Two Point Hospital, aucun doute, est bien la suite spirituelle de Theme Hospital. Tout d'abord, il a été développé par des anciens de Bullfrog et de Lionhead. Ensuite, son style graphique cartoon et coloré est la transposition exacte, en trois dimensions, de celui du jeu de 1997. Enfin, et surtout, son titre semble à première vue n'avoir aucun sens. « Two Point » n'est après tout que le nom du studio fondé par Gary Carr et Mark Webley, deux garçons qui ne manquent pas d'ambition. Si le succès commercial est au rendez-vous, Two Point Hospital ne sera en effet que le premier d'une longue série de jeux de gestion à la fois humoristiques et exigeants, dans la lignée des tycoons Bullfrog de la grande époque. À une différence près : les jeux Two Point se dérouleraient tous dans la même zone géographique, le comté de Two Points. « Ce sera un peu comme dans les Simpson. Vous avez Springfield, a expliqué Mark Webley dans une interview au site Rock Paper Shotgun, avec ses différents lieux : la centrale nucléaire, la taverne de Moe... Chacun existe de son côté, mais ils font également partie d'un tout. » Ce « tout » sera donc Two PointNote : 2, dont on croisera les habitants les plus mémorables dans tous les titres du studio.
Note 2 : Le nom de la ville est évidemment un clin d'œil à Twin Peaks.
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Two Point Hospital
Rond comme une queue de scalpel
Les gens sont méfiants. Nez plissé, lorgnons chaussés, ils inspectent tout avec la tatillonnerie d'un inspecteur du fisc. À la moindre faille dans un exposé, à la moindre zone d'ombre dans un récit, les grands chevaux sont lâchés : on nous ment ! on nous manipule ! JFK n'est jamais allé sur la Lune ! Pourtant, au milieu de cette paranoïa générale demeure une tache aveugle : les noms. Personne ne remet jamais en question les noms. Jamais quiconque ne se demande pourquoi un pays dont 95 % de la surface est gelée s'appelle le Groenland (« terre verte »), ou pourquoi l'un des meilleurs jeux de Bullfrog avait pour titre Theme Hospital (« Hôpital à thème »), ce qui ne veut strictement rien direNote : 1.
Note 1 : Oui, je sais bien, le jeu a été appelé ainsi en référence à Theme Park, le précédent succès du studio, mais laissez-moi mes effets, je vous prie.
Les patients atteints de momification cognent aux portes comme dans un vieux film d'horreur jusqu'à ce qu'un médecin leur prescrive une ablation des bandelettes.
Clinique de la déraison pure. Si l'idée d'une série de jeux ainsi liés de façon thématique est séduisante, elle reste un projet à long terme. Pour le moment, contentons-nous de jeter un œil à ce Two Point Hospital. En dépit des dénégations des développeurs, qui affirment haut et fort vouloir proposer un gameplay inédit, leur jeu ressemble quand même bigrement à Theme Hospital. Non que ce soit un défaut, d'ailleurs : il suffit de voir un patient atteint de momification cogner aux portes comme dans un vieux film d'horreur jusqu'à ce qu'un médecin lui prescrive une ablation des bandelettes pour se convaincre que les gars de Two Points ont eu raison de conserver l'humour déjanté de Theme Hospital plutôt que de créer un simulateur sérieux, plein de vraies maladies péniblesNote : 3, façon Project Hospital. Mais tout de même... De l'installation des salles au recrutement des employés, du parcours de diagnostic (consultation d'un ou deux diagnosticiens suivie éventuellement d'un tour dans la salle spéciale où sera administré le traitement) aux distributeurs automatiques qui servent à arrondir les fins de mois, Two Point Hospital ressemble comme deux gouttes de sérum physiologique à son illustre aîné. Y compris dans ses défauts ?
Note 3 : Notez toutefois que les développeurs, officiellement, disent avoir refusé d'inclure des maladies réelles dans leur jeu de crainte qu'on leur reproche des imprécisions dans leur traitement.
♪ Hospice 2000 ♪ L'un des principaux griefs que les joueurs adressaient à Theme Hospital, à l'exception du terrible bug empêchant de finir le niveau 5, était justement son découpage en niveaux. Plutôt que de bâtir librement son hôpital selon ses désirs et son budget, le joueur devait accomplir une série de défis de difficulté croissante. Pour le meilleur et pour le pire, les développeurs semblent pour le moment vouloir conserver le même fonctionnement. « Nous voulons que le jeu soit facile d'accès, argumente Mark Webley, que le joueur ne puisse pas être bloqué, que sa progression ne soit pas une ligne droite. Par exemple, si vous trouvez un niveau trop difficile, vous pourrez vous contenter de le valider avec une seule étoile, et puis revenir plus tard pour essayer d'en gagner davantage. » Cela suffira-t-il à séduire sur la durée les amateurs de jeux de gestion, qui sont de nos jours plus habitués aux bacs à sable qu'aux enclos ? Comme le fait remarquer Gary Carr, malgré sa structure un peu trop rigide, Theme Hospital continue, 21 ans après sa sortie, de figurer parmi les meilleurs téléchargements de Gog. Probablement parce que le jeu était très finement équilibré, et permettait aux joueurs d'expérimenter de subtiles variations au sein de chacun des niveaux, suppose Gary. « À l'époque, nous avions hérité d'un vieux moteur 2D, dérivé de celui de Populous. Comme le moteur nous a été fourni clés en main, ça nous a laissé beaucoup de temps pour équilibrer le jeu. Aujourd'hui on se trouve un peu dans la même situation puisqu'on utilise Unity3D. Alors on joue au jeu, on affine les réglages, et puis on y joue encore, un peu comme on appliquerait des couches successives de vernis. » Avec à terme, qui sait, un jeu qui sera encore téléchargé en 2039.