Comme disait à peu près Günther Anders, « Ach ! Vivre abrès la kadastrophe adomique, za n'est bas de la rikolade ! » C'est vrai pour tout le monde, mais encore plus pour Igor, le protagoniste de Chernobylite. Sorte de Gordon Freeman ukrainien, ce physicien travaillait à la centrale le soir de l'accident et, depuis, erre de par le monde avec deux obsessions. La première : mettre la main sur de la chernobylite, élément chimique apparu dans le cœur du réacteur de la centrale lors de sa fusion. Le second : retrouver Tatyana, sa fiancée disparue il y a trente ans au lendemain de l'accident. Dans la première scène de Chernobylite, qui fait office d'introduction, Igor, accompagné de deux amis stalkers, reviendra sur les lieux de l'accident récupérer le précieux cristal nécessaire au fonctionnement du téléporteur portatif qui l'accompagnera tout au long du jeu. Puis il s'installera dans un entrepôt désaffecté au milieu de la zone, qui servira de quartier général pour le reste des opérations.
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Chernobylite
H. R. Geiger
Loin de moi l'idée de vouloir établir une hiérarchie entre les peuplesNote : 1, mais il faut quand même reconnaître que les États-Uniens sont beaucoup plus dégourdis pour le commerce que les gens d'Europe centrale. Vous arrivez sur le stand d'un développeur US à la Gamescom, il se jette sur vous, vous serre la main un demi-hectopascal en dessous de la force nécessaire pour la broyer puis vous présente la pire merde à grands coups de « awesome ! » et de « incredible ! ». Les Polonais de The Farm 51, eux, m'ont expliqué que leur jeu ne serait « pas très ouvert », « plutôt linéaire » et que je ne devais pas « m'attendre à la liberté d'un S.T.A.L.K.E.R. sans quoi je serais déçu ». Remarquez, ça se trouve, c'est une brillante stratégie commerciale : en lançant cet accès anticipé de Chernobylite, je ne m'attendais à rien et j'ai été agréablement surpris.
Note 1 : J'ai toujours rêvé de commencer un papier comme ça, je sens d'ici les poils d'Ivan se hérisser de peur quand il va lire cette phrase.
Je n'étais pas fier ce soir où je n'ai eu qu'un demi-quignon de pain à donner à mon fidèle Olivier.
D&Cobalt 60. L'action de Chernobylite est divisée en journées. Chaque matin, Igor et ses acolytes doivent choisir une mission à accomplir sur la carte de la Zone. Certaines font avancer la trame principale – la recherche de Tatyana, donc –, les autres sont l'occasion de récupérer du matériel de crafting qui permettra de fabriquer de l'équipement (armes, munitions, matériel de soins...) ou d'améliorer la base en y installant de nouveaux équipements de production ou de divertissement, pour remonter le moral des troupes comme dans un remake post-soviétique des Sims. Détail intéressant, chaque mission, principale ou annexe, peut être assignée à Igor (c'est-à-dire au joueur) ou à l'un de ses potes, auquel cas un pourcentage indique la chance qu'il a de la mener à bien. Le soir, de retour de leurs aventures, les stalkers se reposent et partagent la nourriture qu'ils ont trouvée, des portions plus importantes garantissant un meilleur moral et une plus grande efficacité. Tout cet aspect survie du jeu est particulièrement réussi et donne immédiatement à ressentir la violence de la zone, la difficulté d'y survivre. Je n'étais pas fier ce soir où, suite à une série de raids désastreux, je n'ai eu qu'un demi-quignon de pain à donner à mon fidèle Olivier. Les missions elles-mêmes, malheureusement, sont un peu moins réjouissantes.
Irradiés gagas. Attention, ne jetons pas le bébé de graphite avec l'eau du bain de refroidissement : il y a de très bonnes choses dans le gameplay de Chernobylite. Les fusillades, pour commencer, ont cette âpreté et ce réalisme qui caractérisent les jeux polonais. Faites-vous repérer, la première balle vous sonnera, la deuxième vous jettera face contre terre, incapable de riposter pendant cinq bonnes secondes, la troisième vous enverra rejoindre le camarade Lénine. Pour échapper aux soldats qui quadrillent la zone et aux créatures étranges qui y rôdent, vous devrez vous montrer discret, tirer le moins possible, éliminer les patrouilles discrètement à coups de killmoves bien sentis. Seulement voilà, l'IA est aussi myope que sourde et, à moins d'être particulièrement maladroit, il est facile d'étrangler toute une colonne de soldats, de l'arrière vers l'avant, sans qu'aucun ne se doute de rien quand on liquide le type qui marche deux mètres derrière lui. Comme de plus les missions se déroulent presque toutes sur les mêmes cartes et reposent sur le même principe (entrer dans une zone instanciée, y récupérer un objet en essayant d'éviter les patrouilles et de looter le plus de cochonneries possible, utiliser le town portal à la tchernobylite pour retourner à la base), on a rapidement l'impression de faire la même chose en boucle.
« Not great, not terrible ». Au moment d'écrire un « En chantier », ne se pose pas tant la question de la qualité de ce à quoi on vient de jouer, que celle de son potentiel. Et il faut le reconnaître, Chernobylite a un très, très gros potentiel. Oui, son IA pourrait sans difficulté faire valoir ses droits à une pension d'invalidité. Oui, les cartes sont pour le moment peu nombreuses et les missions répétitives. Mais cela n'enlève rien au plaisir d'explorer la Zone dosimètre en main (un message au début du jeu nous informe que c'est une visite de Prypiat qui a donné aux développeurs l'idée du jeu), de récupérer de quoi bâtir une petite oasis d'ordre et de calme au milieu de ces terres hostiles, d'interagir avec des compagnons au moral aussi gris que le béton qui constitue l'alpha et l'omega de toute l'architecture, de s'entraîner au tir sur des boîtes de conserve avec un vieux revolver Nagant en écoutant les crépitements d'un compteur Geiger. Chernobylite ne sera jamais un S.T.A.L.K.E.R. 2, non, mais si The Farm 51 ne bâcle pas le boulot qui lui reste, il a de quoi trouver lui aussi sa place dans la grande histoire des FPS cafardeux.