Pour un œil non averti, une image d'Into the Breach peut faire penser à un casse-tête pour tablette tactile, une sorte de Hitman Go dans un univers proche de Pacific Rim, où des gros robots (les mechs) tapent des kaijus, ces monstres géants qui ici s'appellent des Vek. Après tout, les règles sont assez proches pour qu'on puisse faire le rapprochement : des déplacements au tour par tour sur une grille de cases carrées, des adversaires dont les mouvements sont connus à l'avance... C'est ce qu'on appelle un jeu déterministe : puisqu'on a toutes les données en main, on peut prévoir le résultat de chaque action. Cependant, ce serait faire fausse route que de résumer Into the Breach à un casse-tête : quitte à le comparer à un jeu mobile, il est beaucoup plus proche (tout en étant bien plus complexe) d'Hoplite, le merveilleux petit rogue-like mobile qui ne quitte pas ma poche depuis des années. Sauf que contrairement à Hoplite (ou Hitman Go, si vous y tenez), ici on ne dirige pas un seul mais trois personnages, ce qui change considérablement la donne : c'est toujours un jeu déterministe, mais au lieu de prévoir les conséquences d'un déplacement, il faut réfléchir à trois mouvements simultanés et aux réactions en chaîne qu'ils peuvent impliquer. Une erreur de placement pour l'un de vos personnages, un simple clic exécuté sans trop y penser, risquent de vous coûter cher pour longtemps.
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Into the Breach
Le mech plus ultra
Partons du principe (absurde et ridicule, j'en conviens, mais que voulez-vous, Absurde et ridicule pourrait être le titre de mon autobiographie) que vous ne savez pas qu'Into the Breach est le nouveau jeu des développeurs de FTL, que vous ne l'avez pas immédiatement acheté en apprenant ce détail et que vous n'y avez pas déjà passé 80 heures au moment où vous lirez ce texte. Absurde et ridicule, je vous l'avais dit. Mais néanmoins, essayons.
Une simple erreur peut revenir vous hanter durant tout le reste de votre partie.
Kaiju doré. Mais allez, assez tourné autour du pot, entrons dans le vif du sujet. Dans Into the Breach donc, la Terre est envahie de bestioles géantes et l'humanité fabrique des gros robots pour tenter de les exterminer. Non pas à coups de pchit anti-moustique, mais avec des coups de poing robotisés, des lance-flammes qui crament des champs entiers, des missiles et des bombes nucléaires. Le combat se concentre sur cinq îles au milieu de l'océan d'où émergent les monstres. Pour espérer écraser l'invasion, il vous faudra libérer au moins une majorité (sinon la totalité) de ces îles, et pour ça, le jeu vous les a gentiment découpées en petits segments. Chacun de ces territoires contient, en plus de ses obstacles naturels (montagnes, fleuves, etc.), des bâtiments civils ou militaires qu'il faudra défendre à tout prix, en vous sacrifiant si besoin. On y trouve aussi des streums qui débarquent par vagues (chaque segment dure cinq tours, avec un flot régulier de nouveaux arrivants) et bien entendu vos trois mechs, tous dirigés par leur pilote. Je détaille, mais c'est que sous ses abords de jeu à gros pixels, Into the Breach cache un assemblage extrêmement précis, et ce sont ces pièces imbriquées à la perfection qui créent le plaisir de jeu. À chaque tour, les Vek se déplacent partout sur la grille puis indiquent leurs intentions d'attaque (généralement le bâtiment le plus important ou le plus difficile à atteindre, ou votre mech le plus fragile, parce qu'ils sont comme ça, les monstres, sans cœur), et quand vous reprenez le contrôle vous devez vous débrouiller pour contrecarrer leurs plans en infligeant le minimum de dommages collatéraux.
Veni, vidi, veki. Tout ça est très théorique, car en pratique, chaque mech se joue de manière très différente (on en débloque rapidement de nouveaux, avec lesquels il faudra presque tout réapprendre), chaque monstre peut avoir des attaques surprenantes et chaque terrain contient de nouveaux pièges. Il faut donc en permanence se réadapter, faire passer votre mech de corps-à-corps à l'arrière pour envoyer au front votre mech lance-missiles (ça paraît stupide mais moins que de perdre les deux), sacrifier votre mech téléporteur pour sauver votre lance-flammes... Tout ça a un coût bien sûr : si les mechs regagnent tous leurs points de vie en fin de segment, un pilote décédé le reste, et tant pis si c'était votre chouchou qui avait atteint le niveau maximum. Mais tout ça coûte moins cher que de perdre des bâtiments. Un bâtiment abîmé, c'est une perte à tous les niveaux. Chaque segment contient des objectifs souvent en rapport avec ses bâtiments, qui peuvent vous rapporter de quoi faire évoluer vos mechs par la suite, et plus vous perdez de bâtiments, moins vous avez de chances de remplir vos objectifs. Mais surtout, perdre des bâtiments tape directement dans votre barre de vie globale, qui elle ne se remplit pas automatiquement après chaque segment : les seuls moyens de la faire remonter sont d'accomplir certains objectifs de segment ou de remplacer, autant dire gâcher, vos points d'expérience par des points de vie. On l’a déjà évoqué : une simple erreur une seule fois ou un bâtiment abîmé peut revenir vous hanter durant tout le reste de votre partie.
Mech-oui. Mais alors, c'est tout ? Trois mouvements par tour, cinq tours par segment, cinq segments par île, trois à cinq îles et c'est fini ? Eh oui, mais les mécaniques d'Into the Breach sont si riches, si polies, qu'après chaque défaite et chaque victoire, on relance immédiatement une partie, pour tenter une nouvelle combinaison de mechs, ou simplement pour le plaisir. Les conséquences de chaque décision sur toute la partie rendent le jeu à la fois agréable et motivant quel que soit le niveau de difficulté que l'on choisit et le niveau de maîtrise que l'on croit avoir. Et puis, encore faut-il réussir à voir la fin ! Les Vek sont sans pitié, et même une partie bien engagée peut se transformer en game over à cause d'un ou deux mauvais placements. Combien de fois ai-je grogné de rage après avoir réalisé, trop tard, que ce monstre que je venais de tuer bloquait le tir d'un autre Vek bien plus puissant, condamnant du même coup toute ma planète ? Combien de fois, en pensant sacrifier un bâtiment pour éviter de perdre ma pilote préférée, ai-je détruit le monde ? C'est ça, Into the Breach : une machine à microdécisions qui peuvent toutes s'avérer désastreuses. Et quand enfin on arrête de perdre bêtement et qu'on commence à gagner, on réalise qu'on n'a pas vaincu le jeu mais soi-même.