Il faut bien comprendre (et je vais passer plusieurs pages à vous l’expliquer d’un ton docte mais néanmoins accessible) à quel point les jeux vidéo de tennis n’ont aucun rapportNote : 1 avec le tennis, que ce soit en tant que pratiquant ou que spectateur. À la télé, confortablement assis, on admire les trajectoires de balle, les courses impossibles, le corps des athlètes au bord de l’effondrement. On ne rate pas une seconde des interviews parfaitement insipides de Nelson Monfort et de son inénarrable accent, et on profite généralement d’au moins un match pour se taper en douce une petite sieste, bercé par le bruit régulier des échanges de balles et les cris de ceux qui triment. C’est un plaisir de jouisseur. En tant que pratiquant, c’est bien différent : on vit dans le moment, non pas frappe après frappe car il faut essayer de construire son jeu, de prendre l’avantage sur l’autre, mais point après point. On calcule instantanément les angles, on se place correctement (bien parallèle à la trajectoire) sans même y penser tant les pieds ont l’habitude, on modifie légèrement sa prise de raquette, et on agite le bras à toute vitesse, consciemment mais presque sans le voir car on ne regarde que la balle, avec l’adversaire dans la vision périphérique. Il y a le plaisir de la course, celui de réussir à placer la balle au bon endroit, surtout celui de prendre l’ascendant, de dépasser l’autre par la technique, la tactique ou les deux. Autrement dit c’est un plaisir d’esthète. Et même quand on perd, même quand on tombe de fatigue et qu’on banane une balle sur deux, il reste la joie simple des vibrations de la raquette dans le bras à chaque frappe. Même quand on est petit et gros (ce n’est bien sûr pas mon cas, moi qui suis sculpté à l’image des dieux de l’Olympe, mais faisons tout comme), on peut s’amuser. Jouisseur, esthète... bon, pas de chance, aucun jeu vidéo de tennis n’a jamais réussi à s’approcher de ces aspects.
Note 1 : On pourrait appliquer le même raisonnement aux autres sports, sauf que ça pose beaucoup moins de problèmes : les autres jeux vidéo de sport sont généralement collectifs, et réimaginent donc complètement leur discipline. Quand on joue à FIFA, on ne s’imagine pas qu’on joue au foot ou qu’on en regarde, mais simplement qu’on joue à FIFA. Alors que quand on joue à un jeu de tennis, on essaye de singer le tennis.
Transformé en archive gratuite
- Cet article, initialement réservé aux abonnés, est devenu gratuit avec le temps.
Tennis World Tour et AO International Tennis
Double faute
Nous sommes en 2006 et Nintendo atomise à tout jamais le jeu de tennis avec Wii Sports, qui restera indépassable. Ça donne une idée du niveau... Depuis des années, plus personne n’ose se présenter sur le court. 2K a abandonné ses Top Spin (pourtant pas les pires du genre). Quant à EA, s’il a bien tenté un jeu de tennis au PS Move en 2012, euh... voilà. Seul Nintendo sort encore tous les trois ans des Mario Tennis (le prochain est d’ailleurs pour ce mois-ci), jusqu’à présent tous dénués d’intérêt. Et puis cette année, par un hasard cosmique, Bigben et Big Ant (ça ne s’invente pas) sortent en même temps deux jeux concurrents : Tennis World Tour (TWT) et AO International Tennis (AOIT). C’était l’occasion rêvée pour renfiler un short.
L’occasion rêvée de renfiler un short.
Victoire par forfait. Le jeu vidéo de tennis, dans son concept même (et ça s’applique autant à Tennis World Tour qu’à AO International Tennis), a toujours eu une approche plus mécanique que tactique, technique ou sensorielle. On gère le placement de son joueur, la force, la direction et le type (coup plat, slicé, lifté, amorti ou en cloche) de ses frappes, mais on le fait depuis un point de vue omniscient, plus proche d’une représentation télévisée, et avec guère plus qu’une direction au stick et une pression plus ou moins prolongée sur un bouton. On est donc impliqué mais passif, en quelque sorte extérieur à l’action. Bientôt, le jeu s’éloigne du tennis pour devenir un simple enchaînement, on connaît les forces et les faiblesses de l’IA, les coups gagnants se succèdent presque sans réfléchir. On ne pense pas point après point, car on ne pense presque plus. Un des grands classiques des jeux de tennis (je me souviens d’un titre qui proposait déjà ça sur Amiga 500 il y a une petite trentaine d’années, et la situation n’a guère évolué), c’est l’entraînement : un robot distributeur de balles vous envoie des balles à renvoyer au bon endroit. Mais dans un jeu vidéo de duel, qu’est-ce qui différencie un robot géré par une IA d’un adversaire géré par une IA ? Fondamentalement, pas grand-chose (le robot ne cherche pas à gagner, mais ça ne l’empêche pas d’essayer de vous piéger avec des balles difficiles), et c’est l’un des nombreux défauts du genre. On ne joue pas au tennis, mais à un simulacre reprenant les mêmes règles écrites sans y avoir intégré tout ce qui peut rendre le sport intéressant à jouer ou à regarder. Seul vague point commun : il semble tout à fait concevable de se mettre à pioncer en pleine partie.
Et Mario Tennis Aces ? À l’heure où j’écris ces lignes, nous n’avons pas encore reçu Mario Tennis Aces, qui sort le 22 juin sur Switch. En revanche, j’ai pu passer du temps sur la démo du jeu, et c’est donc en toute bonne foi que je peux vous confirmer que ça semble aussi médiocre que les précédents jeux de la série. Cette fois, la petite nouveauté vient de l’introduction d’un système de vies (après avoir cassé trois raquettes, on a perdu), d’une jauge d’énergie et de nouveaux coups spéciaux permettant de ralentir le temps et de viser plus précisément.
Raquettes annexes. Que proposent nos deux candidats ? Peu ou prou la même chose : un mode carrière, où l’on fait évoluer un joueur depuis le fin fond du classement jusqu’à la première place (chez TWT, c’est mois après mois, chez AOIT semaine après semaine) en gérant sa fatigue, ses sponsors, ses compétences, son agent, son entraîneur... On y retrouve quelques célébrités qui ont bien voulu être payées pour l’utilisation de leur image (parmi les têtes d’affiche, Nadal côté AOIT, Federer chez TWT). En parallèle, on peut bien sûr s’entraîner pour apprendre les rudiments du jeu ou faire des matchs sans carrière, y compris en ligne (du moins pour AOIT, car dans TWT la case est encore indisponible dans l’interface). Les systèmes de jeu sont très similaires, bien loin des petites excentricités de Grand Chelem Tennis 2 en 2012 (où l’on pouvait, en option, faire ses coups avec des quarts de cercle sur un stick directionnel plutôt qu’en appuyant sur un bouton). La seule surprise se trouve côté AO International Tennis, où l’on a à chaque frappe la possibilité de viser un point précis du terrain. C’est en théorie plus fin, en pratique ça ne sert vraiment que si l’on joue aux plus hauts niveaux de difficulté. Dans l’ensemble, s’il fallait désigner le meilleur des deux jeux (mais c’est un exercice futile, aucun n’est bon), AOIT se révèle peut-être plus subtil, mieux animé, il rend mieux les contre-pieds, le côté explosif de certains coups, mais il compense avec une physique parfois audacieuse, des bugs en pagaille et une IA aux fraises.
Il semble tout à fait concevable de se mettre à pioncer en pleine partie.
Service caché. C’est là, finalement, qu’apparaît l’ineptie de ce texte : même si les jeux vidéo de tennis n’étaient pas par essence ratés, ceux-ci le sont. Car Tennis World Tour aussi a son lot de problèmes, notamment d’animation. Combien de fois ai-je vu un joueur refuser de prendre une balle à sa portée ? Et combien de fois (autant, sinon plus) a-t-il effectué une petite téléportation pour attraper une balle impossible ? Fallait-il vraiment intégrer ce commentaire audio par un Guy Forget ni motivé ni inspiré (il ne prononce qu’une poignée de phrases qui tournent en boucle à chaque point, et attention, impossible de passer au point suivant tant que le commentaire n’est pas fini), souvent en plus complètement hors-sujet ? Encore plus qu’AO International Tennis (qui a bénéficié depuis sa sortie de quelques patchs, mais qui en nécessite encore pas mal d’autres), Tennis World Tour donne l’impression d’avoir été terminé à la va-vite pour arriver juste avant Roland-Garros.
Le revers est dans le fruit. Résultat ? Aujourd’hui, Arms, même s’il ne s’agit pas d’un jeu de tennis, reste un bien meilleur jeu de duel en arène. Wii Sports reste bien évidemment un meilleur jeu de tennis. Et Pong (qui, j’imagine, a fait croire à tant de studios que c’était une bonne idée de faire un jeu de tennis) reste un meilleur jeu de raquettesNote : 2. Il y a quelques années, Facepunch, le studio derrière Garry’s Mod et Rust, avait commencé à bosser, parmi ses nombreux prototypes, sur Deuce, un jeu de tennis avec des super-pouvoirs (autrement dit, un Mario Tennis). Après deux ans de développement, le studio avait finalement préféré lâcher l’affaire. Leur bref post-mortem dit presque tout ce qu’il y a à savoir sur le genre du jeu vidéo de tennis : « Le principal problème du jeu, c’est que ça n’était jamais tout à fait ça au niveau des sensations. On a fait l’erreur de rajouter beaucoup de contenu au lieu de prendre du recul et d’évaluer les mécaniques du jeu. On a à moitié terminé une dizaine de personnages, mais jamais progressé sur le jeu en lui-même. »
Note 2 : À égalité avec le Table Tennis de Rockstar, qui proposait une grande technicité et exigeait une dextérité aussi grande. Ce n’était pas du ping-pong, mais on y retrouvait la même façon de penser et la nécessité de développer une compétence technique, autant d’éléments que les jeux de tennis n’ont jamais su reproduire.