Après avoir travaillé chez Ubisoft puis créé un premier titre en solo, le codeur parisien du jeu, Alexandre Lautié, a voulu convaincre sa dulcinée Zimra, dessinatrice de BD, d'utiliser ses talents d'artiste au profit du jeu vidéo. Mais sa compagne ne voulait pas en entendre parler. Un jour, Alexandre réussit pourtant à la traîner de force à une game jam, espérant qu'elle se découvre une passion inattendue pour le jeu vidéo. Et ça a fonctionné ! Du coup, l'illustratrice et le programmeur, déjà unis dans la vie, se mirent à travailler ensemble sur leur premier projet conjoint, Machiavillain. Un jeu fait par un vrai couple, à la douce lueur de l'amour, n'est-ce pas merveilleux ? OK, maintenant parlons d'empalement et de découpe de cadavres.
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Machiavillain
La maison tranche cinq
Machiavillain, c'est un jeu dans lequel il faut massacrer de pauvres innocents en construisant le coupe-gorge le plus efficace possible. Mais c'est avant tout une belle histoire humaine ! Laissez-moi vous la raconter...
Un peu de Prison Architect... Machiavillain s'est déjà fait remarquer depuis longtemps. Il a d'abord réussi son financement sur Kickstarter en février 2016, puis a récolté un prix au Festival européen du film fantastique de Strasbourg la même année. Notre Maria Kalash, qui était dans le jury, me racontait qu'un public nourri d'inconditionnels du jeu se pressait autour du PC qui le faisait tourner. En septembre 2017, l'ami Izual nous donnait ses premières impressions après avoir pratiqué Machiavillain à la Gamescom. Je vous cite un passage de la version originale de son texte, avant qu'il n'ait été corrigé par notre secrétaire de rédaction : « o debu c 1 peu kom prizon arshitek mé aprè c diféran ». Et il a tout à fait raison. Avec ses graphismes 2D vus de dessus, ses petits arbres, son terrain en grille, Machiavillain rappelle immanquablement Prison Architect et Rimworld. Le jeu démarre sur une carte vide, avec une modeste armée de trois monstres d'épouvante (zombie, momie...) qu'on envoie... couper du bois. Avec leurs petites bûches, ils bâtissent ensuite un début de maison des horreurs : une chambrée pour se reposer sur des lits de paille, des zones de stockage pour les ressources, la nourriture et l'or, quelques établis de crafting ou de recherche et surtout un bureau. Très important, ce bureau, en début de partie : c'est là qu'un monstre peut prendre sa plume pour envoyer de faux courriers (du genre « vous avez gagné un diamant 24 carats, venez chercher votre lot ! ») qui attireront d'innocentes victimes dans votre abattoir à humains.
... un peu de Dungeon Keeper... Lorsqu’un groupe de pigeons arrive, le jeu prend des allures de petit STR. Les monstres arrêtent de travailler, se positionnent dans les coins sombres et attendent leur proie. C'est du contrôle direct, de la microgestion classique dans laquelle on ordonne à tel monstre d'attaquer telle demoiselle apeurée. Les combats du début se font au corps à corps (et ne sont pas bien difficiles), mais vos créatures maléfiques devront plus tard, quand votre Auberge rouge se fera attaquer par d'autres méchants, débloquer des pouvoirs plus variés – le squelette peut par exemple balancer un os à distance, la momie peut enturbanner une victime pour l'immobiliser. Une fois que toute la petite troupe humaine est morte, on nettoie le sang (ça évite d'effrayer prématurément la prochaine livraison de victimes) et on découpe les macchabées sur une table de boucher, afin que les minions puissent se nourrir – on les voit alors bouffer goulûment des cerveaux et boire du sang. Puis la phase de construction reprend. Afin d'optimiser les performances meurtrières de la bâtisse, le jeu propose d'installer tout un éventail d'éléments pour distraire les victimes, les attirer dans un recoin particulier de la maison, ou simplement les tuer sur le coup. J'ai vu des dalles se hérisser de pieux, des scies sauteuses qui sortent des murs, des écrans de télévision qui hypnotisent les visiteurs, des portes secrètes permettant à une de mes abominations de surgir à l'improviste... Forcément, ça rappelle beaucoup un Dungeon Keeper mâtiné de tower defense, avec ce côté « parcours fléché du meurtre » destiné à satisfaire le petit sadique refoulé qui sommeille en chacun de nous.
... un peu de Don't Starve. Malgré le côté morbide de son sujet, Machiavillain reste étrangement charmant, voire comique. Les différentes interventions des protaganistes extérieurs (un croquemort qui vous livre des cadavres sur le pas de la porte, une amicale des monstres qui vous décerne des bons points...) sont rigolotes. La violence n'est jamais choquante, c'est du gore de dessin animé, du meurtre de masse kawaï, du bon cliché de film d'horreur. Un gosse de 12 ans pourrait y jouer sans risquer de se traumatiser à vie. Et la direction artistique est vraiment mignonne. On sent une grosse inspiration Don't Starve dans le style graphique, dans les animations sautillantes des monstres, dans la palette de couleurs. Bref, ça m'a plu. Je ne pense pas qu'il nous fera tomber dans une addiction digne d'un Prison Architect ou d'un Rimworld, beaucoup plus focalisés sur la construction et la gestion, mais la formule de Machiavillain est prometteuse. Et surtout, ce n'est pas un jeu auquel j'ai l'impression d'avoir déjà joué dix fois. J'avais un peu peur de me retrouver devant un clone 2D bon marché de Dungeon Keeper, et j'ai été vite rassuré. Machiavillain a sa formule, ses idées, ses mécanismes bien à lui. Même s'il me reste quelques interrogations (sur l'IA des victimes, la variété des pièges, la progression au-delà de quelques heures de jeu...), je suis optimiste et me prépare à un combat haineux et brutal contre Izual pour récupérer le test.