« Alors, alors, alors ? » Le Ivan, tapi dans l'ombre, se jette sur le rédacteur innocent qui revient de la présentation de Steel Division dans les locaux du studio parisien. Ce grand prédateur au pelage argenté a en effet pris l’habitude d’humilier les autres membres de la rédaction à Wargame afin de prouver sa légitimité de chef guide suprême de Canard PC. Normal, dès lors, qu’il veuille en savoir plus sur ce qui ressemble à l’héritier de la saga. Le verdict, qui doit tenir en quelques mots pour ne pas mettre à l’épreuve la patience du grand fauve, tombe immédiatement : « Ben… ça ressemble beaucoup à un Wargame sauce Seconde Guerre mondiale, en fait… »
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Steel Division : Normandy 44
Normandie and retry
Mesdames et messieurs, sous vos yeux ébahis, l'auteur de cet article va évoquer Steel Division : Normandy 44, le nouveau jeu de stratégie du studio Eugen Systems, en expliquant d'abord qu'il s'agit d'un Wargame sauce Seconde Guerre mondiale, puis précisera pourquoi c'est un peu plus compliqué que cela avant de conclure que, tout de même, c'est un Wargame Seconde Guerre mondiale. Attention, cette performance est réalisée par un professionnel de la sodomie de diptères, ne tentez surtout pas de la réaliser chez vous.
Exit le combat moderne… place à la pureté des assauts à la grenade et à la baïonnette, à la simplicité des combats de chars.
C'est Caen le bonheur ? Une petite lueur de déception est alors apparue dans le regard carnassier. Ému par la soudaine transformation de la bête en chaton penaud, le rédacteur s’est empressé d’apporter quelques précisions. Oui, Steel Division marche dans les traces de Wargame : on retrouve le même moteur Iris Zoom, une interface similaire, des decks à composer avec plus de 400 unités différentes, bref : tout ce qui fait la particularité de la trilogie (cf. encadré si vous vous sentez largué). Oui, le joueur qui, comme lui visiblement, aspirait à de grosses nouveautés, à de l’expérimentation de la part d’Eugen Systems, sera peut-être un peu déçu. Car le studio n’a clairement pas eu l’intention de réinventer la roue. En revanche, la rendre un peu moins carrée, cette roue, figurait au programme. Des petites nouveautés bienvenues et prometteuses, il y en a dans ce Steel Division. À commencer par l’époque, dont sont particulièrement friands les frères Le Dressay, patrons d’Eugen et fans de la série Close Combat devant l’éternel. Mine de rien, faire un bond de près de trente ans en arrière par rapport à European Escalation, le premier Wargame, change pas mal de choses pour le joueur lambda : exit le combat moderne, ses missiles radar, filo-guidés, thermiques ou vibrants (piles non fournies), ses chars bardés d'électronique qui tombent en panne à cause d'une mise à jour Windows… Place à la pureté des assauts à la grenade et à la baïonnette, à la simplicité des combats de chars dans lesquels, comme au foot, ce sont toujours les Allemands qui gagnent à la fin, et avec lesquels les joueurs sont souvent mieux familiarisés.
Le coin des néophytes (et des poissons rouges) Si vous n'avez jamais tâté un Wargame, ni ouvert un Canard PC antérieur à avril 2013 ou si l'abus d'alcool de patate maison a créé des trous béants dans votre mémoire, un petit rappel s'impose. La licence originelle, sortie chez l'éditeur Focus, se caractérisait par de la stratégie en temps réel sans bâtiments de construction. Les unités supplémentaires étaient donc issues d'un deck établi à l'avance, acheminées par des routes spéciales en bord de carte et « achetées » contre des points d'approvisionnement qui se glanent au cours de la partie. L'autre particularité étant le niveau de complexité de la gestion des différents armements, de la reconnaissance, des lignes de tir, de l'approvisionnement en munitions et carburant. Bref, du STR pour psychopathes...
Y a une couille dans le bocage. Placer leur jeu au cœur de la bataille de Normandie (entre juin et août 1944) n'est que le plus évident des changements. Le second sur la liste est l'apparition d'une ligne de front clairement matérialisée – à un certain niveau de zoom – et dynamique sur les cartes, qui sont des « reconstitutions fidèles des terrains de l'époque, faites à partir de photos de reconnaissance », explique Alexis Le Dressay. Cette ligne de front mouvante, qui évolue en fonction du nombre, de l’état et bien entendu de l'avancée des troupes, est importante à plus d'un titre. D'abord, c'est en occupant le terrain qu'un joueur gagne des points de victoire dans le mode « conquête » – l'autre mode dont il a été question étant un classique « destruction ». Ensuite, c'est un élément de compréhension qui devrait être tout sauf anecdotique. Il suffit de se rappeler les escarmouches traditionnellement confuses dans les STR, Wargame en tête, pour s’en convaincre : on saura dès lors qui placer en première ligne, qui en soutien. Et d'un coup d’œil, il sera possible de visualiser à quel endroit l'ennemi effectue une percée, sans pour autant connaître le détail des forces sur place. Enfin, cette ligne de front jouera un grand rôle sur une autre mécanique, certes pas complètement neuve – là encore, Wargame l'intégrait – mais approfondie et placée au cœur de Steel Division : la gestion du moral.
Un, dos, stress. Au-dessus des unités, j’ai remarqué une petite barre rouge. « Ha ha ! Facile ! C’est des points de vie ! », s’exclamera l’autre andouille qui pense qu’on est au milieu d’un quiz. En plus, si c’était pour dire ça… Il a déjà vu une barre de vie qui augmente sous le feu, lui ? Non : de points de vie, il n’y a pas ; un soldat touché est hors de combat, un véhicule dont le blindage est percé est détruit ou voit l’un de ses éléments (moteur, canon, membre d’équipage…) endommagé. La barre rouge, c’est donc bien une jauge de stress. Dès qu’ils commencent à être secoués, les soldats perdent en précision. Au stade maximal, c’est carrément l’état de panique : les équipages de char font marche arrière, les fantassins s’enterrent… L’objectif d’Eugen est, je cite, de retranscrire des combats et des tactiques « authentiques », qui conduisent moins souvent à détruire l’ennemi qu’à le mettre en déroute : tirs de suppression qui clouent les défenseurs au sol, barrages d’artillerie précédant les assauts, manœuvres d’embuscade et de prise à revers… Regardez (à nouveau) l’excellente série Band of Brothers pour vous faire une idée précise de l’objectif visé par Eugen pour les combats de Steel Division, et faites comme nous : croisez les doigts pour qu’ils y arrivent.
Tragédie en trois Axes. « D’accord, mais quel rapport avec la ligne de front ? », demanderont les cinq du fond qui suivent… Eh bien, c’est simple : une unité qui n’est plus dans la zone « contrôlée » par son armée ou qui est coupée de ses lignes va voir son moral non seulement chuter plus vite, mais risque, si les ennemis sont trop proches, de se rendre. Ça, bien sûr, c’est pour la règle générale. Au rayon des exceptions, il y a la présence des commandants, qui boostent les capacités des unités environnantes, moral inclus, et qui pourront permettre de tenir une poche de résistance. Il y a également les unités qui ne sont pas affectées : celles spécialisées dans la reconnaissance et les unités de paras, entraînées à officier derrière les lignes ennemies et effectuer des opérations commando. En contrepartie, elles n’influent évidemment pas sur l’évolution de la ligne de front. Enfin, histoire d'avoir fait le tour des gros changements, parlons également des phases. Au nombre de trois (A : la reco, B : l’escarmouche, C : l’assaut), elles se succèdent avec le temps qui passe. Non seulement ces phases influent sur les unités du deck qu’il est possible de déployer – les unités les plus puissantes étant généralement en phase C – mais elles déterminent en plus les points de renfort glanés chaque minute. Sachez que cette répartition entre les trois phases pourra grandement différer d’une division à l’autre, faisant de certaines des blitzkriegers en puissance et d’autres des diesels qui devront faire le dos rond avant de montrer aux troupes d’en face qui c’est Raoul.
Le tribunal de la haie. En dehors de ces modifications, Steel Division garde tout de même une grosse saveur Wargame, c’est incontestable. Mais du Wargame un peu dégraissé : déjà, le joueur devrait avoir quatre fois moins d’unités à gérer en même temps, promet le studio. Du Wargame un peu moins tributaire du micro-management, avec des unités plus autonomes – les infanteries se mettent d’elles-mêmes à couvert –, la disparition de la gestion du carburant ainsi que des véhicules de transport non armés une fois leurs troupes débarquées. Du Wargame un poil moins prise de tête, peut-être aussi, avec des outils simples mais efficaces de gestion du comportement – comme l’ordre de ne tirer que pour riposter des unités de reconnaissance – ou l’affichage clair des portées des armes et des lignes de vue de chaque unité en surimpression (« Alleluia ! », hurleront les vétérans des jeux Eugen en se lacérant le torse de bonheur). Du Wargame… avec une vraie bonne campagne solo ? Bon, ça, ça reste encore à voir. On sait seulement pour le moment qu’il y aura trois campagnes côté États-Unis, Grande-Bretagne et Allemagne. Elles ne seront pas dynamiques mais le joueur, qui commencera avec une division complète, devra composer avec la persistance de ses pertes, tout en se voyant offrir de temps en temps l’opportunité de récupérer, voire de capturer, de nouvelles unités par le biais d’objectifs secondaires. On attend impatiemment d’en voir plus car en l’état, et après avoir tâté d’une bêta fermée encore soumise à un NDA au moment où l’on écrit ces lignesNote : 1, Eugen Systems a l’air de tenir avec Steel Division un chouette Wargame qui, après les deux déclinaisons que constituèrent AirLand Battle et Red Dragon, ressemblerait cette fois à une authentique suite.
Note 1 : Et que l’on tient à respecter ; la plus élémentaire des prudences incite à ne pas froisser des gens à ce point obsédés par le matériel militaire.