Chasse alone. Nous n'allons pas bien loin. Alors que nous traversons un champ de maïs pour rester à l'abri du regard des autres joueurs potentiels, la voix de mon partenaire se fait chevrotante. « Dû manger… un truc louche… crampes… peux pas rester… désolé… je reviens… dès que je peux... » J'attends. Dix minutes passent. Je suis seul, avec le grognement des zombies proches pour seule compagnie. Puis une notification apparaît à l'écran : d'autres joueurs viennent d'abattre le Boucher, le fameux boss, et sont en train de bannir son âme de notre plan d'existence (en termes vidéoludiques : ils sont coincés sur place le temps que s'écoule un compte à rebours). Et cet emplacement est désormais dûment indiqué sur la carte, connu de tous. Oh et puis zut : seul ou pas, je peux leur faire un coup pendable. J'avais un peu travaillé le dossier Hunt : Showdown avant, et sais donc qu'à l'issue du bannissement, ils chercheront à s'extraire de la zone pour toucher la prime. Je vais les embusquer comme des bleus, on va voir ce qu'on va voir.

Quand le sage part aux cabinets, l'andouille regarde la lune. L'opération « Rambo du bayou » s'arrêtera un peu moins de 400 mètres plus loin. À un petit carrefour gardé par des chiens zombifiés qui m'ont aussitôt reniflé. J'ignore ce qui m'est passé par la tête – un gros courant d'air, vraisemblablement – mais, renâclant autant à l'idée de révéler ma présence par des coups de feu qu'à celle de les affronter seul au corps à corps, j'ai imaginé pouvoir fuir et courir plus vite qu'eux. « Vous êtes à terre », m'explique le jeu, pour le cas où la vue en contre-plongée sur le ciel nocturne et les bruits de mastication de ma dépouille par les toutous de l'enfer ne seraient pas assez explicites. « Votre partenaire peut vous relever, accrochez-vous. Distance du partenaire : 389 m. » Reviens, Kahn, on peut encore se les faire… Dix minutes passent. Distance : 389 m. Dix de plus. Les mâchouillements sont interrompus par des coups de feu suivis de petits couinements d'agonie. Je devine qu'il s'agit de mes clients abattant mes bourreaux à quatre pattes sur le chemin de leur extraction. Distance : 389 m. Vingt minutes à contempler le ciel, plus d'embuscade possible, je jette l'éponge.

Zonzon, pourquoi tu tousses ? Ma première impression se résumant à : 1) la lune est jolie dans le ciel nocturne ; et 2) l'environnement sonore est très réussi ; j'ai rapidement entrepris de faire comme s'il ne s'était rien passé et de lancer une seconde première mission après m'être trouvé un autre partenaire pour chasser l'abomination. Un partenaire dont le transit intestinal n'ajoute pas à l'horreur ambiante. Car sur ce point, Hunt est déjà abondamment doté. L'unique carte – à ce moment, une seconde était alors déjà annoncée pour très bientôt – est une foire à la bidoche. Moites, oppressants, glauques, les marais du bayou sont truffés de cadavres dont une partie non négligeable déambule en grognant et en toussant, prête à vous bouffer ou, chose moins courante dans le codex traditionaliste zombie, à vous enflammer à l'aide de torches ou vous fendre le crâne à coups de hachoir. On y trouve également des créatures plus exotiques : ruches humaines abritant des nuées d'insectes venimeux, goliaths putréfiés, ou encore cette saloperie caparaçonnée dont on préfère disposer par le feu si l'on veut éviter une dépense inconsidérée de précieuses munitions. Mais les adversaires les plus dangereux, comme dans toute production zombiesque, sont les autres humains.

L'amour du son. Dans Hunt, il y a deux écoles : celle des joueurs se mettant rapidement en quête des trois indices permettant de localiser le(s) boss – certaines cartes abritent les deux que propose l'actuelle version, le Boucher et l'araignée géante – pour le tuer, le bannir et s'extraire fissa en assurant leurs arrières. Et celle qui consiste à traquer les joueurs adverses, soit préventivement pour éliminer la concurrence, soit pour leur piquer la prime une fois le travail accompli. Mais dans un cas comme dans l'autre, tous tâchent d'être discrets. Se frayer un chemin à coups de Winchester (le jeu se déroulant à la fin du 19^e siècle, l'arsenal est assez rustique) n'est donc pas sans conséquence. Et pour ne rien arranger, les développeurs taquins ont disposé un peu partout sur la carte des moyens de faire involontairement du bruit : nuées d'oiseaux qui s'envolent si on les dérange, boîtes de conserve qui tintent quand on marche dessus, cheval agonisant qui hennit en nous apercevant, chiens en cage qui aboient, poules qui s'affolent… Pas de vaines illusions : on finit toujours par trahir sa position.

Ce matin, un chasseur a tué un chasseur. Ce mélange de traque discrète et de course contre la montre apporte une saveur toute particulière à Hunt dont les parties, qui peuvent durer jusqu'à une heure, constituent de grands moments de stress ponctués de grosses décharges d'adrénaline. Cette pression est accentuée par deux bonnes idées de Crytek. La première, c'est l'incertitude. On ne sait jamais combien de joueurs ont atterri sur la carte – il semblerait qu'une session en accueille un nombre aléatoire compris entre cinq et dix – et en l'absence de la moindre notification de mort, de déduire combien il en reste à un instant t. Même après avoir vu un chasseur ennemi tomber sous nos balles, le flou peut régner : était-il seul ? Dans le cas contraire, son partenaire pourra peut-être le relever ^{Note : 1}, sauf à crapahuter jusqu'à sa dépouille pour y mettre le feu et régler définitivement la question. La seconde bonne idée, c'est que l'on a toujours quelque chose à perdre dans Hunt. Et le plus souvent, il s'agit de son chasseur, l'expérience qu'il a accumulée et le coûteux équipement dont on l'a doté. Car en cas de mort définitive ou de non extraction dans le temps imparti, pfuuit, tout cela disparaît. Ce qui fait réfléchir à deux fois avant d'entamer un « rush suicidaire balek » sur un duo qui se dirige vers la sortie avec la prime.

^{Note 1 : Pratique, mais on ne peut le faire qu'un nombre limité de fois et on repart chaque fois un peu plus affaibli.}

Spirale d'agonie. Sur le papier, Hunt est donc un projet solide, bien pensé, avec des montagnes russes émotionnelles, qui se trouve au carrefour de PUBG, d'Evolve et de DayZ du temps où c'était un mod rigolo et pas encore un running gag industriel. Pour autant, gardez vos sous pour le moment. Pas tant en raison des soucis techniques qu'il rencontre (serveurs instables, optimisation imparfaite, bugs d'affichage…) et que l'on peut imputer à son statut d'alpha, ni du manque criant de contenu, que pour son parti pris en matière de progression. Avec ses trois « pistes » d'évolution, dont l'argent et le niveau du chasseur, qui peut se traduire par des avantages tout sauf anecdotiques, tels une barre de vie plus longue, Hunt prend des risques en matière d'équilibrage. Impossible de savoir si le matchmaking – de notre expérience, on en doute sérieusement – est conçu pour éviter de faire se croiser un joueur survitaminé et surarmé et un gueux qu'il étendra d'une seule balle, quand l'autre aura lui besoin de trois ou quatre coups au but pour faire de même. Pire, l'argent pouvant venir à manquer en cas de disette répétée de primes, il pourrait favoriser les spirales, de défaite, comme de victoire, et générer pas mal de frustration. Une problématique sur laquelle le studio a tout intérêt à se pencher s'il veut fournir à son petit club de chasse à l'homme assez de volontaires pour jouer les proies. Ah, quant à l'état de santé de Kahn… Eh bien maintenant que j'y pense, ça fait six jours qu'on n'a pas de nouvelles. Je passerai demain, sur le chemin de la rédaction, vérifier qu'il n'y a pas une concentration anormale de mouches devant chez lui. Ça sert aussi à ça, les amis.