Gronaz, ce n'était pas son vrai nom. En réalité, il s'appelait… Je ne sais plus trop, un truc du genre Zuvgloruluk le destructeur. Mais moi je l'appelais Gronaz. Gronaz la flippette, pour être précis, puisqu'il avait une trouille insondable du feu et des caragors. Cette sous-fiente située au plus bas de l'échelle dans l'armée de Sauron, je l'ai placée sous mon contrôle grâce au pouvoir de l'anneau. Et je m'étais fixé comme mission de lui faire gravir les échelons jusqu'au sommet de la hiérarchie. Sans relâche, je l'ai assisté dans ses duels pour défaire ses supérieurs, protégé des manigances orchestrées par des subordonnés trop ambitieux. Gronaz était mon poulain, ma chose, mon jouet et si cet objectif très personnel de conquête du pouvoir par procuration n'était absolument pas indispensable pour finir le jeu, il n'en constitue pas moins le meilleur moment que m'a offert La Terre du Milieu : L'Ombre du Mordor, sorti en 2014.
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La Terre du Milieu : L'Ombre de la guerre
La ruée vers l'orque
Connaissez-vous l'histoire de Gronaz ? Gronaz était un chefaillon orque croisé dans le Mordor. Dès notre première rencontre, ce fut le coup de foudre : il m'a insulté comme personne, je me suis essuyé les bottes sur sa face de rat et après, et après on ne s'est plus quittés. Quand Gronaz est mort, boulotté par un caragor, j'ai chialé comme un gosse.
Bac à fables. Si j'évoque aujourd'hui le funeste parcours de Gronaz, c'est parce qu'il est indispensable, pour parler de la suite du jeu de Monolith, L'Ombre de la guerre, de souligner les forces de son prédécesseur. À commencer par la plus grande : celle de permettre de (se) raconter des histoires. D'une part grâce au « gameplay émergent » induit par son monde ouvert, qui peut faciliter – ou compliquer effroyablement – la moindre tâche, avec l'arrivée inopinée de bêtes sauvages ou l'intervention de chefs orques supplémentaires, aboutissant à des situations allant du surprenant à l'indémerdable, en passant par l'hilarant. Et d'autre part grâce au système Némésis, qui confère à tous les chefs orques des traits physiques et des capacités aléatoires, évolutifs, et leur permet de se rappeler les précédents affrontements avec le héros Talion, créant des liens, des historiques et des rancunes. Assaisonnée de combats bien fichus, hérités des excellents Batman de Rocksteady, la mixture faisait oublier les quelques lacunes du jeu, comme sa répétitivité ou le manque de variété de ses environnements.
Talion compensé. Trois années plus tard, voici donc annoncée sa suite, L'Ombre de la guerre. Un projet présenté comme « le titre phare de la Warner » de 2017 et qui affiche clairement son intention de faire PLUS. Oui, en majuscules et en gras. Plus grand, plus varié dans ses environnements, qui comprendront une partie du Gondor(1) et du Mordor. Plus de variété également chez les orques, divisés en tribus, possiblement antagonistes, ce qui pourra ajouter au joyeux bordel ambiant et offrir des possibilités rigolotes de déclenchement de guerres internes. Plus de violence, alors que la barre était déjà placée sacrément haut, plus de bêtes à chevaucher, et plus grosses (genre, un drake, parce que pourquoi pas, hein ?), plus de pouvoirs, plus de profondeur dans le système Némésis et la possession. Sur ce dernier point, rappelons que L'Ombre du Mordor permettait, par le truchement d'une domination mentale magique très amusante – mais qui intervient un peu tard dans le jeu – de contrôler non seulement des chefs de guerre, mais également des troufions de base et de se constituer ponctuellement de petites bandes d'orques pour nous assister au combat. Ce concept sera, dans le second volet, considérablement développé puisque c'est une véritable armée que Talion pourra monter. Avec ses propres chefs, tout aussi aléatoires et évolutifs que les boss ennemis. Ces braves lieutenant orques pourront donc, avec le temps, gagner en puissance, tisser des liens spéciaux avec votre ranger possédé – on imagine d'iconoclastes mais bien innocentes bromances, sauf si le projet est confié à Bioware avant sa fin, et dans ce cas on risque de bien rigoler – mourir ou retourner leur veste.
Note 1 : La ville de Minas Ithil, pour les amoureux de Tolkien qui n'auraient pas encore fait un AVC devant les innombrables entorses faites à son univers par la licence.
Flambée de l'immobilier. Et quand on est un ranger immortel, que peut-on bien faire d'une armée ? Eh bien, s'en servir pour conquérir une région, tiens. Autre changement radical par rapport à son prédécesseur : chacune des zones de la carte contient une forteresse abritant le maître des lieux. Une fois sous le contrôle indirect de Talion – en plaçant le chef local sous son contrôle, ou en le massacrant pour promouvoir l'un de ses lieutenants au rang de chef de guerre à sa place –, il sera visiblement possible d'en tirer des ressources et d'améliorer ses défenses. Ce qui laisserait donc sous-entendre que l'ennemi sera susceptible de la reprendre, conférant à L'Ombre de la guerre une nouvelle dimension assez séduisante. Mais avant, donc, il faut prendre possession de cette place forte. C'est précisément l'objet de la séquence de jeu qui a été présentée par Warner : une bataille de siège. Oubliez donc les « forteresses » ouvertes du précédent épisode, juste bonnes à pondre des marées d'ennemis et dans lesquelles il ne faisait pas bon traîner. Pensez plutôt « bataille de Minas Tirith » ou « gouffre de Helm ». Talion, ses lieutenants et sa piétaille doivent donc péter la porte, faire sauter les enceintes, bref : se frayer un chemin et défaire deux sous-chefs avant d'aller faire la causette au patron local. Notez qu'à en croire le studio, Talion aurait pu prendre le parti de la discrétion, s'infiltrer dans la forteresse et aller directement voir le boss, mais ça ne figurait pas au programme du jour.
Mordor à poings fermés. Force est de reconnaître que la séquence de l'assaut s'avère impressionnante et alléchante. Et la volonté de Monolith de faire émerger des histoires criante. Presque trop criante. Au cours de l'assaut, Talion voit l'un de ses lieutenants trolls mourir carbonisé, un autre, infiltré préalablement dans la forteresse, le tirer d'une situation désespérée d'un carreau d'arbalète et un troisième faire irruption dans la salle du trône pour lui sauver la mise lors du combat final. Le tout au cours de cinématiques très hollywoodiennes dont on jurerait qu'elles étaient scriptées jusqu'à la moelle. « Que nenni ! », assure Monolith, qui promet que ces séquences seront dynamiques et aléatoires. On attend impatiemment de voir s'il s'agit d'une enthousiasmante réalité ou d'un simple effet de manche destiné à cacher une poignée d'événements scriptés qui tourneront en boucle. Tout comme on espère que si les orques ennemis attaquaient poliment Talion l'un après l'autre (chose qu'ils ne faisaient pas, loin de là, dans L'Ombre du Mordor), c'était pour les besoins de la démonstration, pour ne pas coller la honte à l'employé qui tenait la manette. Oui, on croise les doigts car si les promesses sont tenues, je réserve ma place pour jouer à nouveau à la poupée avec mes orques.