Avant de nous pencher sur le cas du Hornet, commençons par rappeler ce qu’est DCS World. Au début du XXIe siècle, la simulation de vol militaire sur PC n’est plus que l’ombre d’elle-même. Si les amateurs de coucous de la Seconde Guerre mondiale peuvent encore s’amuser, les fans de chasseurs modernes n’ont que leurs yeux pour pleurer. Les excellents jeux Microprose (F-117, Falcon 4.0, F-14 Fleet Defender…) puis Jane’s (USAF, F-15, Israeli Air Force, F/A-18…), qui ont fait la joie de nos joysticks dans les années 1990, n’ont jamais trouvé de successeurs. Seul espoir des amateurs de bombes à guidage laser, le leak du code source de Falcon 4.0 en 2000, qui a permis à quelques fans motivés de créer Falcon BMS, version communautaire et améliorée de cet extraordinaire simulateur de F-16. Mais voilà qu’en 2004, un développeur russe du nom d’Eagle Dynamics, à qui l’on devait déjà Su-27 Flanker, sort l’excellent Lock On : Modern Air Combat, immédiatement considéré par la critique comme la nouvelle référence de la simulation sur PC. Forts de leur succès, les Russes enchaînent en 2008 avec DCS : Black Shark, simulateur ultra détaillé du Ka-50, un hélicoptère d’attaque russe. Le niveau de détail du titre, inédit pour un appareil militaire moderne (presque tous les systèmes sont fidèlement modélisés et chaque bouton du cockpit cliquable), lui vaut un accueil retentissant. En 2010, Eagle Dynamics enfonce le clou avec DCS : Warthog, reproduction encore plus fidèle et détaillée de l’avion d’attaque américain A-10C. Enfin, en 2011, ces deux projets sont fusionnés au sein de DCS World : un free-to-play de simulation militaire qui donne gratuitement accès à deux appareils (le Su-25T et le TF-51D), les autres devant être achetésNote : 1 sous forme de modules développés soit en interne par Eagle Dynamics, soit sous licence par des studios externes. On a ainsi eu droit, au cours des dernières années, à un Mig-21, un Mirage 2000, un hélicoptère Huey et j’en passe, mais pas de nouveau module made in Eagle Dynamics, jusqu’à aujourd’hui.
Note 1 : À vil prix : avec des tarifs entre 40 et 80 balles le tas de ferraille, on peut même parler de macrotransaction.
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DCS : F/A-18C
Taille de guêpe
Cela fait plus de six ans qu’Eagle Dynamics évoque régulièrement la sortie prochaine de DCS : F/A-18C, qui commençait à atteindre le statut peu enviable de Duke Nukem Forever de la simulation militaire. Et là, alors que plus personne n’y croyait, le voici qui débarque en accès anticipé. Mais attention, un accès très, très anticipé : le F-18 Hornet que vous pouvez acheter dès aujourd’hui pour la modique somme de 80 dollars ne dispose que de 10 % de son armement et d’une maigre fraction de son avionique. Le reste sera ajouté au cours des mois (des années ?) qui viennent. Face à cette situation pour le moins contestable, Eagle Dynamics a sorti un argument massue : « Ainsi, vous pourrez apprendre peu à peu chacun des systèmes de l’appareil, comme le ferait un vrai pilote. » Comme quoi le marketing est un métier, et le foutage de gueule un art.
La quantité de senseurs et de systèmes d’armement annoncés pour la version finale donne l’eau à la bouche.
Frelon comme un jour sans pain. Cela explique en partie pourquoi ce F/A-18C était attendu comme le messie, mais en partie seulement. Le Hornet sera surtout le premier appareil multirôle moderne à débarquer dans DCS World, dont les modules concernent pour la plupart des avions anciens ou hautement spécialisés. La quantité de senseurs et de systèmes d’armement annoncée pour la version finale donne l’eau à la bouche, avec une trentaine de bombes et missiles différents : HARM anti-radar, Harpoon anti-navire, bombes laser et GPS, missiles Maverick à guidage infrarouge ou laser, et même du matos extrêmement moderne, qu’on aurait imaginé encore trop protégé par le secret défense pour figurer dans une simulation aussi réaliste, comme le SLAM-ER, entré en service en l’an 2000, d’une portée de 250 km (ce qui risque d’être un peu beaucoup vu la taille des cartes de DCS World, voir encadré « La carte et le dérisoire »). Mais ça, ce ne sont que des promesses, des annonces, ce à quoi on aura droit quand le module sera terminé. Car il le sera, je n’en doute pas une seule secondeNote : 2 : le F/A-18C sera le nouveau module « vitrine » de DCS World, et bénéficiera sans aucun doute du même soin que ses deux prédécesseurs, eux aussi sortis en kit et aujourd’hui irréprochables. Toujours est-il qu’aucune date n’est encore annoncée pour la version finale. Connaissant l’obsession d’Eagle Dynamics pour le détail, et sachant qu’on trouve des posts de forum de février 2015 dans lesquels les développeurs expliquent que « le travail sur le radar air-sol du F-18 avance bien » et que, trois ans plus tard, ce dernier n’est toujours pas opérationnel, on vous conseille de vous armer de patience, faute de mieux.
Note 2 : J’accepterai de bonne grâce vos tweets d’insultes dans deux ans s'il s'avère que je me suis planté.
La carte et le dérisoire. Autre promesse de longue date d’Eagle Dynamics à laquelle personne ne croyait plus, la carte « Détroit d’Ormuz », rebaptisée depuis « Golfe persique », est sortie une semaine avant l’accès anticipé du F-18. Là encore, devant le résultat, impossible de ne pas se demander à quoi Eagle Dynamics a bien pu consacrer les années qui se sont écoulées depuis la première annonce de la carte. Certes, elle est magnifique, et très crédible : chacun de ses 200 000 km² a été fidèlement recréé d’après photos satellite. Seulement voilà, le détroit d’Ormuz, même renommé Golfe persique, c’est un peu triste niveau scénarios possibles : n’espérez pas aller jusqu’au Koweit ou en Irak, la carte ne comprend qu’un bout d’Oman et des Émirats arabes unis, ainsi que l’extrémité sud de l’Iran. Une fois sorti de quelques rares zones incroyablement détaillées, comme Dubaï et ses îles artificielles, on a surtout droit à du sable au sud et à des montagnes au nord. Et, surtout, si 200 000 km² pouvaient constituer un terrain de jeu adéquat pour le Ka-50 (un hélicoptère) ou le A-10 (un avion d’attaque à la cadence de sénateur), ils sont bien étroits pour un chasseur supersonique comme le F-18, ou pour les systèmes antiaériens modernes capables de lui faire face. « Ne vous inquiétez pas ! a récemment expliqué Eagle Dynamics, dès que la technologie le permettra, nous agrandirons les cartes, et nous pourrons même les connecter pour que vous puissiez voler du Caucase jusqu’à Ormuz ! » On rigole doucement : non seulement DCS World peine à charger les cartes actuelles en moins de cinq minutes depuis un SSD, mais le maigre détroit d’Ormuz est vendu 50 euros. On imagine le coût, en temps et en argent, d’une carte qui irait de la mer Noire à celle d’Arabie.
Ramasse-viêts. Parce que pour le moment, vous allez surtout vous armer de bombes non guidées (Mk82, 83 et 84) larguables uniquement en mode CCIP (le mode le plus simple : une croix sur le HUD vous indique où la bombe va tomber lors d’un largage en piqué), de missiles air-air Sidewinder et Sparrow aux portées bien modestes, d’un canon de 20 mm et de roquettes. Soit en gros de l’armement dont disposait un appareil américain du début de la guerre du Vietnam. Côté senseurs, on ne trouve pas de radar air-sol, ni de pod de ciblage, mais quand même un radar air-air fonctionnel (avec modes RWS et STT : en clair, on peut détecter les appareils ennemis et en verrouiller un pour tirer un missile), à peu près équivalent à celui que propose déjà le module F-15C, certes moins détaillé. Le système de navigation est également assez opérationnel pour qu’il soit possible de suivre un plan de vol, et supporte le système de navigation TACAN. Résumons. Pour le moment, on peut décoller et atterrir d’une base ou d’un porte-avions ; suivre des waypoints ; se faire descendre parce que le RWR (système de détection de menaces) ne marche pas bien ; larguer des bombes en CCIP ; effectuer un ravitaillement depuis un tanker ; admirer le modèle de vol, conforme à la qualité à laquelle Eagle Dynamics nous a habitués ; utiliser des missiles air-air courte et moyenne portée ; prendre conscience que le F-18 n’est pas un F-15 et perd rapidement de l’énergie lors d’un dogfight au canon un peu trop viril. Et, bien sûr, contempler l’incroyable beauté de l’avion, du cockpit et des éclairages (« DCS c’est un jeu pour les gens qui veulent prendre des photos d’avions devant un soleil couchant, les vrais pilotes jouent à BMS », me dit ackboo, qui a peint la verrière de son F-16 en noir et ne pilote qu’aux instruments, car la vue c’est pour les noobs). Bref, on peut s’occuper un moment, et pour seulement 80 euros.
Les fans du F-18 y trouveront déjà, malgré toutes ses limitations, la meilleure simulation de leur appareil favori.
Pas folle, la guêpe. Mettons un instant de côté les remarques mesquines sur la politique tarifaire d’Eagle Dynamics et posons-nous la seule question qui vaille : à qui s’adresse cet accès anticipé ? La réponse n’est pas aussi évidente qu’on pourrait le croire. Les amateurs de simulation de vol militaire, les inconditionnels de DCS, à qui l’on aurait tendance à penser en priorité, n’y trouveront sans doute pas leur compte. À l’heure actuelle, les amateurs d’attaque au sol s’amuseront davantage avec le A-10C ou le Harrier, infiniment plus complets. Pour le combat air-air, le F-15C, bien qu’il s’agisse d’un module basse fidélité, ou le Mirage 2000 continuent à offrir plus de possibilités, ne serait-ce que des missiles BVR pour le combat à longue portée. En l’état, je ne vois guère que trois catégories de personnes à qui recommander ce module. Les collectionneurs d’avions, qui l’achèteront de toute façon. Les fans du F-18, qui y trouveront déjà, malgré toutes ses limitations, la meilleure simulation de leur appareil favori. Et puis les débutants enthousiastes, celles et ceux qui, après avoir tâté du Su-25T gratuit offert avec DCS World, ont envie de se frotter à un avion plus complexe mais craignent d’être débordés devant un module DCS complet ou Falcon BMS, et ne veulent pas passer des dizaines d’heures à apprendre un avion cantonné à certains types d’opérations. Pour peu que vous disposiez d’un budget conséquent (en plus du module et d’un PC solide, vous devrez acheter un joystick, une manette des gaz et sans doute un TrackIR), cet accès anticipé du F/A-18C vous donnera l’occasion d’apprendre graduellement les systèmes d’un appareil ultra complet, de découvrir précisément, sans pression, les moindres détails de son avionique, de pratiquer chaque subtilité du combat aérien et de l’attaque au sol. Comme un vrai pilote. Parfois, dans le marketing et le foutage de gueule, il y a une part de vérité.