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Genre : Ça a un goût de bluff. Y’en a. Pas que.
Créateurs : Jo Kelly, Cole Wehrle
Illustratrice : Rachel Ford
Éditeur : Wehrlegig
Nombre de joueurs : 1 à 5
Nombre de joueurs optimal : 3 à 5
Durée : 1 à 2 heures
Complexité : modérée
Surface de jeu recommandée : table de salon
Prix : 75 €, en VO seulement
Il est arrivé avec sa perruque, son esthétique monochrome façon toile de Jouy et son incroyable thème : les maisons queer londoniennes au XVIIIe siècle. Il s’est alangui sur ma table avec son tapis néoprène et son sourire mutin. Et il m’a embarquée dans une sacrée aventure. C’est vrai, qu’on lance des dés et qu’on applique le résultat pour avancer son pion. Mais il y a une vraie marge de décision à utiliser un dé ou les deux. Et il y a plusieurs actions qu’on peut faire quel que soit l’endroit où l'on se trouve, pour préparer justement celles qui dépendent du lieu. Mais surtout, le jeu déploie une coopétition, très taquine jusqu’à ce qu’elle devienne très intense.

La fête s’arrête quand la Société s’en mêle.

La fête à la maison

L’action principale, c’est l’organisation d’une fête. On pose des cartes à tour de rôle, plus deux de la pioche, et on vérifie si on a réalisé une des combinaisons qui permettent que la rencontre soit réussie. Plus la soirée est belle, plus la personne qui l’a lancée, mais aussi la collectivité gagnent de la joie ; toutes les cartes qui ont participé à la combinaison en rapportent aussi à leur propriétaire. Il faut donc évaluer si l’on veut plutôt aider ou tenter de faire échouer la fête au détriment du collectif, voire poser des cartes qui rejoindront la pile de ragots et mettront en danger les maisons. Plus on a participé aux fêtes, plus on est connu dans la maison en question, et plus on est en danger quand la Société de réformation des mœurs (une version de la Manif pour tous sans carré Hermès) s’en mêle.

L’autre mécanique centrale est celle de la trahison. Chaque fin de manche, on peut placer un jeton loyal ou informateur sur une des quatre maisons du plateau. Avant cela, la pile de ragots est dépilée pour voir quelles informations la Société de réformation des mœurs a obtenues et quelles maisons sont ainsi mises en danger, voire fermées. L’équivalent d’une descente de police dans un lieu de liberté et de résistance. Le fait que toutes les maisons fassent l’objet d’un raid est une des fins de partie. Celles et ceux qui ont trahi ont alors une chance de s’en sortir, en comptant des points de victoire et plus de joie, alors que les autres sont pendus. Si la communauté atteint une certaine dose de bonheur, la personne qui est la plus avancée sur cette piste gagne… Mais il faut avant cela compter les malus pris lorsqu’on a une certaine réputation dans les maisons perquisitionnées par la Société. Or celle-ci donne de l’indulgence aux informateurs efficaces. Dernière possibilité, si on a trop Trenet à chanter Y a d’la joie : au bout de cinq semaines, tout le monde a perdu.

Queer, qu’entendre ?

Molly House n’est pas qu’un jeu avec une thématique queer, il est queer : il brise les codes, refuse de se limiter aux normes d’un genre. Sous son esthétique délicieusement surannée, il drague (queen, bien sûr) une modernité incroyable. Il donne peu de repères et n’est donc pas si facile d’accès. Il faut un petit temps pour comprendre les conséquences de ses actions, appréhender la durée d’une partie et son accélération. Avec tout cela, il génère de vraies sensations tactiques, tout en mettant l’accent sur une certaine ambiance et en assumant une part de hasard non négligeable, parfois ingérable. Avec tout cela, il propose une expérience puissante et thématique. Il faudra sans doute trahir pour gagner, mais dans l’euphorie de début de partie, quand on croit encore que tout est possible, on n’en a pas envie. On ne rivalise que de joie et de paillettes. C’est à mesure que le danger monte qu’on est tenté d’assurer ses arrières, et pas forcément de gaieté de cœur.

Mais le jeu met un point d’honneur à rappeler à quel point la fête s’arrête quand la Société s’en mêle. Il n’écrit pas qu’on perd, mais qu’on est pendu. Et cela peut survenir très brusquement, sur un jet de dé en fin de partie, avec certaines des « accusations majeures » récupérées plus tôt en cas de perquisition. Ce n’est même pas frustrant tant ça rend limpide la sensation de n’être jamais tranquille, qu’on peut vous tomber dessus au coin d’une ruelle, que la personne que vous tentez de séduire peut être un flic en embuscade (en France, ça existait jusqu’à la dépénalisation de l’homosexualité en 1982). À un testeur qui s’interrogeait sur l’image que cette notion de trahison donnait de la communauté, Jo Kelly a répondu que le fait qu’il ne sache pas quoi en penser la persuadait qu’ils avaient atteint leur intention avec cette mécanique. Molly House n’emprunte pas une esthétique, il l’expose en mettant en exergue des interrogations autour de la notion de liberté.