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Photo : Dan Thurot
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Photo : Dan Thurot
Genre : cartes, solo
Créateurs : Trevor Benjamin, Roger Tankersley, David Thompson
Illustrateur : Albert Monteys
Éditeur : Nuts! Publishing
Nombre de joueurs : 1
Nombre de joueurs optimal : 1
Durée : 30 minutes
Complexité : modérée
Surface de jeu recommandée : table du salon
Prix : 25 €
La frustration est un animal étrange. Lorsqu’elle est la conséquence d’un choix douteux de game design, elle sonne comme un manque, la conséquence d’un élément mal pensé. Lorsque, comme dans Résistance !, elle traduit une réalité dont elle veut faire ressentir le poids, elle devient une force, une véritable philosophie qui exprime un propos. Ici, ce propos est assez évident : dans les bottes des maquisards espagnols se dressant contre Franco, il faut en permanence choisir, arbitrer, renoncer à quelque chose pour autre chose et accepter le plus difficile : ceux qui partent. Le sacrifice, c’est le cœur de ce jeu de cartes en solo : être David contre Goliath, lutter avec courage mais avec peu. Tout est contre vous, tout est trop difficile, mais vous y allez quand même. Jusqu’à quel point ? À vous de voir.
Les illustrations du jeu sont sublimes.

Passage à l’heure d’ibère.

Ne rentrons pas dans le détail des règles, dont la rédaction aurait pu être plus léchée par endroits. L’important est de comprendre qu’il faut jouer chaque tour cinq maquisards piochés parmi douze, pour remplir l’une des missions présentes sur la table ou se débarrasser des gardes, opérateurs radio, geôliers ou soldats qui s’y trouvent. Ce n’est, au fond, qu’un comparatif de forces, de chiffres. Simplement, il n’est quasiment jamais possible de faire les deux. La plupart du temps, réussir une mission, c’est renoncer à se débarrasser d’ennemis, et inversement. Comme les vingt objectifs d’une partie sont de plus en plus difficiles, et que deux échecs signent la fin de la résistance, choisir ses cibles est déjà un crève-cœur.

Chaque résistant posé peut l’être pour planifier l’attaque ou y participer, mais – surtout – se joue « caché » ou « révélé », pour un effet souvent beaucoup plus puissant. Si Ricardo reste discret, il permet de piocher un maquisard supplémentaire. S’il se révèle, il divise carrément par deux la difficulté de la mission en cours ! Qu’est-ce qui nous retient d’y aller à visage découvert tout le temps alors ? Oh, juste un détail : ceux qui se dévoilent ne reviendront pas.
Photo : Dan Thurot

Tu viens plus aux soirées ?

Voyez la finesse de l’idée : dans presque tous les jeux de cartes existe le terme d’exil. C’est une zone en dehors de la partie, dans laquelle certaines cartes vont être retirées indéfiniment, sauf mention contraire. Mais ce n’est qu’un mot, un mécanisme. Dans Résistance !, exiler une carte car on l’a révélée devient tangible : c’est quelqu’un, c’est un membre de son si petit groupe, c'est Carlos, Adèla, Soledad... c’est un savoir-faire qui disparaît à chaque fois. Est-il mort, est-il parti d’Espagne, est-il prisonnier ? Pensez ce que vous voulez, il n’est plus là.

Voilà qui n’a l’air de rien, mais il m’est arrivé régulièrement de jouer Célia cachée, discrète alors que son pouvoir révélé m’aurait plus aidé. C’est idiot, contre-productif, illogique. Mais voilà, Célia est une petite fille. J’accepte déjà difficilement de la voir sur son vélo, à la recherche des espions (des cartes qui pourrissent votre main), mais l’imaginer fuir et observer son regard vers l’arrière, terrifié, sur le côté de l’illustration qui correspond à ce choix, me fend le cœur.

S’arrêter, ce n’est pas perdre, c’est se contenter de ce qu’on a réussi à faire.

Vain sur vain.

Accepter les conséquences, c’est pourtant l’essence de toute stratégie ici. Tout en a. Les missions, réussies ou ratées, les ennemis qui survivent car on ne dispose pas d’assez de force de frappe pour tout faire, presque rien n’est neutre. Laisser vivre ce geôlier, c’est se priver du retour d’un maquisard en exil, réussir à détruire les baraquements, c’est renforcer les forces ennemies partout ailleurs, ne pas tuer cet anti-guérillero, c’est voir mourir des civils. Il vous arrivera peut-être de faire un tour parfait, sans perte et sans départ. Pas souvent.

Les histoires, c’est pourtant souvent le joueur qui les fait dans sa tête. Il n’y a pas vraiment d’aspect narratif direct. Certes, un livret de scénarios historiques et une mini-campagne de trois scénarios connectés sont fournis, mais ce ne sont finalement que de petits textes d’introduction, accompagnés de variations de mise en place et de changements de règles ou d’objectifs. La mise en place standard est meilleure, car elle laisse un choix après chaque tour : arrêter là ou continuer. Et il est très très très difficile d’aller au bout des missions ou d’en réussir assez pour que le régime franquiste sente autre chose qu’une simple piqûre de moustique. Souvent, la lutte est futile, mais s’arrêter, ce n’est pas perdre, c’est se contenter de ce qu’on a réussi à faire.

Maquis soucis.

J’aime Résistance ! très fort pour ce qu’il provoque, plus sans doute que pour ce qu’il est. Sa mécanique de « déconstruction de deck » et de sacrifices, sa difficulté, ses combats qui se résument à une optimisation mathématique, rien n’est fondamentalement nouveau ou révolutionnaire, mais la réflexion de Trevor Benjamin, Roger Tankersley et David Thompson* n’est pas là. Elle ne vise qu’à mettre tous les choix, tous les mécanismes et le moindre détail possible au service d’une seule finalité : retranscrire ce que ces maquisards pouvaient ressentir face à un défi trop grand pour eux.

Un jeu de cartes n’est pas un roman, un film, un média qui permet de s’étendre et d’expliquer plus longuement, l’effet est donc forcément plus limité. Mais ce qu’arrive à véhiculer Résistance ! avec si peu est assez admirable. Un casse-tête dont les joueurs les plus acharnés et affamés de victoire peuvent se saisir, troquant l’empathie pour l’optimisation, la synergie des cartes et le calcul froid, mais que tout un chacun peut s’approprier pour ressentir la trouille de prendre trop, ou trop peu, de risques, la difficulté de décider du sort des autres, le poids de ses décisions. Et choisir ce qu’il adviendra de Célia. Ça vous regarde.

* Oui, le même David Thompson à l’origine du surprenant Castle Itter. Un auteur dont la vision de ce que peut être un wargame mérite, décidément, le détour.