Depuis deux ans, For Honor est au cœur d'une effroyable méprise. À chaque présentation, le jeu d'Ubisoft Montréal ressemblait un peu plus à une version TPS de Chivalry : Medieval Warfare, avec des assauts de châteaux, des hordes de soldats et des équipes de joueurs s'affrontant dans une mêlée informe, d'où jaillissaient des têtes coupées et des gerbes de sang. Bref, un jeu multi en ligne complètement lambda, avec des zones à capturer et tout le tintouin. Bien que tout cela existe dans For Honor, ce n'est pas ce que l'Histoire, avec un grand H, en retiendra quand il s'agira dans quelques centaines d'années de mettre à jour la notice biographique d'Yves Guillemot. Ce dont on se souviendra, ce sont les modes de jeu plus calmes, le duel et la rixe (du 2 contre 2, mais où chaque paire d'adversaires est quasiment séparée de l'autre dans deux duels parallèles), qui demandent patience, concentration et apprentissage et donnent lieu à des combats rapides, violents et intenses. Ici, plus question de donner de grands coups de battoir sans trop regarder, en sachant que de toute façon vous toucherez bien quelqu'un. Non, il faut observer l'adversaire et sa posture, idéalement avoir assez d'expérience pour connaître son personnage et savoir quels coups il peut préparer... Il faut essayer de déduire des premiers échanges de coups le style du duelliste et comprendre comment s'y adapter, tout en évitant de trop en dire sur sa propre façon de jouer. Il faut aussi profiter de son jeu de jambes pour bien se positionner, afin d'utiliser une contre-attaque pour jeter l'adversaire dans un feu ou, avec un peu de chance, dans le vide. Bref, il faut ralentir son rythme de jeu, calmer ses instincts primaires et faire appel à son expérience. Ou à défaut essayer d'en gagner.
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For Honor
Soirée aiguisée
Assez naïvement, je pensais que For Honor serait le genre de jeu où, pour avoir par mégarde ramassé le mouchoir qu'une demoiselle avait laissé traîner dans son sillageNote : 1, on recevait au visage le gant jeté par son galant. Le tout se serait alors réglé à l'aube, devant témoins, dans un duel pour l'honneur et au premier sangNote : 2. Eh bien, que nenni.
Note 1 : Une pratique depuis abandonnée en raison des graves risques sanitaires qu'elle posait.
Note 2 : Une pratique depuis abandonnée parce que personne n'aime se lever si tôt, honneur ou pas.
Certes, cette image est un peu confuse. Mais vous croyez que c'est facile, vous, de prendre des images de qualité alors que l'on se bat pour survivre ?
Glaive-toi et marche. À la surprise générale, For Honor tient donc plus du jeu de baston, ou d'une sorte d'hybride un peu bâtard entre un jeu de combat et un Dark Souls, que du beat-them-all bourrin. Avant chaque bataille, il faudra choisir son héros parmi douze (d'autres sont à venir en DLC), répartis entre trois camps (vikings, chevaliers, samouraïs) et différents archétypes (le gros tank, le perso tout fin et hyper-rapide, celui avec une lance, etc.) Chacun possède ses propres coups, qu'il faudra apprendre petit à petit et souvent à la dure, mais tous se contrôlent de la même manière : avec deux sticks et une poignée de boutonsNote : 3. Une attaque forte, une faible, un bouton d'esquive, un autre pour briser la garde de l'adversaire et enfin une gâchette pour vous mettre vous-même en garde. Dans cette position, il faut encore orienter votre arme dans la bonne direction (haut, gauche, droite) pour espérer parer un coup, voire contre-attaquer. Et avec ça, vous avez l'essentiel. Tout le reste n'est que question de lecture de la posture de l'adversaire, de temps de réaction et de connaissance de vos enchaînements.
Note 3 : Il est possible de jouer à For Honor au clavier-souris, tout comme il est possible d'opérer soi-même son appendicite. Mais est-ce vraiment souhaitable ? À vous de voir.
Ça va hallebarder. Il faut donc connaître son personnage, sa vitesse de déplacement, la portée de son arme, ses gestes, ses combos, sa garde et son brise-garde... Il faut travailler ses enchaînements pour qu'ils deviennent naturels lors des combats, tout en gardant un œil sur sa jauge d'endurance. Combien de coups puis-je placer avant que la jauge ne se vide ? Quelle marge d'erreur (car l'endurance disparaît plus vite si on rate un coup) ai-je ? C'est d'autant plus important qu'avec l'endurance à plat, vous vous retrouvez complètement exposé : bloquer un coup devient plus difficile, faire une esquive, n'en parlons pas... Vaut-il mieux tenter de briser la garde pour placer un coup gratuit ? Ou attendre de parer une attaque pour saisir une chance ? Ces décisions, plus encore que la rapidité d'action, font souvent la différence entre un combat réussi et une mort honteuse. Une fois votre adversaire fauché comme les blés, il vous reste une mission essentielle : l'exécuter promptement. En duel, ça n'a aucune importance, mais dès que vous jouez à plus de deux, les exécutions ultra-violentes deviennent indispensables. Non seulement elles vous redonnent de la santé, mais en plus un ennemi non exécuté peut être ranimé, avec sa vie au maximum, par un membre de son équipe. Autant dire qu'une exécution ratée peut vous coûter cher et permettre à l'équipe adverse de reprendre l'avantage. C'est particulièrement vrai dans le mode « élimination », où quatre duels ont lieu simultanément sur la même carte.
Mangez des pommeaux. Le mode « dominion » (celui qui ressemble tant à Chivalry), avec ses dizaines de soldats joués par l'IA qui occupent le champ de bataille et où les morts s'enchaînent à toute vitesse, les exécutions deviennent bien sûr moins importantes, même si elles donnent toujours un avantage. Il y a, en revanche, des pouvoirs spéciaux à utiliser, qui se débloquent au cours des parties et permettent de poser des pièges, regagner de la vie (ou en donner à ses alliés), de lancer des bombes... Bref, c'est un peu plus le bazar. Ce n'est pas désagréable de bourriner sans réfléchir (car en dominion la subtilité n'est que rarement de mise), mais ce mode de jeu n'a pas grand intérêt à côté des autres. De même, la campagne solo (car oui, il y en a une), quoique bien faite, n'a rien de mémorable et ne vous occupera pas longtemps : elle sert surtout à vous présenter chacun des héros. Au rayon des problèmes, car tout de même il y en a, notons une interface peu pratique, conçue autour de micro-transactions omniprésentes (il est possible d'à peu près tout débloquer en gagnant des niveaux, mais ça vous prendra une éternité) et surtout de gros soucis de connexion lors des parties. Un joueur qui quitte en plein match entraîne un bref freeze, quand c'est dans le lobby il y a un risque de retour au menu, et quand c'est durant le chargement de la carte, c'est carrément tout For Honor qui plante. Ajoutez-y un matchmaking qui peut vous faire attendre jusqu'à cinq minutes, et trouver une partie peut parfois représenter une expérience frustrante. Mais une fois en ligne, sur un fragile petit pont de bois, face à un adversaire qui vous fonce dessus, ces petits soucis sont vite oubliés.