| Modifié le le 6 mai 2025
Au cours de ma vie de joueuse, je me suis trouvée suffisamment de fois bloquée par un boss en cinq phases ou une énigme sibylline pour tenir en haute estime les journalistes qui se sont consacrés à la conception de solutions de jeux. Longtemps, ils ont été mes héros, mes sauveurs, mes phares dans la nuit, avant de se faire voler la vedette par des vidéos sobrement intitulées « Full Walkthrough (NO COMMENTARY) ». Pour retracer l’évolution de l’art désormais trop rare de la soluce, je me suis entretenue avec des « soluceurs », qui ont aussi bien répondu à des enfants surexcités au téléphone que rédigé de longs guides écrits à destination de lecteurs égarés.
C’est à ce moment que Sonia, aujourd’hui secrétaire de rédaction et verbicruciste de talent – entre mille autres choses – pour Canard PC, entame sa carrière de « soluceuse », qui s’étalera sur cinq ans et près de cinquante soluces : « J’ai écrit ma toute première en décembre 1998 exactement, pour le service télématique de la société Hachette qui éditait Joystick, Joypad et PlayStation Magazine à l’époque. C’était sur Akuji the Heartless, le genre de nom qu’on n’oublie jamais même si le jeu restait juste correct, car il y avait un énorme enthousiasme à faire ce job et à entrer dans le milieu des mags de jeu vidéo que je suivais depuis quelque temps… Très vite, j’ai naturellement écrit des soluces exclusivement pour les hors-séries de PlayStation Magazine et pour le booklet de supplément mensuel de Joypad. C’est une chance extraordinaire d’avoir pu faire ce métier assez incroyable ; j'y prenais d’autant plus de plaisir que j’ai pu découvrir "pour le travail" des jeux géniaux vers lesquels je ne serais jamais allée spontanément. »
Suivez le guide
À l'époque, Fraps n'existe pas encore, et les meilleurs outils d'un soluceur (en plus de son cerveau et d'un éventuel carnet de notes ou fichier de traitement de texte) sont les cartes d'extension spécifiques pour les captures d’écran qui permettent de raccorder la console au PC et d’avoir l’image vidéo du jeu sur le moniteur, via un logiciel d’acquisition. « Il fallait faire la capture au bon moment, et parfois pour être exhaustif sur la façon précise d’exécuter un mouvement (dans les jeux de plateforme notamment), c’était assez chaud de gérer l’action à la manette d’un côté et l’appui sur la touche de capture de l’autre », commente Sonia.À l'image de nombreux testeurs, elle a rédigé ses soluces à mesure qu'elle jouait : « Au niveau rédactionnel, même si l’écriture restait basique et principalement descriptive, il fallait néanmoins bien connaître le nom des objets par exemple, afin d’être le plus précis et informatif possible pour le lecteur. Je travaillais au départ à la rédac, puis je me suis mise à faire mes soluces à domicile car ça demande quand même un niveau de concentration par moments qui est assez exigeant, surtout dans les passages un peu chauds qu’on a déjà refaits tant et plus, où l’énervement commence à poindre (car il faut absolument y arriver, et assez vite compte tenu des délais) – de plus, ça me permettait de crier des injures seule chez moi plutôt que me retenir ou embêter les autres en public. »
Même les plus pointus et obstinés des joueurs ne trouvent pas tout.
Soluceur haute pression
Au-delà de la pression de finir un jeu, de le connaître dans ses moindres recoins et d'en faire un guide exhaustif dans un temps limité, le métier comporte alors pas mal de contraintes techniques : Capt'ain Ta Race, qui a travaillé en tant que soluceur pour Joystick avant de cofonder Canard PC, se souvient avoir pris jusqu'à deux mille photos de son écran pour la soluce d'un seul jeu : « Pour faire la carte d'un jeu en 2D par exemple, il fallait prendre une photo de son écran, avancer à droite avec son personnage jusqu'à un point de repère pour pouvoir ensuite tout agencer sur Photoshop, ça pouvait avoir un côté laborieux. »Parmi ses « pires » souvenirs, Ta Race cite sans hésiter Baldur's Gate : « On s’était accordés sur un délai de trois semaines avec mon rédac chef, puis j’ai commencé à voir la taille du jeu, avec plein d'objets super intéressants perdus dans un pauvre bosquet. Je me suis rendu compte que c’était impossible de le terminer dans le délai imparti, même en jouant et en écrivant comme une brute, du matin au soir. Je me souviens être arrivé à une énorme porte, m’être dit que c’était enfin la fin du jeu, pour finalement me rendre compte que je n’étais qu’au premier quart. C’était rempli de recoins, d'objets, de portes – je n'en voyais pas le bout, j'ai fini par craquer et on a publié la soluce sur plusieurs numéros. »
Hotline ami-ami
En dehors des guides écrits, les joueurs coincés pouvaient aussi se tourner vers les hotlines pour passer un coup de fil, évidemment surtaxé, à un soluceur expérimenté. À la suite de la sortie de la MegaDrive en France, en 1990, Sega lance une campagne marketing d’ampleur avec des publicités mettant en scène un punk excessivement musclé qui galère à terminer des jeux comme Sonic ou The Revenge of Shinobi (au point de marteler sa tête contre sa console et de hurler comme un damné en levant ses poings vers le ciel). « Quand c’est plus fort que toi, appelle Maître Sega », susurre une voix-off avant de détailler le numéro d’une hotline destinée aux joueurs en quête d'une main tendue.Ta Race a bien connu cette période – il a littéralement été Maître Sega pendant six mois, au sein d’une équipe de six personnes (laquelle comptait alors trois femmes, ce qui ne manquait pas surprendre certains joueurs au téléphone), aux alentours de 1992. « J’avais tous les jeux SEGA sur mon bureau, des classeurs remplis de solutions de jeux, et je répondais au téléphone en même temps que mes collègues pour guider les personnes qui nous appelaient. Comme je n’avais pas tout forcément en tête, ça m’arrivait de jouer en plein appel, tout en meublant comme je pouvais pour occuper mon interlocuteur pendant que je farfouillais dans mes classeurs. »
« Qui est l’enfoiré qui a inventé l’existence d’une fontaine ? »
Internet plus ultra
À la fin des années 2000, la presse écrite commence à perdre de plus en plus en popularité face à la croissance du Web – c’est à cette période qu’Alvin_Stick devient rédacteur pour le site Tom’s Game, dont il a notamment géré la rubrique dédiée aux soluces, avant de travailler pour Jeuxvideo.com. À ce stade, le métier de soluceur a déjà bien évolué : « Sur JVC, je n’écrivais plus vraiment de soluces complètes, mais dès qu’il y avait une mise à jour ou un nouveau personnage sur un jeu-service, je rédigeais des guides. Dans les années 2010, les soluces qui avaient le plus de succès étaient souvent des jeux-services, des point & click ou encore des jeux à monde ouvert, comme Breath of the Wild, dont le guide est resté l’un de nos articles les plus lus pendant des années. Il y a aussi une vraie demande du côté des survival horror, parce que des joueurs ont l’habitude de faire un Resident Evil avec une soluce sur les genoux pour avoir moins peur. »Il y a toujours eu beaucoup d’humilité chez les soluceurs.