D'emblée: « Alors, c'était comment ? Il paraît que c'est moins drôle que le premier. » Je rentre à peine d'une session de trois heures de jeu chez Ubisoft que déjà mon rédacteur en chef, sans prendre la peine de s'enquérir de ma santé ou de mon bien-être, veut savoir où cette nouvelle mouture du jeu de rôle South Park se situe sur l'échelle du mauvais goût. Avec un glissement de taille : pour The Stick of Truth (2014), on cherchait à comparer le jeu à la série de dessins animés qui multiplie les outrages aux bonnes mœurs depuis 1997. Maintenant, c'est Le Bâton de la vérité qui fait figure de mètre étalon. Il faut en convenir, le South Park d'Obsidian avait pris un malin plaisir à enfiler tout ce qu'il trouvait comme tabous en un long chapelet de vannes décontractées. De la sonde extraterrestre aux classes de personnages (qui, rappelons-le, incluaient le combattant, le mage, le voleur et le juif), il en avait fait suffisamment pour qu'Ubisoft se livre à quelques censures préemptives : les joueurs de plusieurs pays (de l'Allemagne à Taïwan en passant par l'Australie, et même, sur console, de l'ensemble de l'Europe) n'avaient pu tâter que des versions caviardées. Cette année, les joueurs du monde entier peuvent se réjouir : Ubi assure qu'aux quatre coins de la terre, on jouera exactement au même jeu. Les inconditionnels de South Park peuvent en revanche flairer l'arnaque : si l'éditeur ne ressent pas le besoin de le retoucher pour les marchés sensibles, c'est qu'il présente probablement peu d'aspérités.
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South Park : L'Annale du destin
Captain Americaca
La petite histoire raconte qu'au départ, le nouveau jeu de rôle South Park devait s'appeler The Butthole of Time (que l'on pourrait traduire grossièrement par « Le trou du cul du temps »). Mais des gens bien intentionnés du côté du service distribution d'Ubisoft ont expliqué à Matt Stone et Trey Parker, les deux créateurs de la série et principaux auteurs du jeu, que peut-être la grande distribution éprouverait-elle des difficultés à mettre en rayon des jaquettes frappées du mot butthole. C'est ainsi que naquit le titre anglais et son élégante dissimulation de l'anus horribilis : The Fractured but Whole.
Un petit caca pour l'homme... De fait, les trois heures que j'ai passées sur les premières scènes de L'Annale du destin ne sont pas parvenues à violemment heurter ma sensibilité. Mais cela ne m'a pas empêchée de passer un excellent moment. L'histoire reprend juste après les événements du Bâton de la vérité, ce qui ne devrait pas constituer un trop gros obstacle pour les gens qui avaient mieux à faire en 2014. Quiconque a vu un épisode de South Park dans sa vie peut se représenter ce à quoi cela ressemble. Pour les autres, des mômes aux visages ronds comme des lunes discutent, hurlent parfois, se baladent à travers la ville, ramassent de vieux chewing-gums et jouent à d'innocents jeux d'enfants, dans des environnements en deux dimensions aux couleurs un peu sales. Pour cette présentation, cela se jouait à la manette, à travers une interface accessible même aux empotées dans mon genre. Vous incarnez le nouveau gosse, celui qui vient d'arriver en ville, et qui, grâce à ses actions héroïques, est parvenu à conquérir dans l'épisode précédent la couronne et le titre de roi. Il n'est donc que logique que la première scène qu'il vous soit donné de jouer vous place sur le trône, en plein caca. Oui, un mini-jeu scatophile, comme dans Le Bâton de la vérité. Mais ces retrouvailles s'avèrent l'occasion pour Ubisoft de montrer le chemin parcouru. Dans l'épisode précédent, pour couler un bronze, il suffisait de marteler un bouton. Aujourd'hui, les passages à la selle sont devenus synonymes de recherche et même de raffinement : le mini-jeu implique une série d'actions délicates à réaliser. Ubisoft San Francisco pose ainsi les bases de ce nouvel opus, proclamant haut et fort qu'ils sont décidément les esthètes de la défécation.
... un grand caca pour l'humanité. Après cette mise en bouche, certes cohérente avec le titre, mais pas forcément très renversante, les choses s'emballent quelque peu. Cartman décide qu'il en a marre de jouer à la guerre médiévale-fantastique et part dans sa cave se déguiser en super-héros (en l'occurrence un genre de raton laveur masqué nommé The Coon, ce qui est très politiquement incorrect aux États-Unis mais passe inaperçu ici). Il compte bien lancer sa propre franchise, multiplier les comics et les films consacrés au Coonverse et se faire un maximum de pognon. Comme vous êtes, malgré vos exploits de l'épisode précédent, toujours le dernier arrivé, vous allez bien évidemment devoir gagner vos galons de sauveur encapé de l'humanité. Cette fois-ci, la création de personnage s'étale sur plusieurs heures et plusieurs missions. Jusqu'à, situation inédite dans ma carrière de joueuse, devoir indiquer mon identité de genre au bout de deux heures d'aventure. Bien plus tôt, juste avant la grande scène d'action sur le trône, il m'avait fallu produire une version sublimée de moi-même (je vous renvoie aux captures d'écran). Un peu plus tard, une fois que mon utilisation experte de Coonstagram a convaincu Cartman de me recruter pour son gang de real life super heroes Note : 1 , j'ai pu commencer à explorer les pouvoirs de super-héros. Trois possibilités gentillettes étaient offertes : brutaliste, exploseur et speedster, qui disent bien ce qu'ils veulent dire. C'était a priori le choix le plus important de toute cette session de jeu. Car bien que L'Annale offre des tonnes d'autres activités, celle vers laquelle tout converge reste la baston.
Note 1 : Je vous renvoie à la fantastique émission de France Culture Les Pieds sur terre qui en a fait un épisode passionnant.
Mon caca à moi est un gangster. En dehors des affrontements prévus dans la quête principale, diverses factions se baladent sur la carte, assez ouverte, de South Park. Les terribles élèves de 6e, les redoutables vieux, les intolérables rednecks, les insupportables représentants du Chaos avec leurs accessoires en papier aluminium… Vous pourrez donc chercher la bagarre à votre guise. Vous vous retrouverez alors sur une grille avec trois de vos petits camarades super-héros aux noms idiots (il y a même l'homme cerf-volant et son double maléfique). Chacun des personnages engagés dans la rixe, qu'il soit allié ou adversaire, attend sagement son tour, déterminé par son initiative et sa vitesse, comme dans un jeu de rôle sérieux. Vous avez trois ou quatre coups différents à votre disposition, certains au corps à corps, d'autres à distance, certains avec des effets de zone… Le plus délicat reste de positionner ses personnages de manière optimale. Si l'on ne prend pas garde, on a tôt fait de bloquer ses super-nullos et de les offrir en pâture aux filles du Raisins ou aux hommes-crabes. Au moment de frapper et d'encaisser les attaques ennemies, une petite action contextuelle (un bouton à marteler ou à presser au bon moment, c'est selon) permet de faire un peu plus de dégâts ou de remplir une jauge d'attaque ultime. Je n'ai pas encore eu le temps de roder les affrontements et surtout de me pencher sur les bonnes combinaisons de compagnons, mais ils m'ont paru plutôt intéressants. Plusieurs niveaux de difficulté restent disponibles pour une ouverture à tous les publics, et c'est un souci d'inclusivité que je salue.
Mimi caca lol elle aime ça. Bon, maintenant que j'ai parlé du caca, des pets (ah non, laissez-moi réparer cela immédiatement grâce à cette délicieuse citation : « On raconte que certains pets sont si puissants qu'ils peuvent déchirer l'espace-temps ») et de la bagarre, je vais l'avouer, ce qui m'a le plus plu, ça a été de me balader dans South Park. La ville est grande, ses habitants plutôt bavards, il m'a semblé qu'à peu près tous les bâtiments pouvaient se visiter, et j'ai repéré des tonnes de trucs et de machins à récupérer dans tous les coins, ce qui satisfait pleinement ma curiosité maladive et mes tendances syllogomanes. Poubelles, sacs de sport, placards, tiroirs, tout regorge de petites merdes à collectionner. Et comme certains de ces objets se trouvent dans des endroits apparemment inaccessibles, il faut fouiller, ruser, et presque puzzler. J'aimerais vous dire que tout cela va vous servir à quelque chose. Hélas, trois heures, c'est un peu court pour s'en rendre compte. Le système de fabrication d'objets vous permettra, c'est déjà ça, de concocter des potions régénérantes et, surtout, d'assembler des costumes complets de héros. Pourra-t-on y fabriquer un peu de poil à gratter, histoire d'épicer ces débuts doucereux pour du South Park ? On le saura dans un mois.