Il y a cinq ans, ce qui devait n'être qu'un simple simulateur d'émeutes avec quelques gros boutons du genre « avancer », « reculer » et « tataner » n'était prévu que pour iOS et Android. Mais voilà, de retard en retard, Riot - Civil Unrest est devenu beaucoup plus ambitieux. Aujourd'hui, le jeu qui sort sur PC tente de nous plonger au cœur de mouvements sociaux récents, qu'il s'agisse des débuts nocturnes du mouvement des Indignés en Espagne ou du Printemps arabe en Égypte. Encore plus prometteur, il nous propose de diriger les deux camps tour à tour, et les différencie tant par les objectifs (destruction de tentes dans un squat pour la police, défense de ce même squat pour les manifestants) que par les tactiques qu'ils ont à leur disposition. Avant chaque mission, un écran d'inventaire permet d'organiser les troupes et de s'équiper de quelques objets bien choisis : les contestataires peuvent apporter un téléphone relié aux réseaux sociaux, qui appellera des renforts à intervalles réguliers, mais ils ont aussi l'occasion de décider combien de drapeaux ils emmènent, histoire de booster le moral du cortège (en restant raisonnables, car embarquer trop de drapeaux réduit le nombre de manifestants). Côté policier, il s'agira plutôt de contrôler le nombre et la taille de chaque groupe spécialisé (offense, défense, lanceurs de fumigènes), même si pour l'instant l'accès anticipé ne permet pas encore trop de les personnaliser. Reste que cette phase de préparation augure de très bonnes choses.
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Riot - Civil Unrest
La manif pour mous
À force d'en voir passer tous les quatre matins, on finit par oublier que les manifestations sont un haut lieu de réflexion tactique. Pour les forces de l'ordre, le contrôle des foules nécessite de trouver des alternatives à la technique du fonçage dans le tas. Du côté des manifestants, toujours sous-équipés, atteindre la destination du cortège ou protéger une ZAD requiert des stratégies toujours plus efficaces. Avec deux camps aussi asymétriques, il y avait de quoi créer un jeu exceptionnel. Il est donc difficile de comprendre comment Riot a pu se planter à ce point.
Alexandre le Grand a conquis la moitié du monde sans l'aide de claque-doigts ou de mégaphones.
Pains de foule. Hélas, dès les premières minutes de jeu, l'enthousiasme que Riot avait réussi à susciter chute drastiquement. Par exemple, on se rend vite compte que les objets sélectionnés avec amour lors de la phase de préparation ne tiennent pas leurs promesses : côté manifestants, l'appel de renforts grâce aux réseaux sociaux n'octroie au final que quelques passants inutiles et les différentes actions spéciales, comme scander un slogan ou se rassembler grâce à un mégaphone, ne sont pas suivies d'effets observables. À l'exception notable du redoutable gaz lacrymo, les nombreux projectiles disponibles dans chaque camp (pierres, cocktails Molotov, grenades de désencerclement, gros pétards, claque-doigts) ne brillent pas non plus par leur efficacité. Toujours optimistes, on se dit que tout ça importe peu, parce qu'un vrai stratège n'a pas besoin de gadgets futiles pour remporter une bataille. Après tout, Alexandre le Grand a conquis la moitié du monde sans l'aide de claque-doigts ou de mégaphones.
Lâcher l'émeute. Sans équipement efficace, il reste toujours au joueur sa ruse, sa rouerie, son aptitude naturelle à diriger. Or, c'est précisément là que se situe un autre gros problème de Riot : y exercer son commandement est une purge qui donne envie d'abandonner le métier de journaliste de jeu vidéo pour quelque chose de moins terrifiant, comme modérateur de commentaires Youtube ou traducteur de Donald Trump. Quand on parvient à les cibler et à leur intimer l'ordre de se déplacer, les blobs de manifestants et les groupes de policiers réagissent peu – ou pas du tout. Leur ardeur dépend d'une jauge de moral à peine visible, mais même lorsqu'ils pètent la forme leurs tactiques restent complètement inutiles : un groupe de CRS en formation serrée se fait déborder aussi facilement qu'un escadron plus éparpillé. Tout le jeu sera à l'avenant, avec des clics qui ne servent à rien et zéro tactique efficace. Tenez, chaque camp peut passer à la volée d'une attitude pacifiste à un comportement agressif, mais il s'agit la plupart du temps d'un faux choix : des manifestants agressifs se font tabasser sans retenue par la police (qui gagne même avec 50 morts dans un cortège de 300 personnes), tandis qu'une police passive ne bloque pas grand monde. D'autres défauts rendent chaque partie laborieuse, comme l'absence de contrôles efficaces (oui, Riot est un jeu de stratégie sans rectangle de sélection), mais c'est surtout le manque de lisibilité de l'action qui fait du tort au jeu. Malgré de très beaux graphismes en pixel-art et des cinématiques soignées, les missions sont illisibles tant les policiers sont noyés dans la foule qui grouille. De petites infobulles nous préviennent bien qu'« une personne a été blessée ! », mais on ne sait ni à quel endroit cela s'est déroulé ni pourquoi on devrait s'en soucier. Le plus ironique dans toute cette histoire, c'est que ce chaos total retranscrit assez bien ce qu'est une manifestation sous surveillance policière : une expérience pénible où l'on ne comprend rien à ce qui se passe.