Comme vous le savez si vous avez lu notre numéro de Noël (« De quoi l’industrie du jeu vidéo est-elle malade ? », Canard PC no 372), Canard PC travaille en partenariat avec Mediapart depuis septembre 2017 à une longue enquête sur les conditions de travail dans le jeu vidéo. C’est au cours de cette enquête sur les problèmes de l’industrie, que nous voulions transversale, que certaines informations recueillies ont justifié un intérêt spécifique sur ce qui se passait chez Quantic Dream. Nous avons alors réalisé qu’un confrère du Monde enquêtait sur le même sujet. Plutôt que de se marcher sur les pieds, d’aller solliciter plusieurs fois les mêmes personnes, voire de s’affronter pour savoir qui sortirait son article le premier, les journalistes concernés ont alors décidé de se coordonner sur le terrain, le temps de ce sujet.
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Quantic Dream, l’histoire d’une enquête
Dans le numéro précédent, Canard PC a fait des révélations sur le fonctionnement du studio parisien Quantic Dream. Revenons quelques mois ou semaines en arrière pour mieux comprendre comment nous avons travaillé.
Une rencontre tendue, des courriers courroucés et une lettre recommandée.
Un calendrier aux multiples contraintes. Le planning était compliqué : d’abord une audience importante aux prud’hommes avait lieu le 22 décembre 2017, impossible donc d’écrire avant ; ensuite, la rédaction de Canard PC devait tout avoir fini le 5 janvier, date du bouclage. Entre les deux, la période des fêtes et ses vacances. Cela nous a conduits à envoyer le 26 décembre une liste de questions (commune aux trois médias) à la direction de Quantic Dream, pour leur faire part de tous les éléments que nous avions et leur proposer d’exposer leur point de vue. Une rencontre passablement tendue s’en est suivie le 4 janvier. À la suite de cette rencontre, nous avons collectivement reçu de la part du studio plusieurs courriers électroniques extrêmement virulents nous accusant entre autres de diffamation, d’insultes et de harcèlement téléphonique, puis une lettre recommandée d’un cabinet d’avocats nous menaçant préventivement au nom de Quantic Dream, alors que rien n’avait encore été publié.
Publications et réactions. Le dimanche 14 janvier vers 13 heures, Mediapart et Canard PC, mais aussi Le Monde, ont donc mis simultanément en ligne leurs articles sur Quantic Dream. Dans la soirée, l’entreprise publiait sur Twitter un bref démenti indiquant que « les conduites ou pratiques inappropriées n’ont pas leur place chez Quantic Dream » et que le studio réfutait « catégoriquement l’ensemble de ces accusations ». Y compris, donc, certains faits que les dirigeants n’ont pas démentis lors de notre rencontre et refusé d’expliquer. Dans les jours qui ont suivi, certains ont cru bon de remettre en cause notre enquête en feignant de croire qu’il s’agissait uniquement de témoignages anonymes, donc invérifiés, ou d’une vendetta d’ex-employés en conflit avec Quantic Dream. En réalité, Mediapart et Canard PC ont recueilli les propos d’une vingtaine de personnes concernant Quantic Dream (dont certains sont toujours en poste, d’autres partis en bons termes) et aucun n’est anonyme : nous connaissons les noms, prénoms et parcours de chacun d’entre eux. Ils ont simplement souhaité que leur identité n’apparaisse pas dans nos articles, par crainte que dénoncer des abus ne nuise à leur carrière dans ce milieu minuscule où tout le monde se connaît (ce que nous expliquions dans l’article « La culture du silence » du no 372).
Au final, on observe deux constantes chez ceux qui ont remis en cause le travail mené : aucun n’a essayé de nous contacter pour connaître les modalités de l’enquête avant de s’aventurer dans des hypothèses hasardeuses ; aucun ne s’est ému de la dureté de ce qu’avaient pu vivre les salariés avant de conclure à un complot pour nuire au studio. Autant dire qu’ils ont abandonné à nos yeux toute prétention au sérieux.