle il faut du temps pour s'habituer, mais elle est très efficace pour peu que l’on adhère à sa direction artistique. Une fois ces pages rendues et mon dur labeur accompli, je sais que je n’aurai envie que d’une chose : m’y replonger, quitte à perdre tout ce qu’il me reste de raison sur fond de musique chiptune.