Au début, bien sûr, c'est comique : une tête émerge d'une marmite en fonte, puis un torse dont les bras saisissent le long manche d'un marteau posé à côté. Mi-homme mi-marmite, on se déplace à l'aide du marteau (qu'on dirige à la souris), en se traînant, en se propulsant, en faisant n'importe quoi. C'est fort rigolo*, et on n'en attendait pas moins du créateur de QWOP et Super Pole Riders. Mais ces premières minutes sont trompeuses : Getting over it n'est pas un jeu drôle. On n'est pas là pour s'amuser mais pour souffrir. Car bientôt, le premier obstacle sérieux se profile à l'horizon : un arbre bien vertical, aux branches qui bloquent le passage. On arrête de faire le foufou, on essaye de comprendre ce qu'on dirige avec sa souris, comment fonctionne le marteau, on grimpe sur une branche puis une autre, on approche du sommet de l'arbre mais on panique, on retombe cinq mètres en arrière. On recommence, on se concentre, on échoue encore et encore, et puis on finit par passer presque aisément, satisfait d'avoir déjoué ce piège retors. On vient de terminer le didacticiel. Une falaise infranchissable (mais qu'il va falloir franchir, on n'est pas là pour oindre les tartines de beurre demi-sel) se dresse maintenant devant l'homme-marmite**. Bennett Foddy prend alors la parole en voix-off.
*Il s'agit d'un hommage assumé à Sexy Hiking, un jeu amateur gratuit et ultra difficile de 2002.
**Bennett Foddy l'appelle Diogène, ce qui se tient : la marmite et le marteau remplacent la jarre et le bâton traditionnels du philosophe-clochard.
Transformé en archive gratuite
- Cet article, initialement réservé aux abonnés, est devenu gratuit avec le temps.
Getting over it with Bennett Foddy
À vous rendre marteau
Tout le monde connaît QWOP, classique des jeux Flash où il faut courir un cent mètres en agitant (avec les touches Q, W, O et P) les muscles des jambes d'un coureur. Pratiquement personne n'y arrive, et c'est le but, car pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Pour Getting over it with Bennett Foddy, le créateur de QWOP a décidé de pousser le curseur un peu plus loin : pourquoi faire difficile quand on peut faire impossible ?
Peur du vide. Il m'est difficile de jouer à Getting over it plus de quelques minutes d'affilée. Chaque victoire sur le décor (qu'on connaît rapidement par cœur, et la nuit on rêve de cette maudite caméra de sécurité ou de cette terrible grue, et le lendemain on angoisse avant même de lancer le jeu), chaque mètre grappillé, tout ça peut être annulé d'un faux mouvement de la souris, d'un coup de marteau mal maîtrisé, d'une seconde d'inattention. On se retrouve en bas, perdant parfois quelques minutes de jeu et plus souvent un quart d'heure, une demi-heure ou plus (car Bennett Foddy ne s'en cache pas il a « conçu ce jeu pour une certaine catégorie de personnes, pour leur faire du mal »). La voix de Bennett Foddy accompagne vos essais, vous parlant de l'échec, du sentiment de perte, mais aussi de l'évolution des jeux vidéo et de la culture, des vertus de l'acharnement, tentant de vous convaincre qu'il fait ça pour votre bien, que donner à des joueurs uniquement ce qu'ils attendent relève d'une paresse coupable. La voix de Foddy n'est pas là pour se moquer, car l'échec et l'abandon (temporaire) sont des résultats attendus – la voix se veut d'ailleurs rassurante sur ce point –, mais pour expliquer, pour justifier à la fois l'existence du jeu et la raison pour laquelle, malgré le risque permanent de perdre ce pour quoi on a bossé, on continue de grimper.