Grève chez Eugen Systems
Des salariés en colère cessent le travail
À l'évocation du mot « gréviste », l'inconscient collectif appelle des images de manifestation, de pneus en flammes, de slogans scandés dans des mégaphones... Rien de tout ça pour les grévistes d'Eugen Systems, qui se sont installés dans un pub confortable, à quelques mètres à peine des locaux qu'ils ont désertés à la mi-février. Nous les avons rencontrés. Par Kalabes et Netsalash.
Sommaire du dossier :
I. Association de bienfaiteurs
II. Claire Léger – FFRAG
III. Grève chez Eugen Systems
Par La Rédaction | le 21 février 2018
C'est exceptionnel dans le monde des jeux vidéo : vingt-et-un salariés d'Eugen Systems (Ruse, Act of Agression, Steel Division) se sont mis en grève le 14 février en milieu de journée. Les grévistes ont voté la reconduction de la grève les jours suivants, et à l'heure où nous bouclons ce magazine, le mardi 20 février, ils n'ont pas repris le travail*. Ils réclament (depuis plus d'un an, comme nous le racontions dans Canard PC no 375, par la voix de leurs délégués du personnel puis par celle d'un avocat) l'application des bons grades et coefficients sur leur fiche de paie et, partant, le respect des minima de salaires imposés par leur convention collective Syntec, ainsi que la rétribution des heures supplémentaires. En fin d'année 2017, une quarantaine de salariés (sur un total officiel de quarante-quatre) avaient même cosigné une lettre à la direction en ce sens. « Face à l’absence manifeste de considération pour la valeur de notre travail, nous en sommes arrivés à la conclusion que, pour nous faire entendre, nous n’avions plus d’autre option que de nous mettre en grève », expliquent les salariés grévistes dans un communiqué relayé par le Syndicat des travailleurs et travailleuses du jeu vidéo (STJV).
* À l'heure où nous mettons en ligne cet article, le vendredi 22 février, une quinzaine de salariés poursuit la grève.
La façade des locaux d’Eugen Systems à Paris. Anecdote cocasse signalée par une plaque : c’est là que naquit Léon Blum.
La façade des locaux d’Eugen Systems à Paris. Anecdote cocasse signalée par une plaque : c’est là que naquit Léon Blum.
Back to Hell. Le catalyseur, après quinze mois de tractations, a été les fiches de paie de janvier. Elles devaient contenir une régularisation, mais elles ont été reçues très en retard. « Comme par hasard, relate un gréviste, elles sont arrivées le lendemain de la sortie du DLC (Back to Hell, extension pour Steel Division, NDLR). Comme s'ils s'attendaient à ce que ça provoque du mécontentement... » Son voisin raconte la mise en place de la grève : « On n'était pas sur le pied de guerre, la grève a été très spontanée. Quand les mails (avec fiche de paie et courrier explicatif de la direction, NDLR) sont arrivés, plein de gens ont bondi sur leur siège, plusieurs ont tout de suite proposé de s'arrêter, c'était le coup de trop. » De fait, la régularisation promise (qui, s'imaginaient les salariés, devait leur permettre d'atteindre au moins le minimum de la grille salariale de leur convention collective, ce qui aurait déjà été une augmentation) s'est transformée en baisse du salaire brut pour tout le monde : « Avant, les fiches de paie ne mentionnaient pas les heures supplémentaires, explique un salarié en colère. Maintenant, ils les ont fait rentrer en mettant des coups de talon dans notre brut. Mais ils nous payent la même chose qu'avant. C'est ça qui est inacceptable. »
Grève et paie. Le 15 au soir, la direction d'Eugen a publié une fin de non-recevoir sous forme de communiqué. « Nous tenons à préciser que la société Eugen Systems respecte parfaitement les minimums de salaires pour l’ensemble des employés », indique le texte, auquel les grévistes ont répondu le lendemain, dans un nouveau communiqué là encore relayé par le STJV. Le syndicat a par ailleurs mis en place une caisse de grève, qui a recueilli plus de 4 200 euros. De leur côté, les grévistes désabusés (« On n'a plus peur que notre employeur s'en prenne à nous ou nous considère mal : c'est déjà fait, rapporte l’un d’eux. L'action de l'employeur crée la réaction des employés »), n’excluent pas de porter désormais l’affaire aux prud’hommes ou d’organiser une nouvelle grève à l’avenir. « Par leur retard, ils ont esquivé le moment clef pour faire une grève pour nous, explique un gréviste. Là, on le fait en sachant qu'on n'a pas un moyen de pression fort sur l'appareil productif, mais on veut montrer qu'on est prêt à le faire. Et la prochaine fois, on aura la caisse de grève pour nous soutenir et peut-être décider ceux qui hésitent. »