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The Norwood Suite
Quelques observations depuis ma chambre d'hôtel
Quand on m'a proposé d'aller passer la nuit à l'hôtel Norwood, je me suis dit que pourquoi pas, après tout. Lieu apparemment mythique, cadre original : l'idéal pour s'éloigner un moment. Je n'ai pas été déçu du voyage.
I. Tous mes amis vous le diront : ce que l'on décèle en moi au premier regard, ce n'est pas ma cordialité chaleureuse ni ma personnalité charismatique (j'en souffre beaucoup). Pourtant, plusieurs fois par semaine, parfois par jour, c'est moi que les touristes perdus, les provinciaux en visite et d'une manière générale l'humanité dans son ensemble choisissent quand il s'agit d'alpaguer une personne au pif dans la marée humaine parisienne pour lui demander son chemin ou porter un bagage, une poussette, une cagette, que sais-je encore. Ce n'est pourtant pas ma spécialité, j'ai des bras en chocolat et je suis autant perdu dans Gare du Nord que le quidam moyen. Cette sensation, The Norwood Suite la reproduit à merveille, et s'en moque d'ailleurs, prévenant dès le début qu'il ne faudra pas s'offusquer si on nous réclame des services : notre ressemblance avec le personnel de l'hôtel peut prêter à confusion. Ce n'est qu'un prétexte pour nous faire visiter l'hôtel et découvrir ses pitreries.
II. Enfant, je rêvais d'habiter une maison remplie de passages secrets (un espoir qui, je le réalise aujourd'hui, était non seulement tristement banal mais aussi parfaitement inutile : des passages secrets oui, mais pour quoi faire ?) et à défaut de vivre ça pour de vrai, What remains of Edith Finch m'avait permis de m'en approcher. Dans The Norwood Suite, chaque chambre d'hôtel contient une sortie cachée. Je n'ai même pas eu la décence d'essayer de dissimuler mon bonheur.
III. The Norwood Suite fait partie de ces jeux à pirouette scénaristique (un terme acrobatique que je préfère au twist, qui n'a pour lui que son côté dansant) sortie d'à peu près nulle part, qui semble ici superflue. Il faut l'accepter (la pirouette, alouette) non pas pour ce qu'elle apporte à l'histoire, mais pour le degré d'absurde qu'elle rajoute à l'ensemble, comme une sorte de feu d'artifice final.
IV. Tout tourne autour de la musique : le fondateur de l'hôtel, un vieux compositeur, a disparu il y a bien longtemps, un DJ joue sur place, une prof de musique passe des disques, des musiciens attendent dans le hall… Paradoxalement, on retient peu les mélodies, mais plutôt les discussions farfelues et le bâtiment incroyable, à l'architecture folle tout en restant crédible et à la décoration aussi fantastique que ridicule. Des portraits partout, des écarts d'échelle dans tous les sens (des têtes géantes vous accueillent sur la route…), une moquette à coller la migraine, un choix de tapisseries et de tableaux des plus curieux, etc.
V. Le hasard, parfois : je lis en parallèle un polar, Hôtel du grand cerf, sur un hôtel (fatalement) paumé où l'on tente aussi d'élucider un mystère vieux de plusieurs décennies. C'est beaucoup moins épatant. Jouez plutôt à The Norwood Suite : en deux petites heures, ça vous transporte loin, très loin.
VI. Je ne sais pas encore si on en revient.