Oh attention, pas la grosse crise de larmes hein. Je sais me tenir. Non, mais j’ai quand même eu les yeux humides, un peu de buée sur les lunettes. Laissez-moi vous donner tout de suite les détails techniques bruts, afin que vous compreniez mon émoi. En résolution 4K de bourgeois, au niveau de détail Ultra, sur un gros PC de joueur (Intel i7-8700K à 3,7 GHz, GeForce 2080 Ti, 64 Go de RAM), Flight Simulator tourne de manière très satisfaisante, autour des 40 FPS, tout en étant approximativement douze, quinze, vingt fois plus beau que n’importe lequel de ses concurrents. Les photos d’écran et les vidéos disponibles depuis l’annonce du jeu cet été n'étaient pas trafiquées. C’est un bond technologique gigantesque. X-Plane, Prepar3D ou même FSX, bourrés ras la gueule d’add-on cosmétiques, n’arrivent pas à la cheville de ce que ce nouveau Flight Simulator va afficher. Je vais bien sûr vous parler en détail de ce que j’ai vu, de la beauté indécente des paysages, de la qualité incroyable des nuages, mais laissez-moi terminer ce premier paragraphe introductif par une déclaration toute simple : rien, de tout ce que j’ai pu voir durant ma longue carrière de Tintin reporter du jeu vidéo, ne m’a autant impressionné que ce Flight Simulator de nouvelle génération. Et cerise sur le gâteau, tout est made in France.
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Flight Simulator
Hélice au pays des merveilles
« T’excite pas, ça va tourner à cinq images par seconde. » Je me répétais cette phrase devant chaque photo d’écran de Flight Simulator. Même les vidéos me poussaient à la méfiance, je sentais la bonne grosse arnaque du rendu précalculé dans une ferme de serveurs. Parce que c’était trop beau. Trop de détails. Trop de nuages. Trop d’ombres. Trop d’arbres. Trop de bâtiments. Puis Microsoft m’a collé devant une machine faisant tourner le jeu. Et j’ai pleuré.
C'est beau, c'est de Bordeaux. Oui, je suis tout aussi surpris que vous. Figurez-vous que depuis 2016, dans le plus grand secret, c’est un studio bordelais qui bosse sur Flight Simulator. Asobo, que vous connaissez sûrement déjà pour l’excellent A Plague Tale : Innocence (et avant cela Fuel) avait déjà discrètement collaboré avec Microsoft sur certains projets, notamment pour les lunettes high-tech Hololense. Impressionné par les compétences de l’équipe, l’éditeur américain leur a proposé de reprendre leur glorieuse licence de simulation de vol. Et les développeurs aquitains se sont lancés à fond dans l’aventure, s’inscrivant même en masse pour passer leur brevet de pilote. Mon cœur de patriote en est encore tout gonflé. Je comprends mieux pourquoi les bandes-annonces de Flight Simulator étaient bourrées de paysages français.
VR, TrackIR et caméra. Cela risque de faire grincer quelques dents : Flight Simulator ne supportera probablement pas les casques de réalité virtuelle au lancement. Les développeurs d'Asobo ont été très prudents lorsqu'on a abordé le sujet. En gros, ils savent que c'est essentiel, mais ne veulent pas sortir une expérience VR au rabais sur les casques actuels. Côté Microsoft, le Project Lead du jeu a été plus direct en m'affirmant que le support VR était en chantier, sans s'engager sur une date de disponibilité. Autre info d'importance concernant les périphériques immersifs : le TrackIR n'est pour l'instant pas implémenté dans le jeu. Perso je m'en cogne, je ne l'ai jamais beaucoup utilisé sur les simulateurs de vols civils – alors qu'il est essentiel sur DCS, Falcon 4 BMS ou IL-2. Mais là encore cette absence, si elle se confirme, devrait causer quelques échauffourées sur les forums spécialisés. Peut-être seront-elles calmées par une nouvelle caméra très bien faite, rappelant l'indispensable add-on EZDock de Flight Simulator X. Elle fait un excellent job à reproduire les soubresauts de l'avion, donnant ainsi l'impression d'être dans une carlingue vivante, tressautante, ballottée par les irrégularités de la masse d'air.
Flight Simulator X². Mais revenons au jeu. Et confirmons quelques infos essentielles. Oui, Flight Simulator sera bien un simulateur. Des étoiles dans les yeux, les gens d’Asobo nous ont parlé de leur modèle de vol qui simule avec un réalisme inédit les flux d’air sur la surface des avions. Ils se sont enflammés pour leur nouveau moteur physique qui gère les turbulences et les irrégularités du relief sur les pistes d’atterrissage. Ils bondissaient en évoquant leur modélisation archi-détaillée des masses d’air. Flight Simulator, même s’il sortira plus tard sur Xbox One, sera donc un jeu d’avion authentique, ultra réaliste, « comme dans la vraie vie ». Il sera possible de voler sur la terre entière, aux commandes de vrais avions dont le comportement a été validé par les constructeurs aéronautiques. On pourra bien sûr se prendre la tête à exécuter des check-lists longues comme le bras, à faire décrocher l’appareil, à appuyer sur les centaines de boutons de cockpits reproduits jusqu’au moindre morceau de plastique. Ah, un autre détail important pour mettre fin aux rumeurs : il n'y aura pas d'abonnement mensuel à payer. Ce sera un jeu « normal », qui sera probablement vendu au tarif habituel des triple-A. En gros, c'est exactement comme Flight Simulator X, à la différence que cet épisode est développé avec des technologies du XXIe siècle.
Apprends, petite machine. Et quelles technologies, mes amis. Je vais essayer de ne pas trop m'emballer mais… pfioulala. D'abord, parlons des textures au sol. Lorsqu'on vole au-dessus d'une zone, le jeu va directement chercher sur les serveurs de Bing (le concurrent de Google Map monté par Microsoft) des images aériennes en haute résolution. On a donc les champs, les rivières, les routes exactement là où ils se trouvent, avec leurs couleurs originales et une résolution de quelques dizaines de centimètres. Ensuite, le jeu doit y placer les objets – bâtiments, arbres, etc. Ce sont alors les serveurs Azure de Microsoft qui, grâce à un algorithme de Machine Learning, analysent les textures et indiquent au jeu l'emplacement des structures 3D et des forêts qu'il faut remplir d'arbres. La planète a été divisée en « biomes culturels » qui garantissent que ces objets correspondent à l'architecture et la végétation locale. Vous n'aurez donc, bien sûr, pas les mêmes bâtiments et la même verdure au Canada et en Afrique. Cette méthode, qui combine deux pétaoctets de données et les derniers progrès en matière d'intelligence artificielle, offre des résultats impeccables. J'ai volé au-dessus de l'Ouganda, de Bali, des Émirats arabes unis et les panoramas sont à tomber sur le cul. Ces régions, qui seraient dans Flight Simulator X ou X-Plane de grandes étendues génériques remplies au pifomètre par les vieux systèmes d'auto-gen, apparaissent désormais avec un niveau de détail qu'aucun simulateur de vol n'avait offert jusqu'à présent. On devrait enfin pouvoir voler en VFR (c'est-à-dire « à vue », en utilisant des repères réels au sol) sur toute la planète.
Ouverture prochaine de la foire aux add-on. Sans donner de noms, Microsoft et Asobo nous ont clairement laissé entendre que les gros développeurs d'add-on pour simulateur de vol étaient dans les starting-blocks. Certains d'entre eux ont même déjà visité les studios d'Asobo. Pour vendre leurs produits, ils auront deux choix : utiliser une boutique intégrée au jeu (un bouton MarketPlace était déjà là dans le menu principal, mais encore inactif) sur laquelle Microsoft prendra probablement une petite commission, ou bien le faire à l'ancienne, par leurs propres canaux de distribution, exactement à la manière de Flight Simulator X. Comme ça, tout le monde est content.
De là-haut, je vois vraiment ma maison. Mais attendez, il y a mieux. Depuis une dizaine d'années, les fournisseurs de données géographiques font tourner des avions au-dessus des grandes villes pour en faire des scans photogrammétriques. Ils capturent ainsi les volumes (bâtiments, arbre, mobilier urbain, voitures...) mais aussi les couleurs de ce qu'ils balayent, avec une résolution de trois centimètres par pixel. Résultat : quand je vais sur Google Earth et que je pointe la caméra sur mon petit immeuble de banlieue, je peux y distinguer le pot de fleurs sur mon balcon, la couleur des rideaux que j'ai mis aux fenêtres et mon scooter garé juste en bas. Avec Bing, Microsoft a scanné 400 villes à travers le monde. Flight Simulator utilisera bien sûr ces données. Alors je vous la fais courte : c'est dément. J'ai emmené un Cessna 172 en rase-mottes au-dessus de Seattle et Manhattan, j'en ai encore des frissons. Il y a des milliers de bâtiments à l'écran, on peut lire les vraies enseignes des magasins, on reconnaît tout de suite les buildings emblématiques. C'est de la simulation de vol next-next-next-gen. Le genre de chose que je ne pensais pas voir sur un PC avant 2030. Et pourtant c'était là, devant moi. Tournant à une bonne quarantaine d'images par seconde en 4096 × 2160 avec tous les détails à fond.
Comme sur un nuage. Si Asobo s'était contenté de proposer ces paysages terrestres splendides et de rajouter trois vagues cumulonimbus au-dessus, j'aurais déjà été conquis. Bien sûr, ils ont fait mieux. Flight Simulator a simplement les plus beaux nuages jamais vus dans un jeu vidéo. Ils sont volumétriques, ils projettent leurs ombres sur le sol, sur les autres nuages, sur eux-mêmes. Ils s'affichent dans un rayon de 600 kilomètres autour du joueur. Ils changent en temps réel d'après la météo, se dissolvent ou s'étirent selon les mouvements de la masse d'air et les courants créés par le relief au sol. Ces nuages sont tellement beaux, tellement réalistes que lorsque j'ai joué avec ce système en affichant différentes conditions météo, je n'ai pas fait de « oh ! » ou de « waaah ! ». J'ai juste secoué la tête, incrédule, hagard. Je ne comprends pas comment un PC peut afficher ça sans faire fondre la carte graphique. Tout tombe juste : la lumière, la couleur du ciel, les rayons du soleil qui percent à travers les différentes couches. Croyez-moi sur parole, on va passer des heures à faire des screenshots incroyables sur ce jeu.
Ce que j'aurais aimé voir (mais que je n'ai pas vu car la vie est cruelle). Nous n'avons pu voler que sur trois petits zincs : le traditionnel Cessna 172, un Robin DR-400 et un turboprop TBM. Pas de gros avions de ligne pour le moment. D'après les photos d'écran, on devrait quand même avoir un Airbus A320Neo pour faire joujou à la sortie, avec modélisation des FMS/FMC et CDU (les ordinateurs de navigation compliqués équipant les airliners). Il n'y avait aucun autre avion en vol, mais on nous a juré qu'il s'agissait d'un vilain bug. De ce que j'ai compris, le jeu affichera le trafic aérien autour du joueur en temps réel, en utilisant les informations d'un fournisseur spécialisé. J'imagine que cela pourrait être Flightradar24.com, ou une autre base de données de ce genre. Pas de communication radio à l'horizon, mais les développeurs préparent quelque chose. L'un d'entre eux, qui vient juste d'avoir son brevet de pilote, m'a soufflé à l'oreille : « Évidemment, la radio, c'est essentiel quand tu voles. Puisqu'on veut proposer une expérience de vol authentique, on aura un ATC réaliste. » Pas plus d'infos pour le moment.
Retour sur terre. Bon, je viens de passer quatre gros paragraphes à m'extasier comme un enfant affamé devant des pâtes au ketchup. Pour rééquilibrer et garder un semblant d'esprit critique, je me dois donc de vous parler des petites taches que j'ai vues sur ce beau napperon. D'abord, pas la moindre trace de réalité virtuelle (voir encadré « VR & TrackIR »). Ensuite, il faut signaler quelques soucis graphiques, inévitables sur une version alpha. Les voitures volent au-dessus des routes et, de temps en temps, on peut apercevoir un nuage sur les textures du sol, qui n'ont donc pas toutes été correctement « nettoyées ». Il manque des antennes et des éoliennes. Les temps de chargement m'ont semblé longs, particulièrement lorsque j'ai voulu démarrer un vol à La Guardia, juste à côté de Manhattan et ses gigaoctets de bâtiments en haute résolution. Je dois aussi signaler que nous avons joué dans des conditions idéales : à deux pas de chez Microsoft et avec une grosse connexion internet. Que se passera-t-il quand il faudra rapatrier des données géographiques vers la machine d'un joueur au fond de la Corrèze, sur une connexion ADSL pourrie ? L'éditeur assure prendre toutes les précautions là-dessus. Il y aura notamment des options pour précharger les régions survolées et jouer complètement offline. Il faudra voir ce que ça donne, notamment le jour de la sortie, quand 250 000 joueurs solliciteront en même temps les serveurs pour survoler leur patelin.
Ça donnera quoi sur un Minitel ? Enfin, même si j'ai été abasourdi par les performances du jeu (surtout vu la résolution monstrueuse à laquelle il tournait), nous y avons quand même joué sur des bécanes à plus de 1 500 euros, calibrées par Microsoft, dans un environnement contrôlé. Qu'en sera-t-il sur la machine que Tonton Jean utilise depuis 2007 pour jouer à son Flight Simulator X adoré ? Est-ce qu'un PC de joueur moyen – disons un petit Intel i5 couplé à une GeForce 1070 et 16 Go de RAM – supportera le même niveau de détail et de fluidité en 1920 × 1080 ? Nous pourrons commencer à répondre à ces questions fin octobre, lorsque les premières versions Tech Alpha du jeu seront distribuées à quelques chanceux – Canard PC devrait être sur la liste, ou je m'immole devant la mairie de Bordeaux. D'ici là, je sais qu'il ne se passera pas un jour sans que je repense à Flight Simulator. La simulation aérienne débute enfin sa renaissance sur PC, et je vous le redis les larmes aux yeux, les joues roses, la lèvre inférieure tremblotante : je n'ai simplement jamais rien vu d'aussi beau.