Streets of Rogue, par exemple, est un beat-them-all-jeu-d'aventure-rogue-like-GTA-jeu-de-rôle. Durant un bref et amusant didacticiel, le joueur est recruté par un groupe de résistants bien décidés à renverser le maire tyrannique d'une mégalopole cradingue. Puis, au fil de niveaux générés aléatoirement (c'est un rogue-like), le joueur va devoir tabasser des gens en cliquant comme un fou (c'est un beat-them-all), récupérer des objets et accomplir des missions (c'est un jeu d'aventure) pour gagner des niveaux d'expérience (c'est un jeu de rôle) dans une ville où il est libre de commettre tout un tas de délits (c'est un GTA-like), le tout dans des décors 8-bit et au son d'une bande originale bourrée de références (c'est un jeu indé). Ainsi décrit, Street of Rogue semble partir dans plus de directions qu'un bipolaire hyperactif qui aurait laissé tomber sa plaquette d'amphétamines dans son Red Bull. De quoi être inquiet car, comme disait mon grand-père cuniculophile, « qui court plusieurs lièvres à la fois, mal étreint ». Et pourtant...
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Streets of Rogue
Rogue dur
Les Habsbourg, qui ont régné sur l'Espagne pendant deux siècles, ont porté la consanguinité au rang d'art. Après des générations d'inceste et de difformités variées, leur décrépitude a fini par engendrer un chef-d'œuvre : Charles II d'Espagne (1661-1700), un pauvre type au crâne tellement tordu qu'il n'arrivait pas à mâcher et bavait en permanence. Parfois, devant la tendance des jeux indés à se mélanger n'importe comment pour donner naissance à des machins tout tordus, FPS-puzzle, sokoban-STR, je me demande s'ils ne finiront pas de la même façon.
Rogue against the machine. Si le jeu de Matt Dabrowski parvient malgré tout à rester cohérent, c'est parce que son auteur a su choisir, parmi tous les mécanismes et les influences glanés à droite à gauche, une colonne vertébrale : la génération aléatoire. Streets of Rogue ne se contente pas d'exploiter avec génie l'explosion combinatoire propre aux rogue-like. Contrairement à ces derniers, qui génèrent une abondance d'objets, d'ennemis et de labyrinthes différents, lui produit des gameplays. Les missions aléatoires proposées au joueur (deux ou trois par niveau) sont en elles-mêmes assez variées : sauver un prisonnier, tuer quelqu'un, récupérer un objet... La plupart d'entre elles peuvent de plus être accomplies de façons très différentes. Pour acquérir les biens de quelqu'un, on peut le tuer bien sûr, mais aussi le menacer verbalement, le corrompre... Selon le personnage que le joueur a choisi d'incarner (il y en a vingt pour le moment), certaines solutions sont préférables. Le voleur, par exemple, peut se téléporter à travers les murs mais est haï des commerçants, qui le chassent dès qu'il passe le seuil de leur boutique. Le fragile hacker peut activer les ordinateurs à distance pour désactiver les systèmes de sécurité ou les retourner contre les occupants d'un bâtiment et tuer sans jamais approcher de sa cible. Le gorilleNote : 1 cogne fort mais ne peut ni parler – donc commercer, négocier ou recruter un allié – ni utiliser d'armes à feu. Selon le personnage choisi, les goûts du joueur, les missions et les circonstances, un niveau de Streets of Rogue peut finir dans un bain de sang digne de Broforce, n'être qu'une suite de négociations et de jets de personnalité, ou bien une série d'opérations d'infiltration durant lesquelles le joueur berne ou évite gardes, caméras et systèmes de sécurité.
Note 1 : Oui, il s'agit d'un vrai *gorilla gorilla*, pas d'un videur.
Rogue de dents. À la variété des missions et des personnages s'ajoute celle des interactions possibles avec le moindre objet de l'environnement – l'influence des rogue-like old school est là aussi très claire. Une fenêtre peut être découpée, cassée, ou simplement cognée pour attirer l'attention ; les membres de gangs qui traînent dans la plupart des niveaux peuvent être recrutés et servir de chair à canon, les policiers corrompus pour fermer les yeux sur nos agissements. L'équipement – mines de toutes sortes, poisons et drogues variés, bonus passifs, gadgets en veux-tu, en voilà... – diversifie encore davantage les approches possibles, d'autant que, comme les compétences gagnées par le joueur à chaque niveau d'expérience, il est distribué de façon semi-aléatoire. Calmez-vous, je vous explique. Depuis des temps immémoriaux, il est convenu qu'au fil de sa progression dans un rogue-like ou dungeon crawler, le joueur reçoit de l'équipement (généré au pif et balancé dans les niveaux) et des compétences (qui sont quant à elles choisies librement). Point de cela dans Streets of Rogue. Objets obtenus en récompense d'une mission accomplie et compétences offertes quand le joueur a assez d'XP sont tous deux sélectionnés aléatoirement dans une liste que le joueur débloque peu à peu au fil de ses runs. Certes, il est possible de choisir entre trois ou quatre compétences piochées aléatoirement à chaque passage de niveau, mais cela rend assez difficile de planifier un build.
Rogue de vaincre. De façon générale, et c'est aussi ce qui fait le charme de Streets of Rogue, mieux vaut ne pas trop planifier. 'Ça se trouve, au prochain niveau, des bombes tomberont du ciel et détruiront la ville, vous obligeant à rester constamment en mouvement. Ou bien des vagues radioactives viendront balayer les rues toutes les 15 secondes, obligeant les joueurs à se planquer régulièrement dans un bâtiment. Car Streets of Rogue, avant d'être un générateur de situations imprévues, reste un jeu d'action. Les combats sont violents à souhait, nécessitent de taper comme un connard ou d'arroser au Uzi tout en courant en cercle pour éviter les balles ennemies. Les cadavres volent en morceaux, les mandales propulsent les ennemis à travers les murs, tout explose, ce n'est pas toujours très lisible mais ça reste amusant. Quand on y joue à plusieurs en coop' (jusqu'à quatre, en local avec des pads ou en ligne), le chaos est indescriptible. Enfin si on le désire, bien sûr. On peut toujours tenter une coopération entre hackeur et voleur pour accomplir les missions proprement et sans faire couler le sang, ou n'importe quelle autre combinaison... « Oui mais quand même, ça reste trop difficile pour moi. J'aimerais bien jouer un voleur, tranquillement, sans avoir à me soucier des bombes et des radiations », râle Roger-les-mains-gauche. Eh bien, mon cher Roger, vous n’aurez qu’à désactiver les catastrophes environnementales, ou les armes à feu, ou n’importe quoi d’autre, grâce à l’un des nombreux « mutators ». Quant à ta sœur Roberta-l'éclair, elle pourra toujours utiliser le mod qui rend le jeu 30 % plus rapide, celui qui divise par deux les points de vie du joueur et des ennemis, et bénéficier d'une expérience ultra-hardcore. Il est comme ça, Streets of Rogue, il veut faire plaisir à tout le monde. Le pire, c'est qu'il y parvient.