D’un point de vue financier, pourquoi est-ce que Riot Games permet aux diffuseurs, petits ou grands, de faire de l’argent avec les compétitions officielles de League of Legends ? Après tout, le studio pourrait très bien mettre en place une structure interne de diffusion, qui gérerait les principales langues mondiales, et commercialiserait la publicité (sponsoring et placement de produit compris) ou d’éventuelles offres premium (abonnements, par exemple). Contrôle total, business mondial et le moins d’intermédiaires possibles : ce serait le modèle Disney. Ce n’est pas le cas pour au moins deux grandes raisons.
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NBA ou Disney, quel modèle pour Riot Games ?
Ce qui m’intéresse dans l’e-sport, c’est d’observer cet écosystème qui évolue sous nos yeux, à la recherche de la meilleure forme mutante entre jeu vidéo, ligue sportive et média audiovisuel. Aujourd’hui, parlons un peu de Riot Games, le créateur de League of Legends, de ce qu’est cette société et de ce qu’elle pourrait être tentée d’être.
La première raison est technique. Riot, dans sa folle croissance depuis le lancement de League of Legends en 2009, a accumulé sur son versant diffusion ce que le monde du logiciel appelle de la dette technique (technical debt). C’est-à-dire que la technologie choisie à l’origine pour permettre une diffusion des parties (un programme reposant sur Adobe Air, par facilité) a vite montré ses faiblesses et généré limitations et problèmes. Un changement de technologie, complexe à intégrer, nécessiterait maintenant un investissement important (c’est le remboursement de la dette technique). Surtout si l’on se met à viser une diffusion directe mondiale.
Riot a donc esquivé le problème : c’est le sens de l’accord spectaculaire avec la société BAMTech en décembre 2016 (350 millions de dollars garantis par BAMTech sur sept ans pour le droit – non exclusif – de diffuser mondialement League of Legends). Car ce contrat de droits de diffusion ressemble aussi beaucoup à la solution d’une impasse technologique. Les cinquante millions annuels pèsent peu pour Riot Games, dont le chiffre d’affaires est estimé entre un milliard et demi et deux milliards de dollars par an. La technologie de BAMTech est en revanche une référence de poids dans le streaming vidéo sur Internet, que l’on retrouve derrière les diffusions web des programmes de sport de la MLB, de la NHL, du PGA Tour ou des chaînes de télévision HBO et ESPN.
Mais c’est surtout un choix de culture. D’abord simple développeur de jeu indépendant, Riot est devenu une sorte de producteur audiovisuel nouvelle manière, dont la marchandise est de nature complexe, à la fois jeu vidéo, compétition sportive et spectacle. Il lui a fallu définir sa nature entre deux directions opposées : devait-il se voir comme une nouvelle sorte de ligue sportive, une forme de super NBA qui posséderait le jeu mais aussi tous les terrains de basket, les ballons et vendrait elle-même chaussures et maillots ? Ou fallait-il qu’il devienne un conglomérat du divertissement intégré, gérant les déclinaisons de son produit en débordant du seul contexte d’un jeu vidéo ?
Dans le premier cas, il est logique de vendre les droits de diffusion par lots pour maximiser les recettes en minimisant les investissements, et c’est ce qu’a choisi de faire Riot. Dans le second, la priorité va au contrôle du contenu et de la chaîne de valeur, il est donc préférable d’acheter le diffuseur plutôt que de lui vendre ses droits. C’est ce qu’a choisi de faire Disney : lorsque la boîte à Mickey s’est rendu compte qu’elle avait besoin de la même technologie de BAMTech pour diffuser ses programmes sur Internet sans dépendre de Netflix, elle a acheté la boîte (c’était en août 2017).
Riot n’a pas voulu devenir un Disney… pour l’instant : dans cette industrie, il n’y a que les noobs qui ne changent pas d’avis et quand on a Tencent comme propriétaire, ce n’est pas (qu')une question de moyens.