Underworld Ascendant, rappelons-le, est la suite spirituelle des Ultima Underworld, extraordinaires jeux de rôle en vue subjective des années 1990. Si les Underworld n'ont pas connu de descendants directsNote : 1, ils ont donné naissance à un genre, celui des « simulations immersives », jeux en vue subjective qui avaient en commun de proposer des univers cohérents, généralement ouverts, dans lesquels les propriétés des objets et de l'environnement permettaient l'émergence de situations originales. Si la plupart de ces titres, de System Shock à Thief en passant par Deus Ex, ont été des succès critiques davantage que commerciaux, ils ont eu une influence majeure sur tous les jeux du XXIe siècle. Mais revenons à Ascendant, qui nous propose de visiter à nouveau l'Abysse Stygienne, prison souterraine où se déroulait le premier Underworld. Le joueur (et quand je dis le joueur ce n'est pas une métonymie, le héros d'Ascendant est le joueur lui-même, aspiré malgré lui dans les profondeurs de l'Abysse après avoir malencontreusement touché la machine où tournait ce jeu maudit) commence par apprendre comment interagir avec son environnement. On doit, comme la voix du narrateur nous y incite, faire preuve de créativité, apprendre, mourir, recommencer, progresser. On découvre que chaque objet ou presque peut être déplacé, les plus petits finissant dans l'inventaire, les autres étant simplement trimbalés à bout de bras pour être reposés plus loin. Que les matériaux ont des propriétés différentes. Certains sont inflammables : placez un panier d'osier dans un brasier puis collez-le à une porte en bois, cette dernière prendra feu à son tour et vous pourrez passer sans perdre de temps à en chercher la clé. Les liquides, au contraire, éteignent le feu : une flèche à laquelle est accroché un ballon d'eau, ou même une simple gourde, suffisent à étouffer une torche et à plonger une zone dans l'obscurité pour s'y déplacer tranquillement.
Note 1 : Allez, OK, Arx Fatalis.
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Underworld Ascendant
La cave se rebiffe
La dernière fois que j'ai écrit sur Underworld Ascendant, c'était en septembre dernier, après avoir joué à la build offerte aux backers. On y recevait un vague objectif, atteindre un arbre planqué en haut d'un promontoire, libre à nous de choisir le moyen d'y parvenir. La démo idéale pour nous convaincre qu'Underworld Ascendant était bien ce qu'il prétendait être : un jeu organique, somme de gameplays émergents, où chaque système interagit avec les autres et encourage le joueur à faire preuve de créativité. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le résultat n'était pas à la hauteur des promesses. Aujourd'hui, c'est à la première demi-heure, long didacticiel beaucoup plus linéaire, que j'ai pu jouer. Situation totalement différente, mais constat similaire.
On doit, comme la voix du narrateur nous y incite, faire preuve de créativité, apprendre, mourir, recommencer, progresser.
Physique difficile. Je vous passe la suite, plus classique : les objets ont une masse et une vitesse, donc une énergie cinétique, ce qui permet d'assommer les méchants en leur balançant des caisses à la tronche, ou bien d'activer un levier à distance d'une flèche bien placée. On peut également empiler des objets pour les escalader, ou bien les utiliser pour bloquer un mécanisme ou peser sur une dalle mobile. Bref, le genre d'interactions qu'on trouve dans la plupart des immersive sims depuis la fin des années 1990, en version un peu plus précise. Ou plutôt, moins précise. Je vous explique. Si le moteur physique et graphiqueNote : 2 surpasse bien sûr ceux qui existaient à l'âge d'or des simulations immersives, c'est au prix, tout d'abord, de contrôles hasardeux : quand les moindres chocs sont simulés, déplacer une fiole en verre sans la briser puis la jeter juste au-dessus de la torche qu'on souhaite éteindre se révèle beaucoup plus laborieux que nécessaire. Ensuite, d'une lisibilité parfois douteuse. Pourquoi certains objets extrêmement lourds (un tonneau d'alcool, une caisse) peuvent-ils être déplacés tandis que d'autres plus légers (une chaise, un tabouret) sont rétifs à toute interaction ? Pire, le même modèle 3D est parfois utilisé pour un élément décoratif, inerte, et un objet que l'on peut ramasser. On a connu mieux en termes d'affordanceNote : 3, surtout dans un jeu qui nous rebat les oreilles avec sa volonté de proposer un monde « organique » et « cohérent ».
Note 2 : Il s'agit d'Unity3D.
Note 3 : En game design, l'affordance désigne la capacité des éléments du jeu à faire comprendre intuitivement au joueur comment (et si) il peut interagir avec eux. L'exemple le plus classique est celui des portes dans un FPS-couloir : celles pourvues d'une poignée peuvent être ouvertes, les autres non.
Ascendant vierge. Les quelques défauts de design de ce didacticiel ne seraient pas si graves – il ne s'agit après tout que d'une alpha – s'il ne ressemblait pas tant à ce que nous avons déjà pu voir du jeu. Pousser des caisses et éteindre des torches, le temps d'un tutoriel, pourrait faire office de mise en bouche, laisser espérer des interactions plus riches dans le jeu complet. Mais en septembre dernier, lâché plus loin dans le jeu, malgré une palette d'actions plus riche, des baguettes de télékinésie et des spores gluantes à coller aux murs, je n'avais finalement rien fait de plus. J'avais résolu de bêtes puzzles physiques, certes un peu plus ouverts que la moyenne, dans un donjon générique et dépeuplé, en écoutant un narrateur très prétentieux m'expliquer régulièrement que l'Abysse offre d'innombrables possibilités d'expérimentation. Difficile de s'éloigner davantage de ce qui faisait le charme d'Ultima Underworld et de Thief, ou d'imaginer l'équipe all stars d'OtherSide (Paul Neurath, Warren Spector, Austin Grossman...) autrement que comme une bande de vieux messieurs, auteurs d'œuvres autrefois révolutionnaires, et persuadés que refaire la même chose vingt ans plus tard le sera tout autant. Pourtant, le casting du studio est la seule raison qui me pousse à avoir encore un peu foi en Ascendant. Je refuse de croire que les auteurs de pareils chefs-d'œuvre puissent se méprendre à ce point sur les raisons de leur succès. La sortie du jeu étant prévue pour cette année, il va falloir vous y mettre, messieurs.