Commençons par le commencement : Hidden Agenda, nouvelle production de Supermassive Games (à qui l'on doit Until Dawn), est un thriller interactif. Sur la forme, ce n'est pas très éloigné des productions Telltale ou Quantic Dream : des choix cruciaux ou sans importance qui créent une myriade de possibilités, quelques scènes d'action exigeant des réflexes rapides, des acteurs de séries hollywoodiennes modélisés assez fidèlement pour qu'on ait l'impression de les reconnaître mais pas assez pour ôter l'impression que leur visage n'est pas tout à fait humain... Il y a pourtant une grosse différence entre Hidden Agenda et ses concurrents : celui de Supermassive est conçu pour se pratiquer à plusieurs devant la télé, se joue avec des téléphones portables à la place des manettes et contient même un mode de jeu compétitif, où les différents spectateurs se battent tout en faisant progresser l'histoire. Comment ça marche ? Après avoir connecté la console et les téléphones au même réseau Wi-Fi, on lance la partie. Chaque joueur se choisit une couleur et l'écran tactile du téléphone lui permet de déplacer sur l'écran de la télé un pointeur de la même couleur.
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Hidden Agenda
Petits meurtres entre amis
Un tueur en série terrorise une petite ville des États-Unis. À quelques heures de l'exécution d'un suspect qui a avoué tous les meurtres, le Piégeur (c'est son nom car il signe ses crimes en laissant des pièges à souris et en piègeant les corps, la méthode est inventive mais on peut sûrement s'accorder sur le fait que le nom manque de punch. Moi à sa place je me serais nommé l'Artificier : on conserve le côté fourbasse tout en y ajoutant la dimension pyrotechnique inhérente au personnage. Enfin bon chacun son truc, je ne juge personne, mais tout de même comment ne pas être déçu par ce manque de sagacité ?) est de retour. Parviendrez-vous à découvrir son identité et à l'arrêter avant qu'il ne vous assassine à coups de rape à fromage explosive ?
Hidden Agenda se joue avec des téléphones portables à la place des manettes.
Haute intention. Ça, c'est la base, ce qui permet de jouer ensemble en toute harmonie, d'interagir dans chaque scène. Que l'on choisisse la coopération (pour vivre l'histoire de « façon détendue », comme le précise le jeu) ou les uns contre les autres, l’ensemble fonctionne de la même façon. Quand les personnages discutent, on déplace son curseur pour voter pour l'un des choix (toujours deux, car Hidden Agenda a beau proposer des embranchements, il n'en a pas non plus des milliers). Devant une scène d'action, il faut bouger le curseur sur un point précis de l'écran pour assurer la réussite, et lors d'une enquête, le curseur se transforme en torche pour trouver des objets cachés. Mais en mode compétitif, l’histoire se complique, ajoutant un étage de méta-jeu. Lors des choix importants, des cartes sont distribuées à tous les joueurs : la plupart sont vierges mais l'une d'elles contient un objectif caché (d'où le nom du jeu, Hidden Agenda), par exemple faire en sorte que tel personnage réagisse d'une façon précise. Le joueur concerné doit alors se débrouiller comme il l'entend pour que ça arrive, par exemple en argumentant auprès de ses petits camarades. S'il réussit, il gagne des points. Si d'autres joueurs le démasquent, eux aussi remportent des points. À la fin on fait le décompte et, indépendamment du scénario du jeu, l'un des joueurs « gagne ». C’est un peu léger, et Hidden Agenda aurait gagné à impliquer un peu plus ses joueurs avec des objectifs à plus long terme et un méta-jeu plus profond. Quoi qu'il en soit, il faut donc tenter de rester discret en regardant son téléphone. Pour info, si jamais vous jouez un jour avec eux, sachez que Pipo gigote quand il reçoit une intention cachée, qu'Izual se tait subitement et tente de prendre une poker face (bien tenté, vieux) et que Maria Kalash fait une brève pause avant de fixer les autres joueurs les uns après les autres.
Bon piège bon œil. Autre subtilité : en réussissant des scènes d'action (ce qui donne un avantage non négligeable à ceux qui s'y connaissent un minimum en jeux vidéo ou qui suivent ce qui se passe à l'écran), on obtient des jetons bonus, qui permettent de prendre le contrôle lors d'un choix (et donc d'exclure temporairement tous les autres joueurs). Évidemment, on se grille, d'autant qu'un autre participant peut jouer son jeton pour reprendre le contrôle, et ainsi de suite. Fatalement, on discute beaucoup (il y a une nouvelle intention cachée toutes les cinq minutes à peu près) et on se retrouve parfois à voter contre son cœur pour empêcher un autre joueur de marquer des points. Surtout, on n'écoute pas les personnages autant qu'on devrait. Embêtant pour suivre le scénario, mais en fait pas tant que ça. Le plus gros défaut d'Hidden Agenda – et pour un polar, c'est tout de même dommage – reste son intrigue : le scénario manque de personnages (et donc de suspects potentiels), les scènes traînent en longueur sans raison, et le jeu vous lance tant de fausses pistes à la fois que leur caractère erronné apparaît vite une évidence. En tant que thriller, Hidden Agenda ne vaut pas grand-chose, à moins de nourrir un goût particulier pour les nanars surjoués et remplis de clichés. En tant que jeu de société en revanche, c'est un peu mieux.
Les éclats de rire des agneaux. Hidden Agenda est censé durer deux heures, il nous en a fallu une de plus pour le terminer. Non pas que nous soyons mauvais (les scènes se déroulent de toute façon la plupart du temps sans intervention humaine), mais parce que nous avons pris beaucoup de temps pour discuter à chaque choix, à tenter de convaincre tout le monde que Kalash était la félonne et, bien entendu, que moi pas (alors que c'était l'inverse, fourbe un jour, fourbe toujours). Ou bien parce que Pipo et Izual, qui ont tous les deux cinq ans, ont passé leur temps à mettre leurs pointeurs sur les yeux globuleux des personnages plutôt que dans les cases à cocher lors des choix... Bref, nous nous sommes amusés, nous avons ri et nous l'assumerons debout face au peuple en colère s'il le faut. Et c'est là que le côté nanardesque d'Hidden Agenda est aussi important : nous serions-nous autant moqués si l'inspectrice Becky (l'un des deux personnages principaux que l'on suit) n'était pas aussi nulle dans tout ce qu'elle fait, salissant la scène de crime, oubliant des preuves, visitant seule des lieux dangereux ? Aurions-nous autant ri si les dialogues avaient été mieux traduits, dissipant le doute quant aux sous-entendus de drague ridicule que nous avons cru y voir ? À l'inverse, me serais-je amusé avec de parfaits inconnus, avec des amis moins versés dans les bêtises ou, comble de l'horreur, tout seul ? Probablement pas.