Soren Johnson a eu une réputation d'enfer chez les fans de Civilization. Beaucoup considèrent que le quatrième épisode de la franchise, dont il a été la cervelle, reste le plus réussi. Après son passage chez Firaxis, le bonhomme s'est mis à son compte pour réaliser Offworld Trading Company (8/10 dans Canard PC), un mélange original entre STR et gestion économique. Un peu niche, il n'a évidemment pas eu le succès planétaire d'un Civilization. Mais ça n'a pas dû être bien grave. Il semble en effet que le premier titre de son studio, Mohawk Games, fut un galop d'essai pour préparer ce que voulait faire l'ami Soren depuis longtemps : son Civilization bien à lui, avec ses idées et ses choix.
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Old World
Le chic de Civilization
Il se passe quelque chose chez les disciples du vénérable Sid Meier. L'année dernière Jon Shafer, designer principal de Civilization V, sortait At The Gates pour renouveler la formule de son mentor. Bon, il s'est foiré, on lui a collé 5/10. Aujourd'hui, Soren Johnson, designer principal de Civilization IV, tente la même chose avec Old World. Arrivera-t-il, lui, à tuer le père ?
Old World dépoussière la formule Civilization par de discrets coups de plumeau.
Tu quoque mi fili. Alors je vous préviens tout de suite. Même si Old World n'est pas exactement un clone, même si Soren Johnson a bousculé plein de choses, même si le jeu se limite à la période antique (Rome, la Grèce, Carthage...), il s'adresse quand même aux bons gros fous furieux de Civilization. Si le 4X au tour par tour vous lasse, si vous ne vous sentez plus capable de décortiquer la signification d'un machin du genre « +10 Pouvoirs (Global : +5), +5 Nourriture, -3 Influence si Colline ou Rivière », laissez tomber. Old World, c'est quand même du Civilization pur jus, avec ses tartines de chiffres et un look quasiment copié-collé. On y retrouve les cases hexagonales avec leurs inévitables ressources, les Workers qui bâtissent des fermes et des routes, les Scouts qui gambadent sur la carte (sans auto-exploration pour le moment, malheureusement), les Warriors qui se fortifient sur les collines avant d'attaquer les camps de barbares, les Settlers qui fondent des villes dans lesquelles on va bâtir l'inévitable grenier, puis l'inévitable monument religieux… C'est du tout pareil. Sur la première heure de jeu, je me suis même dit que Firaxis aurait de quoi activer un bataillon d'avocats tant Old World ressemble à un Civilization. Mais dans le domaine du 4X, la différence se fait dans les détails. Sur la façon dont le game designer manipule tel paramètre, fait influer tel chiffre sur tel autre, et surtout, dans les propres mots de Sid Meier, réussit à créer des « choix intéressants » pour le joueur.
Ordre et légitimité. Et justement, Soren Johnson a changé un paquet de détails. Pleins. Partout. Par exemple, fini les points de mouvement par unités. Le joueur dispose désormais, à chaque début de tour, d'un pool de points d'ordre qu'il peut allouer comme il veut. En début de partie, on en profite par exemple pour faire bouger les Scouts plus loin, tandis qu'en phase de guerre, on s'en sert en priorité pour ramener en vitesse des troupes fraîches sur le front. Chaque action (promouvoir une unité, ordonner une construction à un Worker...) coûte un de ces points d'ordre, le joueur se retrouve donc à faire des arbitrages à chaque tour. Cette capacité d'action dépend de la Légitimité du souverain, qui grimpe petit à petit avec des victoires militaires, la construction des habituelles Merveilles et des centaines d'événements à choix multiples. Vous sentirez vite que l'ami Soren a joué aux jeux Paradox, puisqu'il y a aussi toute une gestion des héritiers, des épouses, des familles rivales. Certes, on reste encore à des années-lumière de la complexité d'un Crusader Kings 2. Les héritiers sont rarement nazes, et les relations interpersonnelles ne jouent pas, pour l'instant, un rôle énorme. Mais le système est en place. Il rajoute déjà un petit vent de fraîcheur à la formule. Prions les Dieux du 4X qu'il soit enrichi d'ici la version finale.
Vous sentirez aussi que l'ami Soren a joué aux jeux Paradox.
L'IA ? Pas dégueu. Je pourrais continuer comme ça à vous faire la liste des changements apportés par Old World, mais cela deviendrait vite rébarbatif. Il faut surtout retenir que ce nouveau 4X dépoussière, par de discrets mais réels coups de plumeau, la formule Civilization. Les vétérans sentiront tout de suite la différence. Et le résultat devrait leur plaire. Old World m'a semblé plus nerveux, plus rapide, plus vivant que Civilization. Sur une de mes parties par exemple, en me spécialisant Militaire, j'ai vaincu (difficilement) mes quatre adversaires IA après seulement 120 tours, en me focalisant sur des Ambitions – en gros, des conditions de victoire qu'on choisit à la volée pour chaque souverain – très guerrières. Je n'ai pas eu à me taper le traditionnel end game poussif des Civilization, où l'on termine en bulldozant la carte sans grand challenge. Il faut aussi noter que l'IA y est remarquablement compétente, vu les médiocres standards du genre. Elle a assez de petits neurones virtuels pour positionner convenablement ses unités militaires et pratique une diplomatie bien plus cohérente que celle de Trump. Mis à part quelques soucis d'interface (notamment des tas de raccourcis clavier qui ne fonctionnent pas), je n'ai donc rien de vraiment négatif à dire sur Old World. Cette version anticipée, très propre, sans bugs alarmants, se positionne déjà comme une alternative crédible à une énième partie de Civilization IV, V ou VI.