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Nos peurs d'enfance
Quand le jeu vidéo fait des anxieux
Au cours d'une de nos récentes discussions au coin du feu – ben oui, on s'occupe comme on peut lorsqu'on n'a plus Internet –, nous nous sommes rendu compte que pratiquement toute la rédaction partageait un point commun : celui d'avoir été très angoissé par un jeu vidéo pendant notre enfance. Il n'en fallait pas plus pour nous pousser à narrer ces histoires d'horreur, teintées de naïveté et d'insouciance qui, espérons-le, réveilleront chez vous d'horribles souvenirs vidéoludiques que vous tentiez d'oublier. De rien. Ça nous fait plaisir.
Indiana Jones et la Dernière Croisade Je devais avoir 7 ou 8 ans et je passais l'après-midi chez le copain d'école qui m'a initié aux jeux vidéo sur PC. Celui sans qui, probablement, je ne serais pas là aujourd'hui. J'étais donc chez lui, ça devait être un mercredi ou un samedi, et comme on avait fini Xenon 2 (si si) et Carmen Sandiego, on s'était mis sur Indiana Jones et la Dernière Croisade, le point and click de Lucasarts (qui s'appelait encore Lucasfilm Games). On explorait les catacombes sous Venise, tout allait bien, même si la musique faisait un peu peur. Après des heures passées à résoudre les énigmes, à trouver les bonnes combinaisons de symboles et la mélodie correcte à jouer sur le xylophone de crânes, victoire, on finit par gagner accès à la tombe du chevalier. On soulève la plaque de la sépulture et là, sans prévenir, en plein écran sur les 320 × 200 pixels du moniteur couleur 14 pouces, le squelette du chevalier, accompagné de l'accord le plus terrifiant que pouvait cracher le synthétiseur MIDI de la SoundBlaster 2. Mon premier jumpscare, mille fois plus terrifiant (ce côté cru et pixelisé, cette musique synthétique digne d'un jeu HorrorSoft...) que la mort de Walter Donovan à la fin du film. Je continue à regarder mon ami jouer mais de plus loin, du coin de l'œil, prêt à les fermer au premier signe suspect. En un instant, Indiana Jones et la Dernière Croisade est devenu pour moi un jeu d'horreur, un Amnesia avant l'heure, d'où des monstres peuvent jaillir à tout moment sans qu'il soit possible de faire quoi que ce soit. Il faudra attendre X-Wing pour que je pardonne à Lucasarts de m'avoir infligé ces heures d'angoisse.
Louis-Ferdinand Sébum
Doom Quand j’étais petite, mon grand frère me laissait jouer à toutes sortes de jeux sur son PC – des jeux auxquels je ne comprenais pas encore grand-chose mais qui m’ont durablement marquée, comme Jazz JackRabbit, Full Throttle ou Day of the Tentacle. Lorsqu’il se sentait d’humeur clémente, il me laissait le regarder jouer à Doom. Avant que j’entre dans sa chambre, il plaçait systématiquement un pansement sur son écran, au niveau de l’avatar de son personnage, sous prétexte que ce qui se cachait dessous était bien trop choquant. Je me souviens très bien avoir vu défiler toutes sortes d’ennemis immondes, mais rien n’était pire pour moi que d’imaginer ce que pouvait dissimuler ce petit bout de sparadrap, au point d’en faire des cauchemars la nuit. Qu’est-ce qui pouvait être plus horrifiant que les démons cornus, les cyclopes à dents pointues et les têtes rouges flottantes sur lesquels il passait son temps à tirer ? Des années plus tard, j’ai enfin su ce qui se cachait sous le pansement : c’était juste le visage de son personnage qui se tuméfiait à mesure qu’il encaissait les dégâts. Merci Pascal, je me suis rarement sentie aussi arnaquée.
Ellen Replay
Command and Conquer : Alerte Rouge 2 Froussard dès mon plus jeune âge, j'ai évité toute mon enfance les jeux vidéo qui pouvaient susciter la peur. De toute façon, je n'avais d'yeux que pour les jeux de stratégie. Avec un copain, on n'était pas encore arrivés au collège qu'on avait déjà saigné Age of Empires, Warcraft 2 et le premier Alerte Rouge. Un jour béni, je trouve dans les bacs d'un soldeur la boîte de Command and Conquer : Alerte Rouge 2, dont j'ignorais jusqu'à l'existence. Le soir même, sur le vieux PC familial, j'installe le jeu en compagnie de mon pote, encore plus fébrile que moi. Tout se passe à merveille jusqu'à ce que l'installeur, qui imite le ton sérieux des logiciels militaires, se mette à nous réclamer la clé CD pendant qu'une voix bourrue beugle « Code d'encryption requis, vous avez 30 secondes pour le donner ! » La clé CD ? Où est la clé CD bordel ? Dans la panique, mon pote fait tomber la boîte par terre et perd de précieuses secondes à la ramasser. Je parcours fiévreusement le manuel et finit par trouver, au dos, une très longue suite de chiffres et de lettres. Je hurle les premiers caractères à mon comparse, qui les note n'importe comment en se gourant de touche. Il est au bord des larmes. Ça paraît idiot, mais sur le moment on est à peu près sûrs que le jeu va s'autodétruire si on dépasse les trente secondes. Dans l'affolement, on explose bien sûr la limite et… rien ne se passe. N'empêche qu'on se souvient encore maintenant du jeu qui a failli nous provoquer une crise cardiaque à 10 ans.
Izual
Shadow of the Colossus Je ne suis pas du genre à avoir peur devant les œuvres fantastiques, qu'il s'agisse de films, de livres ou de jeux vidéo. La seule fois où j'ai eu un peu peur, c'est après avoir terminé Shadow of the Colossus, sur PS2, à cause d'un bug. Shadow of the Colossus, par sa structure, a déjà quelque chose d'un peu étrange, avec ses grandes étendues complètement vides, son silence et sa mélancolie. Bref, pendant l'escalade du dernier colosse, j'ai eu un bug étonnant : j'avais un « double » de mon personnage qui me suivait, il faisait exactement la même chose que moi, environ 5 ou 10 secondes plus tard. À chaque fois qu'il me rattrapait, le jeu plantait, je devais relancer la sauvegarde. J'ai regardé sur Internet, pour voir si quelqu'un avait déjà eu ce problème, mais je n'ai rien trouvé. Finalement, j'ai relancé la partie pour prendre une photo et la poster en ligne. Pendant que je préparais mon téléphone, mon personnage ne bougeait pas, mon double non plus, il restait à côté, sans s'approcher. Finalement, au bout de quelques secondes, une boîte de dialogue s'est lancée avec marqué : « Je connais la date de ta mort. Veux-tu connaître la date de ta mort ? » J'ai répondu non. Le plus bizarre, c'est que le jeu était en anglais mais la phrase était écrite en français. Avant que j'aie pu prendre la photo, la console a commencé à brûler. Finalement, le lendemain, j'ai acheté une Xbox.
Noël Malware
Thanatos Comme bon nombre de mes collègues, je n'étais pas bien vieux lorsque j'ai connu mon premier malaise vidéoludique. À cette époque, du haut de mes 7 ans, je passais mes week-ends à couper des têtes sur Barbarian ou à rigoler face aux innombrables morts de mon avatar dans Infernal Runner. Visiblement, j'étais déjà blindé et prêt à affronter la dure réalité du monde. Puis un jour, mon oncle me fit découvrir Thanatos sur son Amstrad. « Tu vas voir, c'est super », me dit-il en guise d'introduction, avant d'ajouter : « On joue un mec transformé en dragon qui doit retrouver une magicienne pour reprendre son apparence normale. » Rien de bien méchant, comme le confirmaient par ailleurs les graphismes en huit couleurs et hyper sommaires. Par contre, rien n'aurait pu me préparer à cette ambiance sonore hyper pesante, rythmée par le bruit des battements du cœur de la bête qui étaient à peine perturbés par le bruissement de ses ailes et le souffle du vent. Pire encore, le rythme cardiaque du dragon accélérait au fil des dégâts reçus au combat, symbolisant ainsi l'inexorable approche de la mort qui me mettait dans tous mes états, si bien que je n'ai jamais pu rejouer au jeu après l'avoir découvert. Oui, la plupart des enfants découvrent la mort lors de la perte d'un proche ou d'un animal de compagnie. Moi, c'était en jouant à Thanatos qui, chose amusante, empruntait son nom au dieu de la mort dans la mythologie grecque.
Kahn Lusth
Strike Commander Mon grand traumatisme de jeunesse ne s'est pas produit en jouant à un jeu vidéo. Il s'est produit juste après avoir joué à un jeu vidéo. Je me souviens très bien de ce moment. J'avais 15 ou 16 ans, j'étais sur l'ordinateur de mon père (un 486dx2 66 MHz), et je venais de finir une session de jeu fantastique sur Strike Commander. Sur le disque dur de 80 Mo du PC, j'avais aussi Syndicate, Doom, Star Wars : X-Wing, Sim City 2000, Ultima Underworld II. J'eus alors une grande révélation : pour moi, la vie idéale consisterait à passer mes journées à jouer aux jeux vidéo. Puis, l'instant d'après, j'ai réalisé qu'il n'y avait aucune chance que cela se déroule ainsi. J'allais devoir trouver un métier chiant, une carrière « qui rapporte ». Y besogner huit heures par jour. Gober des antidépresseurs pour tenir le coup. Et probablement me coller la tête dans le four avant mes 30 ans. Ce fut ma première prise de conscience de l'injustice, de la bêtise de l'existence, de la folie d'une civilisation qui nous condamne, une fois adultes, à passer le plus clair de nos journées sur des tâches assommantes pour payer le loyer, les coquillettes et les impôts. Cette pensée m'a physiquement noué les tripes, j'en ai eu des vertiges, elle m'a miné des jours entiers. Heureusement, quelques années plus tard, je décrochais un job au magazine Joystick et me vautrait comme un cochon bourré dans ma passion totale du jeu vidéo. Je n'ose même pas imaginer l'état dans lequel je serais aujourd'hui si je n'avais pas pu suivre ce chemin.
ackboo
R-Type La simple vision de screenshots en 320 pixels suffit à me rappeler l’angoisse suscitée par R-Type. À cette époque, je n'avais même pas vu Alien, dont il est pourtant « inspiré », car mes parents n’auraient jamais accepté. Mais les voies de Giger sont impénétrables et j’ai, par ce chemin détourné, fini dans les filets de l'artiste. Le character design agressif des ennemis et les décors organiques, froids et malsains, ont fortement marqué le petit garçon que j’étais, biberonné aux trucs mielleux et bienveillants. Pire encore, le gameplay – un shoot-them-up, si nerveux et punitif à mes yeux – avait achevé de transformer certains moments d’angoisse en peur panique. Mais je garde néanmoins un souvenir précis de cet instant cathartique où j’ai fini par tuer le premier boss iconique du jeu (Dobkeratops), après tant d’essais ratés en grande partie due à ma frousse. Toujours un peu flippé, j'ai alors continué de jouer, sans doute trop happé par le design curieusement malsain du vaisseau et l'inventivité des armes qui étaient si bathNote : 2 pour l'époque.
Monsieur Chat
Note 2 : Ou « cool », comme disent les jeunes de 2005.
Barbarian : The Ultimate Warrior Je me souviens avec effroi de Barbarian : The Ultimate Warrior, jeu de combat de 1987 auquel on jouait avec mon cousin sur Amstrad CPC 6128. En particulier du moment où celui-ci réalisait la fameuse pirouette-épée pour décapiter l'adversaire, un coup parmi d'autres mais à la sanction fatale immédiate... Avec des pixels presque gros comme le poing, on voyait quand même jaillir un flot d'hémoglobine, tandis que la tête allait valser par terre dans un coin du décor. Arrivait alors de la gauche de l'écran un gobelin à l'allure nonchalante, pour venir évacuer le corps acéphale, et shooter au passage dans la tête comme s’il s’agissait d’un vulgaire ballon de foot (accompagné d’un petit « bump » caractéristique)... Bon ok, désolée mais en fait je vous ai un peu mythonnés. La vérité, c'est qu'on faisait vraiment tout pour justement arriver à couper la tête de l'adversaire, déjà pour gagner tout de suite, et surtout pour se gausser de la virtuosité cruelle du geste, cruauté issue d'une jeunesse qui se découvre... En fait, aucun jeu vidéo ne m'a jamais traumatisée parce que les flippants sont arrivés à un moment où je n'avais plus de terrain favorable à « une bonne peur d'enfance ». Mais j'ai eu des bonnes flippes vidéoludiques d'adulte, hein (quoiqu'elles ne m'ont guère marquée durablement). En tout cas, c'est peut-être de ce coup de pied dans la tête issu de Barbarian que m'est venue, des années après, ma grande passion pour PES...
Sonia