Pour beaucoup de gens, le jeu de rôle stagne. Je ne partage pas entièrement cette opinion, mais il faut admettre que dans l'histoire récente, personne n'est venu tout cramer pour repartir sur des bases neuves. En fait, on manque d'idées pour rajeunir tout cet enchevêtrement complexe de points d'expérience, de classe d'armure et de dialogues à choix multiples. Chez les Parisiens de Tactical Adventures, on pense avoir trouvé une piste : utiliser la dernière version de Donjons et Dragons, la très populaire 5e édition, pour apporter une touche de modernité à un genre qui s'inspire encore de règles conçues dans les années 1970. Le studio réunit justement pas mal de rôlistes autour d'un patron dont les joueurs connaissent déjà le travail puisqu'il s'agit de Mathieu Girard, l'un des deux fondateurs d'Amplitude (Endless Space, Dungeon of the Endless, Endless Legend). « Il y a un truc énorme à faire avec la 5e édition, m'a-t-il déclaré avec enthousiasme lorsque je me suis rendu dans les locaux de Tactical Adventures pour discuter avec lui. Ils ont rationalisé, catégorisé, compartimenté et rajouté un peu de variété aussi. Ça marche très bien. Les systèmes d'avantage et désavantage, les conditions… on a l'impression que ça a été fait pour le jeu vidéo tellement c'est clair et limpide. »
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Solasta : Crown of the Magister
L'art de la table
C'est une bonne période pour tous les amateurs de « trucs de dégénérés avec un magicien qui agite son bâton en faisant zouim-zouim », comme dirait ackboo. Oui, nous autres, passionnés de jeux de rôle, avons le vent en poupe. Preuve de la vitalité du genre, une nouvelle vague de JDR commence à émerger depuis deux ans. Avec des titres comme Pathfinder : Kingmaker, Realms Beyond et Baldur's Gate 3, pas mal de studios semblent choisir de s'inspirer fidèlement d'un jeu de rôle papier – le plus souvent Donjons et Dragons. Solasta : Crown of the Magister en est le dernier exemple en date. Le dernier, mais pas le moindre.
« Une partie de jeu de rôle, c'est quatre copains et copines qui racontent des conneries autour d'une table. »
Bonds et lumières. En plus des emprunts à la très réussie 5e édition, Solasta : Crown of the Magister innovera avec quelques ajouts inspirés des jeux de rôle sur table. Tactical Adventures insiste beaucoup sur la verticalité car dans un jeu vidéo de rôle, on ne peut quasiment jamais voler, grimper aux murs, se téléporter ou pousser des ennemis dans le vide. Solasta : Crown of the Magister promet de combler ces lacunes avec des niveaux pensés pour utiliser pleinement le positionnement en 3D. L'autre obsession du studio concerne l'éclairage dynamique. La lumière est un outil passionnant, surtout pour des aventures qui consistent à explorer des donjons obscurs, mais les CRPG à avoir exploité cet élément sont encore trop rares. « Dans un jeu de rôle papier, les torches sont compliquées à gérer parce qu'il faut dessiner le cercle de lumière autour des personnages, si on se déplace c'est galère parce qu'il faut l'effacer, le remettre… Là, on a des outils informatiques pour le représenter, ce qui renforce l'expérience de l'exploration, le mystère de certaines situations et rend plus utiles certains sorts. »
Trafic d'héros. Pour rappeler encore davantage les jeux de rôle papier, Tactical Adventures veut aussi changer la façon dont on interagit avec un groupe de héros. « Je ne trouve pas qu'on retrouve les sensations d'une partie de jeux de rôle dans un jeu vidéo », a continué Mathieu Girard, l'air grave. Il explique ce manque entre autres par l'abondance de combats en temps réel, qui ne reproduisent pas la richesse tactique et le rythme d'une partie autour d'une table. Surtout, « dans un jeu, tu crées un personnage et après tu as des larbins qui vont l'accompagner dans son aventure. Alors qu'une partie de jeu de rôle, c'est quatre copains et copines qui racontent des conneries autour d'une table, qui ont des personnages très différents, du contraste qui les fait vivre. » Même si le jeu sera solo, les quatre aventuriers qui composeront le groupe du joueur dans Solasta : Crown of the Magister auront tous une importance égale au lieu de suivre aveuglément un héros unique. L'idée est d'avoir des interactions amusantes et intéressantes, avec les backgrounds, races et sous-classes de chacun qui proposent des personnalités distinctes, prises en compte par la narration. Dans les dialogues, par exemple, les choix dépendront du caractère des personnages. « Le guerrier fruste, le voleur roublard, le magicien éduqué vont dire des phrases différentes. Recommencer une partie avec d'autres persos donnera aussi un résultat très différent. L'idée, c'est de retrouver du contraste entre les membres du groupe. De recréer de la saveur, comme quand dans une partie de jeu de rôle avec des copains tu dis "bon, on va essayer de négocier" au moment d'une conversation avec un PNJ et que ton pote répond "nan, on s'en fout, on va le défoncer". »
Donjons et Créatures à déterminer. Bien sûr, dépoussiérer des mécaniques antédiluviennes ne suffit pas à donner une identité à un jeu, d'autant que Tactical Adventures n'a pas acquis la licence officielle de Donjons et Dragons. Comme d'autres avant lui, Solasta : Crown of the Magister fonctionne sous OGL, la version libre de Donjons et Dragons, et ne peut donc pas se situer dans les célèbres Royaumes Oubliés ou utiliser certains de ses monstres les plus connus. Les développeurs ont donc l'immense et délicate tâche de bâtir eux-mêmes une histoire captivante, un bestiaire mémorable et un univers original. Or, pour l'instant, le peu de détails disponibles sur le jeu ne colle pas vraiment à ces adjectifs. Malgré un bref aperçu d'une interface élégante qui rappelle les jeux Amplitude – là-bas, Mathieu Girard a été l'un des piliers de l'expérience utilisateur –, Solasta : Crown of the Magister n'a montré pour l'instant qu'un décor de donjon générique, un guerrier en armure et des araignées géantes. Je reste néanmoins optimiste, ne serait-ce que parce que le studio sera vite obligé de sortir du bois : une campagne Kickstarter est prévue pour bientôt et il faudra bien plus qu'une promesse de niveaux verticaux assortis de quelques nains et elfes pour appâter les joueurs.