Vagabond, vous avez temporairement posé votre baluchon dans le tripot d'une petite ville des États-Unis durant la Grande Dépression. L'occasion de faire un petit poker et, qui sait, de gagner quelques pièces pour la suite du voyage. Vous remarquez vite que les autres joueurs – notables de province ou ouvriers, peu importe, tout le monde s'assoit à la même table et joue avec les mêmes cartes – n'ont qu'une vague connaissance des subtilités du jeu. À part un, le seul dont la pile de pièces augmente autant que la vôtre. Il vous propose une dernière partie, un quitte ou double. Vous tentez le coup, en sachant que vous n'aurez pas de quoi payer en cas de défaite, au pire il sera déjà temps de quitter la ville. Vous perdez, bien sûr. Votre adversaire sort de l'ombre et révèle un visage carnassier, un véritable loup. Il ne vous laisse guère le choix : pour rembourser votre dette, il vous faudra errer à travers les États-Unis comme une âme en peine en découvrant des histoires, en les racontant, en les transmettant au fil des rencontres. Le jeu commence.
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Where the water tastes like wine
Le conte est bon
Nous sommes fin août 2017, dans un parc des expositions teuton au charme indépassable (il ressemble curieusement aux prisons stériles que l'on voit dans les séries télé futuristes), l'après-midi touche à sa fin, dans environ une heure je prendrai le train du retour vers Paris, autant dire de la délivrance, bref, je suis fatigué. Et pourtant, complètement fasciné, je n'arrive pas à décoller mes yeux et mes oreilles de Where the water tastes like wine, alors que j'ai déjà largement dépassé le temps normal de la présentation. Quelques heures plus tard, plongé dans mon lit et dans un doux sommeil, j'en rêverai.
Avec des récits, on mettrait Paris en bouteille. Vagabond toujours, vous marchez désormais à travers les grandes étendues des États-Unis, vous arrêtant parfois dans un village ou une ville plus grosse. À chaque halte, vous vivez un petit événement anodin ou étrange, vous découvrez une anecdote : un arbre vivant dans une carcasse de voiture, une petite fille qui refuse que son père revende sa vieille bagnole, deux frères qui se retrouvent par hasard dans la rue après trente ans sans se voir (et qui manquent de se faire écraser à force de rester sur la chaussée)... Ce n'est pas grand-chose, mais cela suffit pour alimenter vos conversations avec les autres vagabonds que vous croisez parfois, au coin d'un feu de camp. Eux aussi vous apprennent des récits, eux aussi raconteront les vôtres. Au fur et à mesure de votre exploration de l'Amérique du Nord, vos histoires évolueront sans vous, on vous en racontera des versions modifiées, améliorées, dramatisées, que vous pourrez vous aussi reprendre à votre compte (ou à votre conte, si l'on peut dire). Développé par l'un des créateurs de Gone Home, écrit par une multitude d'auteurs (dont quelques têtes connues dans le monde des jeux narratifs : Emily Short, Cara Ellison et Duncan Fyfe, entre autres) et entièrement narré par un acteur à la délicieuse voix grave, Where the water tastes like wine rappelle l'excellent 80 Days d'Inkle, où là aussi l'essentiel se trouvait dans les historiettes récoltées au cours du voyage plus que dans l'aventure des protagonistes. Je croise désormais les doigts pour qu'il soit aussi réussi qu'il en a l'air.