En 2015, j'avais adoré les décors en gros pixels de Party Hard, un jeu où l'on devait s'infiltrer dans toutes sortes de boîtes de nuits, de rave-party et de soirées privées afin de commettre des meurtres. D'accord, Party Hard était mal ficelé, mal fichu, mal ce que vous voulez (il a d'ailleurs récolté un 5/10 dans le Canard PC no 324), mais il était somme toute plutôt séduisant et dégageait une atmosphère prenante. Comment capitaliser sur ces points forts ? En réutilisant l'univers visuel dans un genre connu pour offrir au joueur de se tourner les pouces tandis qu'il observe un décor en mouvement : le tycoon. Et pas n'importe quel tycoon. Celui-ci ne nous demande pas de nous prendre pour des ingénieurs, des dictateurs ou des ackboo en puissance. Non. Il nous propose le rôle de ouf du dancefloor, de teuffeur infatigable, de frappé de la dinguerie. En ce qui me concerne il ne s'agit pas vraiment d'un rôle de composition, mais je ne pense pas qu'à moi et j'imagine bien que pour d'autres il s'agit d'un dépaysement total.
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Party Hard Tycoon
Troubles fêtes
Chaque genre de jeu menace ses développeurs d'un type de piège particulier. Ce banc de récifs indiqué sur toutes les cartes, sur lequel chacun sait qu'il ne faut pas venir se fracasser, peut prendre des formes bien différentes : pour un shooter, ce sera des sensations de tir déplorables ; pour un jeu de plateforme, il s'agira d'une physique ratée, qui rend les sauts hasardeux ; pour un jeu de rôle, des dialogues écrits avec les pieds suffiront. Et pour les jeux de gestion ? Eh bien, découvrons-le ensemble grâce à Party Hard Tycoon.
On se transforme en décorateur cupide et méprisant, obsédé par les likes et par le flouze.
Fête à la maison. Party Hard Tycoon, c'est d'abord la carte d'une ville anonyme où clignotent quelques points colorés – chacun correspond à un lieu disponible pour une fête. Il suffit de cliquer sur l'un d'eux pour pouvoir choisir le thème de la soirée (Playboy, festival de la bière, années 1980, etc.), fixer un prix d'entrée et se retrouver propulsé devant l'un des décors riches et détaillés auxquels Party Hard nous a habitués. Pour l'heure, tout est calme. Les invités ne débarqueront qu'après avoir eu le feu vert, mais ne vous méprenez pas : même s'il ne se passe rien, on est là devant la partie la plus intéressante du jeu, à savoir l'agencement du lieu. Déco, son, lumières, buffet, achat de tables, de bornes d'arcade, d'un barbecue... c'est cette étape cruciale qui détermine le succès ou l'échec de la fête à venir. Et même si l'on regrette que les décors, chargés d'objets inamovibles, empêchent de réorganiser l'espace comme on le voudrait, il faut admettre que cette phase est prenante. Pas parce que choisir entre deux tables et se demander si elles seraient mieux devant la cheminée ou à côté de la porte nous fait atteindre le nirvana, non. Plutôt à cause du cynisme.
Hypocrisie Rider. Quand on doit adapter un lieu à un thème donné, il faut garder à l'esprit que chaque objet doit correspondre à ce qu'attendent les invités. Il s'agit d'un impératif crucial, incontournable. L'ignorer conduira à un bide, tandis qu'une belle déco récoltera sur les réseaux sociaux des likes qui débloqueront de nouvelles soirées à thème. Alors, et c'est extraordinaire, on se transforme en décorateur cupide et méprisant, obsédé par les likes et par le flouze. « Tiens, c'est une fête pour gamers ? Allez, on va leur mettre une statue de stormtroopers, ils aiment tous Star Wars. Bande de nerds. » « Ah, une fête de la bière ? Tiens, des tonnelets en bois partout, ça va les exciter, ils vont lâcher du like, ces porcs. N'oublions pas les posters anarchistes, parce que les buveurs de bière ils aiment niquer le système. » Ivre de cynisme, on achète avec férocité des animatronics et des plantes exotiques en plastique lorsqu'il faut recevoir des artistes.
Loterie Tycoon. Party Hard Tycoon complète ce plaisir de manipuler les masses (que les développeurs n'avaient sans doute pas prévu) par une autre source de joie plus convenue : celle, assez classique, de l'amateur de jeu de gestion qui réussit à faire tourner sans problème une boutique (ou, ici, une fête) malgré un budget minable. Parfois, le plan fonctionne. Les invités arrivent, payent leur ticket d'entrée, lâchent des likes en se baladant, sirotent un ou deux verres et repartent contents. Hélas, après quelques parties, on se rend compte que ce succès était dû au hasard. Bonne déco, serveurs prompts à remplir les verres, prix d'entrée optimal : rien n'y fait, une fois sur deux, les fêtards repartent d'une humeur massacrante et ne reviendront plus jamais dans une soirée, ce qui amène très vite au game over (déclenché lorsqu'on n'a plus personne à inviter). Voilà le défaut qu'on cherchait, le pire possible pour un jeu de gestion : se montrer trop aléatoire et obscur pour qu'on comprenne comment gérer correctement. Par bonheur, il s'agit d'un souci qu'un gros patch d'équilibrage pourrait résoudre en un tournemain ; l'espoir est donc permis.
Encore un que les débauches n'auront pas. Si je voulais vraiment trouver un défaut qui collera à Party Hard Tycoon jusqu'au bout, je vous parlerais de sa conception étrange de la fête. Le jeu récompense sans sourciller l'embauche d'un annonceur de supermarché pour mettre l'ambiance à l'occasion d'une réunion de loubards. Dans un squat occupé par une soirée underground, l'ajout de spots de lumière hors de prix fera monter la sauce. Le prix d'entrée optimal pour un rassemblement de motards attirés par la bière et la baston s'élève à 98 dollars. Que ce soit lors des soûleries d'ivrognes ou des bacchanales de la haute, il est bienvenu d'engager une brute épaisse pour racketter les invités, ce qui rapporte de la thune et contribue à faire de la fête un succès. Je veux bien croire qu'en Russie on s'amuse différemment, mais tout de même… Les jolis décors, la variété des thèmes de soirées et la progression qui emmène petit à petit des taudis crasseux aux yachts privés ont beau fournir au jeu de sérieux arguments, il manque encore bien trop d'une qualité indispensable à un tycoon : la cohérence.