Jour 1. Pas le temps d'admirer les éblouissantes étendues gelées, la communauté de quatre-vingts âmes (soixante-cinq adultes, dont quinze ingénieurs qualifiés pour les tâches intellectuelles, et quinze enfants) compte sur moi pour organiser sa survie. Le thermomètre indique −20 °C. J'assigne les adultes à la récolte de matières brutes présentes dans le périmètre – charbon, bois et métal – et ils se lancent péniblement, traçant des sillons dans une couche de neige qui leur monte jusqu'à la taille. Alimenté en combustible, le générateur se met en marche avec un couinement métallique inquiétant. S'il tombe en panne, c'est la mort assurée.
Jour 2. La population donne de la voix et porte une première revendication. La nuit passée sur le sol glacé au pied du générateur leur a visiblement déplu et ils réclament des abris. Je leur promets quelques tentes bâties rapidement, avant qu'un de mes conseillers ne m'explique que le peuple désire souvent les solutions les plus rapides, mais pas forcément les meilleures sur le long terme. Même après l'Apocalypse, il va falloir faire preuve de finesse politique.
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Frostpunk
Crise de froid
Nous sommes en 1886. L'humanité n'aura pas l'occasion de connaître les deux guerres mondiales, la Macarena, la bière sans alcool et autres fléaux du XXe siècle. Pas sûr qu'elle ait gagné au change, car de gigantesques tempêtes de neige se sont abattues sur le monde, provoquant chutes de température et famines. Quelques communautés de survivants, rassemblées autour de gigantesques générateurs de chaleur, caressent toutefois l'espoir de mourir de vieillesse. Bienvenue dans Frostpunk, le nouveau jeu guilleret et rigolard des créateurs de This War of Mine.
Laissez venir à moi les petits mineurs de charbon. Jour 3. La colonie commence à ressembler à quelque chose : plus personne ne dort dehors, et dans le périmètre immédiat du générateur ont été bâtis une cabane de chasseurs, une cuisine pour transformer la viande crue en rations et un hôpital de fortune pour traiter les premiers cas d'hypothermie. Problème : la main-d’œuvre commence à manquer pour la récolte de matières premières. La solution était sous mes yeux depuis le début : faire travailler les enfants. Après tout, il n'y a pas d'école, pas un seul iPad ni la moindre Switch à l'horizon, il faut bien qu'ils s'occupent. La population grogne un peu, mais maintenant, l'approvisionnement en charbon est redevenu suffisant.
Jour 4. La température a chuté à −40 °C. J'ai ordonné la surcharge du générateur, mais les malades s'accumulent, ruinant la productivité. Pour ne rien arranger, il fait tellement froid dans le second hôpital, plus éloigné du générateur que le premier, qu'il n'est plus fonctionnel.
Jour 5. Premier habitant décédé. Dois-je ordonner la construction d'un cimetière ou d'une fosse commune ? Le peuple a faim et commence à vraiment râler, j'opte pour le cimetière, pour ménager les susceptibilités.
Là où il y a de la neige... Jour 6. Premier amputé. Une bouche inapte au travail à nourrir. J'ai beau chercher dans le livre de lois, pas de trace d'une option permettant de recycler l'infirme dans les cuisines de la colonie. Dommage. Ne me regardez pas comme ça, je pense au bien du plus grand nombre. Tant pis, je fais voter à l'unanimité de moi-même l'installation d'une maison d'accueil. Il sera content et en plus, il libérera un lit d'hôpital. Non, parce qu'il y a tout de même vingt-trois malades qui attendent une place…
Jour 7. La température est remontée à −30 °C. La population a moins froid, mais toujours aussi faim. De toute évidence, j'ai vu trop juste en matière d'approvisionnement en viande. Quatre morts d'inanition la nuit dernière… Il va falloir trouver une solution.
Jour 8. Destitué. Bande d'ingrats. De toute évidence, ma décision de couper les rations alimentaires avec de la sciure de bois (quand on me dit « j'ai l'estomac vide », je trouve des solutions, moi) n'a pas été du goût de la population, au propre comme au figuré. Si l'on m'avait permis de débiter l'infirme – on l'aurait servi en soupe, pas en brochettes, on n'est pas des monstres, enfin quoi –, peut-être que les choses auraient pris une autre tournure…
… il y a du plaisir masochiste. N'étant pas du genre à me décourager, j'ai relancé à plusieurs reprises la démo jouable de Frostpunk. J'ai pu garder mon poste jusqu'au dixième jour – cette version ne permettait pas d'aller plus loin –, bâtir une arène de combat pour distraire la populace, envoyer des expéditions dans la région pour ramener des ressources et de nouveaux survivants, industrialiser un peu la récolte de ressources, améliorer le générateur pour étendre la diffusion de sa précieuse chaleur, installer des chaudières dans les bâtiments un peu trop éloignés du centre de la colonie… Comme This War of Mine, Frostpunk promet d'être un jeu à part. Ce mélange de gestion de ville (dont la construction se fait invariablement de manière concentrique) et de survie est nappé, comme son aïeul, d'une grosse dose de choix moraux. Jusqu'où ira-t-on pour assurer la survie du groupe ? Quelles valeurs humanistes de l'ancien monde acceptera-t-on de fouler aux pieds ? La question ne se posera pas seulement pour le joueur qui incarnera le leader de cette société post-apocalyptique (et qui pourrait être un salopard insensible, regardez, je leur aurais fait bouffer du jarret d'infirme si j'avais pu), mais également pour la population elle-même, dont la tolérance n'est pas infinie. Même durant ces dix premiers jours de jeu, Frostpunk se révèle intrigant, passionnant. Et pour ne rien gâcher, il est mignon à croquer.