Ce qui frappe d'abord, c'est l'absence de coups de feu. Dans Foxhole, le bruit ambiant provient au début de l'effervescence des alliés qui courent dans tous les sens : quand on apparaît au quartier général de sa faction, on se retrouve entouré de bidasses qui bavassent, qui s'équipent, qui klaxonnent dans des camions ou qui déchargent des caisses avec hâte. Avant d'entendre les détonations habituelles dans les jeux de guerre, il y a toute une procédure. Il faut récupérer un fusil et quelques chargeurs au QG, trouver un groupe de soldats en partance pour le front et attendre ensemble un camion de transport. L'aventure commence dès que celui-ci démarre. Le long des chemins boueux, on passe devant un groupe d'ingénieurs qui posent des barbelés, on croise d'autres camions qui reviennent du combat, on double un conscrit qui a préféré faire le trajet à pied... Et puis, manque de bol, on se fait embusquer par trois commandos planqués dans les buissons et c'est la panique ; le camion s'arrête en travers de la route, on débarque un par un, on sort maladroitement les fusils, on riposte au jugé pendant que les potes tombent au sol, le camion explose avec tout le peloton et on se retrouve à nouveau au QG. Tenaillé par une envie furieuse : celle d'en savoir plus sur ce jeu de guerre où tout a l'air de se jouer à des kilomètres de la ligne de front.
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Foxhole
Le nerd de la guerre
Des années que j'en suis persuadé : dans un jeu de guerre, le voyage compte bien plus que la destination. Hélas, pas sûr que mes récits de randonnées dans la garrigue d'Arma 3 (une heure de marche en colonne avec dix compagnons pour finir tous fauchés par la même rafale) aient convaincu grand monde. Il y a pourtant un vrai plaisir à retirer d'une patrouille de deux heures dans la campagne déserte. De même, annuler une mission au moment crucial à cause d'une pénurie de munitions crée des souvenirs impérissables. N'allez pas croire que j'avance tout ça sans aucune preuve. J'en ai une. Elle s'appelle Foxhole.
Là où on va, on a besoin de route. Dans Foxhole, tout est très simple. On balance cent quarante joueurs sur une grande carte qui ressemble à un bout de campagne britannique et on leur souhaite bonne chance – la faction qui parviendra à capturer le QG de l'autre remportera la victoire. Alors les soldats s'organisent. Ils occupent les villages les plus proches, ils posent des sacs de sable et des barbelés, ils fortifient leurs positions. Une ligne de front se cimente autour de quelques points clés : le hameau pile au milieu de la carte, un pont d'une importance vitale, l'avant-poste qui empiète un peu trop sur le territoire adverse. Le truc, c'est qu'au départ la carte est dépourvue de tout équipement militaire. Aux joueurs de les construire grâce à une chaîne logistique à nouveau fort simple : on extrait les matériaux du sol, on les raffine dans une manufacture, on les transporte à bon port pour qu'ils puissent servir à la construction. Chacun est libre d'y participer comme bon lui semble ou bien d'aller se battre. Simple. Comme tout le reste de Foxhole. Mais voilà, il y a ce foutu Clausewitz.
Du bunker à l'ouvrage. « À la guerre, tout est simple, mais la chose la plus simple est difficile », s'est exclamé un jour Clausewitz. Impossible de se défaire de cette phrase quand on joue à Foxhole. Récupérer des matériaux ? Oui, c'est simple. Mais encore faut-il trouver des volontaires (qui mineront parfois plus de trois heures d'affilée), un side-car pour les emmener au bon endroit, puis un camion pour emporter les matières premières à la raffinerie. Et ensuite, que faire ? Les utiliser pour fondre des balles ? Pour construire de nouveaux camions ? De nouveaux nids de mitrailleuses sur le front ? Des fusils pour les soldats ? C'est un problème qui n'a pas de bonne solution : les bidasses ne peuvent pas tomber à court de munitions. Les sapeurs ont besoin de véhicules pour se déplacer. Alors il y a toujours besoin de nouveaux bras. La grande force de Foxhole, c'est de permettre à chacun de s'insérer où il le veut dans cette organisation précaire : il est possible de se trouver un camion et de faire la navette entre le QG et le front pour y emmener les soldats, mais on peut aussi amasser de l'essence pour les véhicules, construire, miner et même tenter de coordonner les efforts de tout le monde.
Rôle de guerre. À côté de cette merveilleuse logistique, on aurait pu craindre que les combats ne soient un peu le parent pauvre de Foxhole. Mais non : les amateurs de fusillades tombent sur de l'action à la fois nerveuse et tactique, une sorte de Running with Rifles en plus varié et plus punitif : chacun comprend vite, après s'être pris une balle dans le ventre en étant parti seul faire du frag, que la victoire passera avant tout par la coopération. Alors on se regroupe, on protège les ingénieurs qui posent des sacs de sable sous le feu ennemi, on chope une trousse de soins et on essaie de réanimer les potes tombés au champ d'honneur, tout en balançant des fumigènes ou des grenades. Au front comme à l'arrière des lignes, le besoin d'organisation et de rigueur fait que chacun adopte naturellement le parler et les usages militaires. Foxhole permet ainsi à un fabuleux type de roleplay d'éclore : le roleplay accidentel. On est bringuebalé dans des camions pendant que le tchat égrène des appels à l'aide et des rapports tapés par les sapeurs ou les patrouilles, on se jette à couvert quand l'artillerie adverse pilonne les parages et si le peloton entier se déplace accroupi dans les broussailles, ce n'est pas pour se donner un genre mais bel et bien pour éviter de se faire repérer. Une immersion immédiate, totale, dans un conflit qui dépasse sa simple personne – et ce pendant des jours entiers avant que l'un ou l'autre des camps ne cède. Victoire, défaite, peu importe : pour peu qu'on se soit impliqué suffisamment, Foxhole aura rendu inoubliables ces journées passées à huiler la chaîne logistique, à construire des bunkers sous le feu ennemi et à surveiller des routes désertes. C'est un jeu où le voyage prime sur la destination.