Voilà trente bonnes secondes que la colline B nous résiste. Il y a de quoi être contrarié : à l’échelle de Battlefield V, cette demi-minute correspond à une âpre lutte de plusieurs années. Depuis les bunkers du sommet, les nazis font pleuvoir un déluge de feu sur les soldats éparpillés qui s’élancent dans les pentes enneigées. Personne ne semble élaborer de stratégie plus fine que « on réapparaît et on se jette aussitôt dans la mêlée », alors je tente de prendre les choses en main comme je l’aurais fait dans Arma. « L’ORBAT ne sert à rien », que je hurle à un coéquipier occupé à monter à l’assaut. « Il faut étendre la FCZ… Monter un JAAT, quoi ! » Il se retourne et me lance : « Ah ouais ? TG, pour voir, FDP ! » « Désolé, je ne comprends que la terminologie OTAN », que je lui réponds en haletant. « NTM », assène-t-il d’un ton furieux avant de se prendre une balle dans la tête. Je ne saurai jamais ce que son jargon signifiait.
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Battlefield V
Bienvenue en Scandinazie
Je ne vais pas vous mentir : depuis que je me suis interdit de relancer Arma parce qu’il bouffait toute ma vie, je suis en chien de simulateurs militaires. Rien d’étonnant, alors, à ce que je me sois jeté sur la bêta de Battlefield V comme un politicien sur un HLM vacant dans les beaux quartiers. Kahn Lusth a bien essayé de me dire que le jeu n’avait rien à voir avec un wargame, mais ta-ta-ta ! On ne me la fait pas, à moi. Avec 1 500 heures sur Arma 3, je sais repérer un simulateur d’infanterie pointu à des kilomètres.
Un bordel généralisé. La guerre, quoi. Mais laquelle ?
Les bonshommes déneigent. Au-delà des différences de lexique, il faut de toute façon admettre que Battlefield V n’est pas le meilleur endroit pour taper la discut’ ou même réfléchir à un plan d’action. C’est un jeu qui assume avec superbe son nom, « champ de bataille cinq » : les obus sifflent en continu, les avions plongent en piqué pour mitrailler les pauvres bidasses au sol, les maisons s’écroulent au milieu des flammes, les balles fusent par centaines et on meurt avant d’avoir pu décrocher une radio pour dire « Commandement, de Alpha-2, avons repéré personnel hostile azimut 236 en défilement est-ouest, permission d’engager ? », d’autant qu’il n’y a ni radio, ni commandement, ni azimuts. Les séries d’explosions et les rafales incessantes créent une ambiance fébrile et un sentiment d’urgence absolue, qui créent le besoin impérieux de courir vers le front à toutes jambes pour participer à l’action. Du coup, alors que j’ai été entraîné à rester allongé dans les fougères deux ou trois heures sans bouger ni tirer un seul coup de feu, je me suis retrouvé à cavaler partout en mitraillant au jugé. Une tactique plutôt efficace quand les six points de victoire répartis dans la (petite) carte de la bêta se capturent dans n’importe quel ordre et en une poignée de secondes. Malgré quelques mécaniques qui tentent de ralentir le rythme effréné des parties (il est par bonheur plus difficile de marquer des ennemis que dans Battlefield 1 et on manque vite de munitions), rien n’y fait : les points de réapparition éparpillés un peu partout font qu’aucun secteur n’est jamais à l’abri d’un assaut et on échange de position trois fois par minute avec les ennemis. Un bordel généralisé. La guerre, quoi.
Les pions qui venaient du froid. Dans cette frénésie ambiante, entre deux morts rapides parce qu’un ennemi a réapparu dans notre dos, après une course à perdre haleine dans une ruelle poursuivi par un tank, quand on a enchaîné cinq éliminations à la grenade et au corps-à-corps, une question commence tout de même à émerger. C’est la guerre, certes, mais laquelle ? Là où Battlefield 1 parvenait à rappeler celle de 1914-1918 sans trop de problèmes grâce à d’astucieux casques à pointe et à des tranchées, l’ambiance de la Seconde Guerre mondiale est ici plus délicate à saisir. L’unique carte disponible dans la bêta n’aide pas vraiment : malgré de magnifiques textures de neige, un fjord pris dans la glace n’évoque pas l’année 1944 aussi bien qu’un bocage normand. Même sans parler du décor, Battlefield V s’y prend très mal pour évoquer la Seconde Guerre mondiale : ses fusils hyper précis et bardés de lunettes de visée pourraient sortir de la guerre du Golfe et ses uniformes peu reconnaissables colleraient à n’importe quel conflit.
Dice fait parler la poudreuse. Au-delà de l’aspect visuel ou esthétique, les parties en elles-mêmes évoquent plutôt un match à mort bordélique qu’une véritable bataille. Les va-et-vient incessants et les captures dans tous les sens anéantissent toute idée de ligne de front, tandis que les morts nombreuses et le rythme effréné ne donnent pas envie de s’investir dans les escouades créées automatiquement pour pousser les joueurs à coopérer. Ajoutée à la perte d’intérêt des classes purement coop’, comme le médecin qui n’est désormais plus seul à pouvoir ranimer les blessés, cette frénésie aboutit à ce que tout le monde joue un Rambo solitaire, loin de l’esprit de camaraderie héroïque qui m’a poussé un jour à faire dix kilomètres à pied, le corps inanimé d’un pote sur l’épaule, après un assaut raté dans Arma 3. Loin, aussi, de ce qu’on s’imagine être une bataille de la Seconde Guerre mondiale. Certes, il y a des nazis qui aboient « Achtung ! ». C’est tout de même un peu léger – et à la limite du paresseux – pour restituer l’ambiance de la guerre la plus présente dans notre imaginaire collectif.