Ces derniers mois, on a vu fleurir tous azimuts des jeux dont les thématiques envoient un message clair : l’écologie, c’est porteur. Les jeux de civilisation ou de gestion de ville sont légèrement décalés : on y construit le monde d’après, sous l’eau ou à l’issue d’une période apocalyptique, mais les conditions de victoire incluent de ne pas surexploiter les ressources disponibles. On fait soigneusement pousser des forêts ou des jardins diversifiés. Les animaux à protéger ne sont pas en reste, le plus souvent replacés dans leur environnement naturel ; loin de nous l’époque où l’on optimisait leur rangement dans des cages, de façon aussi rentable que les bestioles étaient tassées.

Ecolow cost.

Mais il ne suffit pas de mettre sur la boîte un oiseau, un enfant, une chèvre ou des fleurs, ni de clamer qu’on fait des points en respectant les écosystèmes. De fait, pas mal de jeux aux thématiques écolos ne le sont que sur l’avant de la boîte : dès qu’on les retourne, la mention made in China nous saute à la figure. À l’intérieur, on découvre souvent pas mal de plastique inutile, voire de matériel dont le jeu aurait carrément pu se passer. Certes, certains sont vachement bien et le plan n’est pas de culpabiliser les joueurs et joueuses qui avaient envie de ce jeu ou aiment les kilos de figouzes. Certes, ce n’est pas si simple de produire écologiquement. Pour autant, on ne se privera pas de taper sur le côté bien greenwashing des entreprises qui nous content fleurette tout en piétinant les pelouses. Avec une petite passion personnelle pour Evolutopia, éco-fabriqué en France mais édité par Matagot & Friends et… Continental. Oui, vous avez bien lu, non, il ne s’agit pas d’un homonyme, on parle bien de l’équipementier automobile, ce qui explique le traitement un peu particulier réservé à la mobilité dans ce jeu qui propose de construire la ville du futur.

La Marche du crabe (2020)
J’aurais pu passer des heures et des pages à vous faire des listes de qui prône le respect de la nature dans ses cartes amenées par des bateaux qui noient des mouettes sous du gasoil, tout en sentant au fur et à mesure augmenter ma fréquence cardiaque et se crisper ma mâchoire. Sauf que 1) ça aurait fait râler ma psy qui pense qu’il faut que je trouve plus de positif dans mon existence, 2) ça ne vous aurait servi à rien, vu qu’il est facile de trouver a minima le lieu de production d’un jeu sur sa boîte et que le plastique, bah, ça se voit. Alors, dans un élan de bonne humeur, Canard PC a choisi de se concentrer sur ces jeux qui allient leur thématique écologique à des pratiques réfléchies. Et qui sont bien. On ne vous refuse vraiment rien.

Pas mal de jeux aux thématiques écolos ne le sont que sur l’avant de la boîte : dès qu’on les retourne, la mention made in China nous saute à la figure.

Ils ont pris leur tour tôt.

Dans le monde ludique, il y a eu deux précurseurs, des maisons d’édition qui se préoccupaient d’écologie quand tout le monde n’en parlait pas encore. Il s’agit de Bioviva et des jeux Opla. Or, on n’allait pas passer à côté d’une occasion de vous reparler de La Marche du Crabe, donc si vous êtes un fidèle des hors-série, merci de sauter un paragraphe. La Marche du Crabe de Julien Prothière, c’est absolument génial. C’est un petit jeu coop' pour deux, adapté d’une bande dessinée d’Arthur de Pinces, pardon, de Pins, où l’on doit aider des crabes à sauver leurs camarades prisonniers des déchets sur la plage. Chacun de nous sait que sous certains objets se cache un méchant tourteau prêt à l’attaque : pour communiquer, on n’a cependant que ses actions de jeu. Politique et dénonçant le fait que l’humanité fasse n’importe quoi de ses déchets, il s’inscrit dans la lignée des jeux Opla qui allient thématique et pratiques : production aussi locale que possible (dans un rayon de 100 km pour les dernières sorties), encres végétales, papier issu de forêts gérées durablement, et attention portée aux engagements des prestataires sur l’utilisation de l’énergie et la gestion des déchets, pour ne citer que quelques critères.

Plus récemment, on a pu remarquer la sortie de Happy Bee (Maxime Rambourg et Théo Rivière) chez Helvetiq, un éditeur dont je ne vous ferai pas l’affront de donner la nationalité. Ils ont mis en place une gamme dite « Fun by nature » qui vise à sensibiliser à des sujets environnementaux, petit livret pédagogique à l’appui. Jusqu’alors, les titres sortis s’adressaient plutôt aux plus jeunes : Memory coopératif qui apprenait à reconnaître les animaux, dominos sur les espèces avec un peu d’additions au milieu… Mais Happy Bee, avec son petit livret pédagogique sur le rôle des abeilles et les types de miel, n’a rien à voir avec un pot d’acacia du supermarché.
Pour résumer rapidement, on joue des cartes devant soi pour essayer d’obtenir la majorité dans une couleur (ou plusieurs) et ainsi récupérer la fleur de ladite couleur présente au centre de la table, qui peut valoir entre un et cinq points. Il faut au fil des tours choisir entre viser la couleur qui rapporte le plus, au risque que tout le monde ait fait pareil, ou essayer de faire main basse sur une carte moins fructueuse mais moins contestée, voire deux. Encore plus malin, les cartes jouées restent avec soi pour la manche d’après, alors que le reste de la main tourne pour rejoindre le voisin, ce qui permet de garder par-devers soi les couleurs dont les gros chiffres ne sont pas encore sortis. Sachant que le jeu aurait tout à fait pu avoir un autre thème, le livret pédagogique pourrait faire crier aux donneurs de leçons malgré la qualité du jeu. Sauf que les leçons données sont avant tout appliquées : le jeu est produit par Fabryka Kart, avec une attention à l’énergie consommée, mais aussi à la biodégradabilité et aux aspects non nocifs des matériaux utilisés. Et on évite les slogans marketing promettant une abeille sauvée pour une boîte achetée.
Happy Bee (2023)

Power rangeurs.

C’est aussi avec ces standards que sont produits les titres de l’éditeur Subverti, qui réfléchit par ailleurs à éviter le matériel inutile. Avec son ambition affichée de changer le monde, en voilà un qui aurait mauvais jeu de ne pas se préoccuper de, justement, ne pas trop changer l’état de la planète. Or est sorti récemment Biomos de Gricha German, où l’on incarne, ça alors, des planètes. Des globes qui approchent le jeune âge d’un milliard d’années et se préoccupent donc, comme des ados mal renseignés autant sur la contraception que sur la fréquence à laquelle il est bon de faire la vaisselle, de développer la vie. S’il est peu probable qu’on aie réellement la sensation d’incarner une planète (je n’ai jamais été une planète, je manque de points de comparaison), le thème de ce jeu de placement n’est pas non plus totalement gratuit.

Nous avons choisi de nous concentrer sur ces jeux qui allient leur thématique écologique à des pratiques réfléchies. Et qui sont bien.

Chaque tour on récupère un jeton biome que l’on place entre deux autres, avec la spécificité qu’on peut toujours faire glisser les jetons dans la jolie goulotte pour les écarter, mais jamais en soulever un pour le déplacer. Certaines configurations permettent de s’attribuer un objectif ; d’autres points se font en accumulant les biomes du même type que son plateau ou sa lune. L’important est que les capacités offertes par la version avancée donnent du sens au thème : on retiendra facilement que l’eau gèle en altitude (un jeton eau à côté d’une montagne peut devenir une glace), que le désert irrigué peut faire pousser une forêt, etc. Au-delà de ça, le jeu est vraiment chouette, avec le bon niveau de réflexion pour sa durée, un brin d’agressivité si la tablée la génère et un certain plaisir de manipulation, malgré le matériel pensé au plus juste.
Biomos (2023)

Lapin pas du tout crétin.

Si vous cherchez plus touffu, en sus d’aller lire ce que mon camarade écrit sur Earthborne Rangers page 30, vous pouvez vous tourner vers l’éditeur Palladis avec leur premier jeu Biotopes (Sébastien Castano). On nous propose de développer des écosystèmes dans « le grand cercle du vivant », ou plus prosaïquement de poser des iules qui permettront de poser des hérissons qui seront probablement mangés par la buse du voisin. L’éditeur se range derrière la production locale et les matériaux recyclés. Là où d’autres éditeurs auraient fait du matériel quatre fois plus grand pour bien montrer que c’est un gros jeu, Palladis a opté pour une version plus raisonnée. La taille du texte demande un peu de concentration mais passe au final plutôt bien. Bon OK, il est bio, mais est-il top ?

Eh bien, la règle a quelques défauts de rédaction, notamment parce qu’elle ne s’appuie pas sur le thème pour expliquer le fonctionnement (le fait qu’un cube sur une carte espèce représente un animal de cette espèce, par exemple), mais les sensations de jeu valent qu’on s’accroche. La partie dure six manches, et à l’issue de la première on a l’impression qu’on ne pourra pas faire grand-chose, jusqu’à trouver comment constituer de grosses combos et donc avoir quatre fois plus d’actions pour la dernière. Peut-être à cause des illustrations réalistes des cartes, on lui trouve facilement des sensations à la Wingspan ; pourtant, ils ont peu à voir sur le plan mécanique et Biotopes est un peu plus agressif. Une jolie profondeur, une variante plus expert, plusieurs voies stratégiques et une loutre, je crois qu’on peut dire que tout y est ! Reste que le jeu vous met dans la peau d’une marmotte : pensant à bien surveiller le sol mais oublieuse de ce qu’il se passe en l’air, alors que ses principaux prédateurs y vivent… ou plus simplement dans la difficulté à être sûre de ce que les adversaires peuvent réaliser avec leurs cartes, ce qui parfois complique un peu la planification. C’est thématique, mais un peu frustrant tant qu’on ne connaît pas bien les quelque 88 espèces en présence.

Illustration d'ouverture : Biomos © Baptiste Perez / Subverti

Biotopes